Coronavirus : « Il faut tirer les leçons de l’épidémie sur le "Charles-de-Gaulle" pour mieux protéger nos équipages », déclare Florence Parly
INTERVIEW•Dans une interview exclusive accordée à 20 Minutes, la ministre des Armées Florence Parly évoque le défi du déconfinement pour les personnels de la défense, touchés notamment par une importante épidémie de coronavirus à bord du porte-avions « Charles-de-Gaulle »Propos recueillis par Mathilde Ceilles et Clément Giuliano
L'essentiel
- A l’aube du déconfinement, la ministre des Armées Florence Parly affirme avoir mis en place les mesures nécessaires pour assurer la défense du pays tout en respectant les précautions sanitaires élémentaires face au coronavirus.
- La ministre souhaite s’appuyer sur les conclusions de l’enquête sur l’épidémie de coronavirus à bord du Charles-de-Gaulle pour protéger les soldats dans l’exercice de leurs fonctions.
- Ces conclusions seront présentées la semaine prochaine à des parlementaires.
Alors qu’une épidémie de coronavirus a frappé de plein fouet l'équipage du Charles de Gaulle, devenu en quelques jours un cluster flottant, la ministre des Armées se retrouve, à l’aube du déconfinement, face à une question épineuse. Comment concilier défense du pays et protection sanitaire des soldats qui y contribuent ? Interrogée par 20 Minutes, Florence Parly espère pouvoir s’appuyer sur les résultats des enquêtes sur l’épidémie à bord du porte-avions, qu’elle présentera au Parlement la semaine prochaine, pour résoudre cette difficile équation. Elle évoque les enjeux du déconfinement au sein des armées et dresse un bilan de l’opération Résilience.
Avant d’aborder la question du coronavirus, on apprend qu’un légionnaire engagé dans l’opération Barkhane a trouvé la mort ce lundi. C’est le deuxième en quelques jours. Quelle est votre réaction ?
La France a perdu deux de ses enfants. Je veux saluer leur courage, ils sont allés au bout de leur engagement. Ces deux légionnaires sont issus du même régiment, le 1er régiment étranger de cavalerie, qui est durement éprouvé aujourd’hui et où je me rendrai dans les prochains jours. C’est une épreuve terriblement douloureuse pour leurs familles, leurs proches et leurs frères d’armes. Cette épreuve nous montre que le Covid n’a pas mis en pause la lutte contre le terrorisme au Sahel. Je ne peux terminer cette question sans avoir une pensée pour les autres militaires que nous avons perdus ces derniers jours : deux militaires de l’armée de terre, un de l’armée de l’air et un du service de santé des armées sont décédés récemment en entraînement lors d’exercices en hélicoptère. Je m’incline respectueusement devant leur abnégation et leur détermination.
Le déconfinement se profile, dans les armées comme ailleurs. Quelles sont vos priorités, en tant que ministre des Armées ?
Nous nous préparons activement pour être prêts le 11 mai, si cette date est confirmée, avec deux règles d’or : préserver la santé de nos personnels et adapter notre organisation pour poursuivre nos missions, l’essentiel de celles-ci n’ayant jamais cessé. Le plan du ministère des Armées s’inscrit strictement dans le cadre fixé par le Premier ministre. Les mesures barrières doivent continuer d’être mises en œuvre, avec notamment des règles de distanciation physique lorsque cela est possible dans les unités. Nous déclinons également des mesures d’organisation pour renforcer le télétravail. Enfin, pour l’ensemble des personnels civils et militaires et leurs familles, le service de santé des armées, en plus de ses nombreuses autres missions, va poursuivre ses téléconsultations.
Nous nous préparons aussi à reprendre des activités auxquelles nous avions renoncé. Je pense notamment aux recrutements, qui avaient cessé depuis le mois de mars. Nous allons donc rouvrir les centres de recrutement dès la semaine prochaine. Les armées recrutent chaque année 26.000 personnes. Chaque mois qui passe sans recrutement, c’est l’équivalent d’un régiment de l’armée de Terre qui manque à l’appel !
Une chose à laquelle nous n’avions pas renoncé, en revanche, c’est la poursuite des programmes d’armement. La semaine dernière, nous avons par exemple commencé les essais en mer du sous-marin nucléaire d’attaque de nouvelle génération Suffren. C’est une opération qui a été effectuée dans le respect de règles d’hygiène tout à fait exceptionnelles.
Concernant les masques et les tests, quelle est la politique du ministère des Armées pour le déconfinement ?
S’agissant des masques, nous avions déjà instauré leur port obligatoire dans certaines circonstances ou activités. Nous allons pouvoir désormais avoir accès à des masques grand public qui seront distribués largement dans les enceintes du ministère. Au-delà des cas où le port du masque sera obligatoire, comme par exemple dans les transports en commun, l’objectif est que toute personne qui souhaite porter un masque grand public dans le cadre professionnel puisse le faire.
Pour les tests, le but est, conformément aux objectifs nationaux, de rompre les chaînes de contamination éventuelles. Toute personne qui présente des symptômes devra se signaler à son supérieur et aura le choix d’être prise en charge par son médecin traitant ou par le service de santé des armées, disponible pour réaliser des tests virologiques, dits « PCR ». Si la personne est malade, elle sera alors placée à l’isolement, à domicile de préférence. Quant aux personnes qui auraient été en contact avec celle identifiée comme malade, elles seront placées en situation de quatorzaine et dépistées de façon systématique.
Sur les masques, avez-vous eu la possibilité de constituer le stock nécessaire ?
Des masques grand public ont été commandés pour pouvoir en distribuer largement, sachant que nous avons contribué à tester les textiles utilisés pour les confectionner. Le laboratoire NRBC de la direction générale de l’armement (DGA) a testé des milliers d’échantillons soumis par les industriels du textile pour déterminer les capacités de respirabilité, de filtrage et de lavage. Concernant les masques chirurgicaux, le ministère des Armées disposait dès le début de l’épidémie d’un stock stratégique de masques permettant d’équiper le service de santé des armées.
L’épidémie de coronavirus n’a pas épargné les armées, avec 1.500 cas confirmés. Sur le « Charles-de Gaulle », près de deux tiers de l’équipage, soit 1.046 marins sur 1.760, ont été contaminés. Aujourd’hui, 20 sont toujours malades, et deux hospitalisés, dont un en réanimation. Où en sont les enquêtes sur la contamination de l’équipage ?
La première enquête, à caractère épidémiologique, est destinée à recueillir le maximum d’informations à caractère sanitaire pour essayer de comprendre le processus par lequel le virus a circulé au sein du porte-avions. L’objectif est de pouvoir diffuser à l’ensemble de la communauté scientifique et médicale les résultats de cette enquête afin de faire progresser notre compréhension de cette épidémie et la manière de la combattre.
Il y a aussi une enquête de commandement menée par la Marine nationale. Elle est complétée par une inspection qui est conduite sous l’autorité du chef d’état-major des armées. Nous avons besoin de savoir quels ordres ont été donnés, quelles étaient la compréhension et la connaissance de la situation au moment où ces décisions ont été prises.
J’ai indiqué que les conclusions de ces enquêtes seraient rendues publiques. Je devrais être en mesure de les présenter la semaine prochaine devant les commissions de la défense nationale de l’Assemblée nationale et du Sénat. Nous ne laisserons aucune zone d’ombre. Aucune. L’objectif est d’abord de comprendre, pour ensuite tirer toutes les leçons afin de protéger au mieux les équipages de la Marine nationale. Nous devons prendre toutes les mesures appropriées avant de faire réappareiller le Charles-de-Gaulle.
L’escale à Brest, le week-end du 14 mars, qui a possiblement engendré une contamination de l’équipage à bord, était-elle une imprudence ?
La piste de l’escale à Brest fait partie des pistes plausibles s’agissant de la contamination de l’équipage du Charles-de-Gaulle. Il faut toutefois se souvenir que, quand l’équipage a fait escale à Brest, il n’y avait pas de confinement dans notre pays. Par conséquent, cette escale, qui était programmée pour des raisons logistiques, ne présentait pas de contre-indication, au sens d’interdiction.
Le président de la République avait toutefois pris la parole le jeudi 12 mars au soir, juste avant l’escale, en annonçant la fermeture des écoles le lundi suivant, ce qui laissait présager une situation sanitaire complexe…
Oui, le président avait annoncé la fermeture des écoles. Quand on annonce la fermeture des écoles, on n’annonce pas le confinement. Celui-ci a été annoncé le 16 mars pour prendre effet le 17. A ce moment-là, le porte-avions était reparti de Brest. Si nous engageons des enquêtes, c’est précisément pour pouvoir remettre en perspective les décisions qui ont été prises et la manière dont elles ont été appliquées. Maintenant, ce qui compte, c’est que les marins puissent rentrer guéris chez eux. Nous nous sommes organisés en ce sens.
Ces enquêtes pourraient-elles donc conduire à des sanctions ?
Le premier but des enquêtes est de comprendre comment les choses se sont déroulées face à un virus encore très peu connu. J’attends d’abord qu’on me présente les conclusions de l’enquête. Tant que je ne dispose pas de ses conclusions, je ne peux pas répondre à cette question.
Sur quels critères autoriserez-vous un retour en mer du « Charles-de-Gaulle » ? A quelle échéance ?
Ce qui sera déterminant, c’est l’état de santé de l’équipage. Nous n’allons pas renvoyer le Charles-de-Gaulle en opération si l’équipage n’est pas en parfaite santé. Un arrêt technique était prévu de longue date dans les prochaines semaines. Et bien sûr, cet arrêt technique de maintenance et de réparation devra avoir lieu. L’objectif est qu’il puisse être réalisé dans le respect des règles sanitaires.
Comment faire respecter la distanciation sociale à bord du « Charles-de-Gaulle » ?
Nous n’en sommes pas encore là. C’est précisément l’un des objectifs des enquêtes qui sont en cours : aboutir à des préconisations, afin de permettre une utilisation conforme à toutes les règles sanitaires, lorsque le porte-avions repartira en opération.
Quel bilan tirez-vous de l’opération militaire Résilience, lancée par le président de la République en mars 2020 afin de lutter contre l’épidémie de coronavirus ?
Les armées ont répondu présent. Nous avons notamment effectué de très nombreuses évacuations sanitaires, y compris vers l’Autriche, l’Allemagne et le Luxembourg. Le service de santé des armées a installé un hôpital de campagne à Mulhouse. Pendant cette crise, nous avons testé des moyens que nous n’avions jusqu’alors jamais mobilisés. Ils ont, je crois, rendu service à tous ceux qui se battaient contre ce virus, les patients comme les soignants. Plus de 2.000 patients Covid-19 ont été hospitalisés dans nos huit hôpitaux militaires, dont 400 en réanimation. L’engagement du service de santé a été absolument remarquable, je tiens à le souligner.
L’opération Résilience concerne également la logistique. Nous avons transporté des équipements sanitaires, des masques ou encore des médicaments que nous avons, dans certains cas, sécurisés et stockés sur nos emprises avant leur distribution. Nous avons aussi été amenés à répondre à des demandes émanant des préfets ou des ARS pour approvisionner des Ehpad, par exemple.
Ainsi, les armées ont répondu positivement chaque fois qu’elles étaient sollicitées, y compris à des demandes moins habituelles que nous avons, grâce à notre capacité d’adaptation, pu satisfaire. Durant la période du déconfinement, l’opération Résilience fera face à des besoins sans doute un peu différents de ceux auxquels nous avons répondu jusqu’à aujourd’hui, mais nous sommes prêts à faire évoluer notre réponse.
Le 14-Juillet se profile. Quelles sont les options à l’étude pour le traditionnel défilé sur les Champs-Elysées ?
Il est encore un peu tôt pour en parler. Nous préparons pour l’instant le déconfinement. Lorsque celui-ci sera mis en œuvre, nous ferons différentes propositions au président de la République pour trouver une façon appropriée et pertinente de célébrer la Fête nationale. Il faudra tenir compte de ce que pourrait être la situation sanitaire à ce moment-là, d’où la nécessité d’avoir plusieurs options possibles.
Plus près de nous, quel est le dispositif prévu pour la commémoration nationale du 8 mai à l’Arc de Triomphe ?
Cette cérémonie sera toujours retransmise en direct, mais elle se tiendra en effet dans un contexte particulier, puisqu’il n’y aura pas de public. Par ailleurs, la présence place de l’Etoile sera limitée au président de la République, au Premier ministre, à quelques personnalités et hautes autorités militaires. Ce 8-Mai sera donc tout à fait singulier. C’est pourquoi le président de la République a demandé à tous nos compatriotes qui le souhaitent de s’associer à cette commémoration en pavoisant leurs balcons aux couleurs nationales.