Coronavirus : Pourquoi le taux de létalité est-il aussi bas en Allemagne ?
COMPARAISON•Avec un taux de létalité en dessous de 1 % en Allemagne, ce pays européen, où le nombre de cas avoisine celui de la France, se démarque
Oihana Gabriel
L'essentiel
- Selon certains rapports, le taux de létalité du coronavirus en Allemagne tournerait autour de 0,7 %, alors qu’il atteindrait environ 4 % en France et 8 % en Italie. Des chiffres qui évoluent chaque jour.
- Même si la comparaison entre des pays qui n’ont pas le même système de santé, et surtout de dépistage et de stratégie, est difficile, ces chiffres interrogent.
- L’Allemagne réussira-t-elle à garder un nombre de morts par Covid-19 aussi bas ? Avec beaucoup de précautions, 20 Minutes tente d’y répondre.
C’est une question qui revient souvent. Comment nos voisins allemands ont-ils fait jusqu’ici pour limiter le taux de létalité, véritable pierre angulaire de cette lutte contre le coronavirus ? Le 30 mars, l’Allemagne ne comptait que 455 décès pour 57.298 personnes infectées. Et ce alors que ce pays frontalier de la France n’a pas choisi la stratégie du confinement strict, mais plutôt celle d’une distanciation sociale avec interdiction des réunions, mais autorisation de sortir pour faire ses courses, du sport, travailler…
C’est quoi le taux de létalité ?
Précision importante, on parle bien ici de taux de létalité et non de taux de mortalité. La différence ? Le taux de mortalité du coronavirus, c’est le nombre de morts de cette maladie rapporté à la population totale. On dit par exemple que 0,25 % des Français meurent chaque année d’une maladie ou d’accident cardio-vasculaire. En revanche, le taux de létalité, c’est le nombre de personnes qui décèdent du Covid-19 par rapport au nombre de personnes infectées.
Or, ce taux de létalité est extrêmement compliqué à comparer. Pour obtenir ce chiffre, encore faudrait-il que l’on soit sûr du nombre de personnes infectées. Ce qui est loin d’être le cas. « Selon les pays, on ne va pas forcément vérifier que la personne est décédée du Covid-19 et non d’une grippe et d’une autre pneumopathie », nuance ainsi Michèle Legeas, enseignante à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Mais également parce qu’énormément de personnes malades passent sous les radars car elles ont peu ou pas du tout de symptômes avec cette maladie si particulière.
Autre biais : certains pays testent à grande échelle leur population, ce qui est le cas de l’Allemagne et de la Corée du Sud. L’une des hypothèses qui pourrait expliquer ce taux de létalité allemand particulièrement faible par rapport à ses voisins européens, c’est donc sa politique de dépistage massif : plus on teste, plus on a de cas, et donc plus le nombre de mort est relativisé. Or, fin mars, l’Allemagne réalisait environ 500.000 tests par semaine… Mais cet effet de loupe explique-t-il tout ?
Un effet de retardement ?
Pas forcément. « Il est très difficile de trouver des explications, on ne peut qu’évoquer un jeu d’hypothèses, avance prudemment Michèle Legeas, spécialiste de l’analyse et de la gestion des situations à risques sanitaires. Pour le moment, on voit que le Portugal et l’Allemagne sont deux pays où le taux de létalité est plus bas. Pour le moment je m’interroge sur cette hétérogénéité… »
Si la courbe des cas de coronavirus poursuit son explosion, comme on le constate dans la plupart des pays touchés, ce taux de létalité risque d’augmenter. C’est d’ailleurs déjà le cas, mais légèrement. Si jusqu’ici, on évoquait un taux de létalité de 0,7 %, il est monté à 0,8 % ces derniers jours. « Il est possible qu’on soit face à un phénomène de retardement », précise la chercheuse.
Davantage de capacités dans les hôpitaux…
« L’argument souvent avancé pour tenter d’expliquer ce taux de létalité, c’est que l’Allemagne a beaucoup plus de lits dans les unités de soins intensifs par rapport à la plupart des pays européens », poursuit Michèle Legeas. En effet, on compterait 28.000 lits de réanimation en Allemagne, contre 5.500 en France et 5.100 en Italie. Rapporté à la population, il y aurait deux à trois fois plus de places en réa chez nos voisins germaniques. Des chiffres qui datent d’avant la crise sanitaire, puisque la France, comme l’Italie, ont augmenté leur capacité.
Un facteur d’explication à relativiser pour Michèle Legeas : « On n’a pas le chiffre des personnes hospitalisées. Ce qui nous permettrait de dire si les patients hospitalisés sont mieux pris en charge en Allemagne qu’ailleurs, ou si ces malades ne requièrent pas d’hospitalisation. »
L’Allemagne affiche d’autres atouts côté système de santé. Selon les comparaisons de l’OCDE, elle disposait de 4,3 médecins pour 1.000 habitants en 2018, contre 3,4 en France. Même légère supériorité pour les infirmières : avec 12,9 infirmiers pour 1.000 habitants, contre 10,8 en France. Ce qui n’empêche pas quelques inquiétudes Outre-Rhin. L’Allemagne a beau être dotée d’un « excellent système de santé, peut-être l’un des meilleurs au monde », selon Angela Merkel, la pandémie révèle en effet au grand jour les maux du système sanitaire allemand.
« Ces derniers mois, certains lits de soins intensifs ont été fermés parce qu’il n’y avait pas assez de personnel compétent disponible », décrit à l’AFP Reinhard Busse, spécialiste en économie de la santé à l’Université technique de Berlin. Par ailleurs, il y a depuis plusieurs années quelque 17.000 postes d’infirmières non pourvus.
…Et de ressources industrielles
Il n’empêche, l’Allemagne semble mieux armée pour faire face à la crise. Notamment grâce à une industrie robuste. « D’une manière très claire, elle a gardé beaucoup de productions sur son territoire, reconnaît Michèle Legeas. Sur des équipements comme les respirateurs ou l’accès au réactif pour les tests, ils sont mieux placés que la France. On fait partie des pays qui ont beaucoup délocalisé leur secteur industriel à d’autres zones du globe. Sauf que quand cette région est elle-même mise en quarantaine, on se retrouve coincé. »
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De fait, le gouvernement allemand a commandé 10.000 respirateurs à l’entreprise Dräger. Sans doute nos voisins avaient-ils en disponibilité immédiate davantage de masques, tests et respirateurs, outils indispensables pour lutter contre le virus dès aujourd’hui, et encore davantage dans les semaines à venir.