Coronavirus : Le système de santé français est-il prêt à gérer l'afflux de patients si l’épidémie s’emballe ?
SANTE•Alors que l’épidémie pourrait s’intensifier dans le pays, le système de santé français se prépare à un afflux éventuel de patients
Anissa Boumediene
L'essentiel
- Le président Emmanuel Macron a annoncé un éventail de mesures drastiques pour tenter de ralentir davantage la propagation du coronavirus en France.
- S’il semble peu probable de pouvoir bloquer le Covid-19, la stratégie du gouvernement et des autorités sanitaires consiste à freiner au maximum la circulation du coronavirus.
- Il s’agit là de laisser le temps au système de santé de s’organiser.
Fermeture des écoles, crèches et universités à compter de ce lundi 16 mars, maintien des élections municipales avec l’assurance que sont prévues toutes les mesures de protection nécessaires, et séniors priés de rester chez eux : lors de son allocution télévisée jeudi soir, le président Emmanuel Macron a annoncé un volet de mesures destinées à ralentir la propagation du coronavirus sur le territoire. Pendant ce temps, les hôpitaux s’organisent pour faire face à un éventuel afflux massif de malades, tout en devant assurer la continuité des soins des patients souffrant d’autres affections que le Covid-19. Idem du côté des médecins de ville. De son côté, le ministre de la Santé Olivier Véran a déclenché le « plan blanc maximal ». Mais ces mesures suffiront-elles ? Le système de santé français est-il prêt à gérer la crise du coronavirus si le nombre de patients infectés explose ? Ou s’oriente-t-on vers un scénario à l’italienne ?
Des mesures pour freiner la propagation du coronavirus
« Réduire au maximum les risques d’exposition des plus fragiles au coronavirus, empêcher que les enfants – qui ont peu, voire pas, de symptômes du Covid-19- ne le propagent, favoriser la limitation des déplacements et le télétravail : les mesures annoncées par le président sont logiques, commente le Dr François Braun, président de Samu - Urgences France et chef du service des urgences du CHR de Metz-Mercy. La France est dans une bonne stratégie d’atténuation de la propagation du virus. Et pour l’heure, c’est efficace, puisque le coronavirus progresse moins vite ici dans chez certains pays voisins ».
Ici, le but du gouvernement et des autorités sanitaires n’est pas de mettre le pays sous cloche ou à l’arrêt, « il s’agit d’éviter d’atteindre trop vite le pic de l’épidémie, et de transformer cette courbe abrupte de progression – comme c’est le cas en Italie – en une courbe en forme de colline, avec une répartition des cas plus lissée dans le temps, insiste le Dr François Braun. Sinon, nous aurions un afflux massif de patients graves et cela saturerait le système de santé ». Pour le médecin, « la stratégie française de diagnostic le plus précoce possible, grâce à la régulation médicale du Samu, a permis d’éviter jusqu’à présent une saturation des services d’urgences et de réanimation. Nous nous sommes adaptés à la situation : alors qu’il y a quelques semaines encore, je vous aurais dit qu’il était impossible d’y parvenir, nous répondons à trois à quatre fois plus d’appels qu’à la normale. Ce suivi rapproché des chaînes de contamination n’a certes pas bloqué le virus, mais l’a ralenti, pour permettre la préparation du système de santé à la suite des événements ».
Laisser aux hôpitaux le temps de s’organiser
Car l’objectif est de laisser aux hôpitaux le temps de s’organiser. Ainsi, le gouvernement a déclenché le « plan blanc maximal », ordonnant aux hôpitaux et cliniques d’annuler toute chirurgie non-urgente pour accueillir le maximum de malades du coronavirus, et ils disposeront pour cela de « tous les moyens financiers nécessaires ». Pour l’heure, il y a en France un peu plus de 5.000 lits en réanimation, a indiqué le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon. « J’ai demandé aux agences régionales de santé d’annuler sans délai toute activité programmée dans tous les hôpitaux du pays », a déclaré le ministre de la Santé Olivier Véran ce vendredi. La veille, un courrier transmis à tous les directeurs de ces agences leur enjoignait de procéder à la « déprogrammation immédiate des interventions chirurgicales non urgentes avec réanimation post-opératoire », c’est-à-dire sous anesthésie générale.
Le ministre avait évoqué ce scénario en fin de semaine dernière, mais « on avait préparé cette opération (…) depuis plusieurs semaines » déjà, a indiqué le directeur de l’ARS Ile-de-France Aurélien Rousseau. Pour Olivier Véran, il faut aujourd’hui « libérer les ressources, les plateaux techniques (et) les personnels compétents » en anticipant, « partout, y compris là où le virus ne circule pas encore, pour (…) que nous ne soyons pas pris à la gorge ». De quoi permettre d’augmenter « le nombre de lits en hospitalisation conventionnelle, pour les personnes qui n’ont pas besoin de passer en réanimation », a réagi le Pr Karine Lacombe, cheffe du service de maladies infectieuses à l’hôpital parisien Saint-Antoine. « Les gens très malades représentent moins de 5 % des personnes qui sont infectées » par le coronavirus, mais l’épidémie « va toucher probablement 50, 60, 70 % de la population française », a-t-elle estimé. « Si c’est sur un laps de temps très court, par exemple un mois et demi à deux mois, ça va faire beaucoup de personnes à prendre en charge dans le système de soins », a-t-elle mis en garde.
Un scénario à l’italienne ?
Alors que la France compte à ce jour 3.661 cas de contamination et 79 morts, selon le dernier bilan communiqué par les autorités, une phase complexe s’annonce, avec la probabilité d’un afflux massif et rapide de patients à l’hôpital. Un cas de figure qui soulève la question des moyens logistiques et humains pour y faire face. Il y a quelques jours, des médecins italiens faisaient part de leur désarroi absolu face à un manque de moyens les contraignant à devoir choisir parmi des patients contaminés en grande détresse respiratoire lesquels placer sous respirateurs artificiels, hypothéquant les chances de survie de ceux ne recevant pas ce traitement.
Et nous, nous orientons-nous en France vers un scénario catastrophe à l’italienne ? « Pour l’heure, cela me semble exclu, rassure le Dr François Braun. Les mesures du plan blanc permettent d’anticiper, et nos équipements de réanimation sont en nombre conséquent. D’autant que des services autres que la réanimation disposent de respirateurs, tout comme le Samu, qui a également de stocks de petits respirateurs de transport. Tout cela devrait permettre d’assurer les soins des patients atteints du Covid-19, mais aussi de tous les autres dont l’état de santé le requiert ». En outre, la France aurait commandé de nouveaux respirateurs. Et en plus des moyens matériels, les effectifs ont également été mobilisés. Olivier Véran a ainsi a battu le rappel des troupes : « Internes de médecine, jeunes retraités, réserve sanitaire… Nous allons avoir besoin de tout le monde », a-t-il dit. Et « une solidarité transgénérationnelle s’est déjà mise en place en dehors même de la mobilisation de la réserve sanitaire, s’émeut le Dr Braun. Des étudiants en médecine et des médecins retraités n’ont pas attendu pour nous proposer leur aide. Toutefois, si l’épidémie venait à s’accélérer, la phase 3 du plan de gestion du coronavirus serait déclenchée ».
Les médecins généralistes « déjà prêts »
Dans ce cas, le système de santé serait réadapté en fonction de la situation, « avec une prise en charge par la médecine libérale des cas sans gravité », relève le Dr Braun. Car dans cette épidémie de Covid-19, les médecins généralistes sont également au front depuis le départ. « Nous sommes 50.000 médecins généralistes en France, avec un important maillage territorial : nous sommes mobilisés depuis le premier jour et sommes prêts à poursuivre la mobilisation, assure le Dr Jacques Battistoni, médecin généraliste et président du syndicat MG France. Pour l’heure, le nombre de cas de coronavirus, même s’il progresse, reste assez contenu. Et nous sommes en capacité de monter en charge de façon importante », avance-t-il.
Le médecin généraliste met également en avant « notre expérience des épidémies de grippe saisonnière : on sait gérer un afflux massif et rapide de patients et nous avons une forte capacité d’adaptation. Pour la gestion spécifique du coronavirus, des mesures simples permettent de recevoir tous les patients. D’abord, dans la lignée de ce qui est prévu à l’hôpital, nous pouvons reporter les consultations non-urgentes et ainsi consacrer le temps épargné aux patients atteints du coronavirus. Ensuite, il est important pour nous de mettre en place deux flux séparés de patients : le premier pour ceux qui n’ont ni fièvre, ni toux et ceux qui ont des problèmes aigus différents ; et le second pour les patients infectés par le coronavirus. S’il y a plusieurs médecins dans un cabinet, ils peuvent se répartir les patients de cette manière. Si on est seul, on peut recevoir les premiers le matin et les seconds l’après-midi, ce qui est d’ailleurs ce que je vais faire ».
Mais être prêt implique d’être équipé. « Nous avons très peu de masques », reconnaît le Dr Battistoni. C’est pourquoi des masques à haut niveau de protection, dits FFP2, vont être envoyés aux médecins qui n’exercent pas à l’hôpital pour faire face à l’intensification de l’épidémie provoquée par le coronavirus, a indiqué vendredi le ministre de la Santé.
Alors que les écoles sont fermées jusqu’à nouvel ordre et que de nombreux secteurs tournent au ralenti, le Dr Braun reconnaît que « la situation face au coronavirus évolue d’heure en heure. Je serais bien incapable de vous dire quelle sera la situation dans quinze jours. Mais pour l’heure, je suis confiant, tout le monde de la santé est préparé ».