VIDEO.Coronavirus : Appelés à « faire des sacrifices », les soignants redoutent « de ne pas tenir sur la distance »
VOUS TEMOIGNEZ•Les soignants, lecteurs et lectrices de « 20 Minutes », confient leurs inquiétudes et questionnements au lendemain de l’appel lancé par Emmanuel Macron à se mobiliser face à l’épidémieL'essentiel
- Ce jeudi, le chef de l’Etat a demandé à tous les soignants « de continuer à faire des sacrifices » lors d’une allocution télévisée.
- Un message qui passe mal pour certains médecins ou infirmiers qui souffrent de la crise structurelle qui touche l’hôpital public en France.
- Conscients de l’intensification à venir de l’épidémie, les soignants redoutent un épuisement et une saturation de leurs services.
«Je vais vous demander de continuer à faire des sacrifices », a prévenu jeudi 12 mars le président de la République. Pour tous les soignants de France, les prochaines semaines s’annoncent particulièrement rudes dans un contexte de crise latente à l’hôpital public. Qu’ils exercent dans leurs propres cabinets, interviennent à domicile en libéral ou dans des structures hospitalières, médecins, infirmier(e)s, chirurgiens ou aides-soignant(e)s redoutent désormais l’intensification de l’épidémie jugée inexorable par la communauté scientifique.
En moins de 24 heures, près de 140 témoignages de soignants ont été reçus à la rédaction 20 Minutes. Qu’il s’agisse de la gestion de la garde de leurs enfants, du manque accru de personnels dans les hôpitaux publics, des risques d’épuisement ou des équipements insuffisants mis à disposition, les craintes et les interrogations semblent s’accumuler pour les équipes médicales. Déjà éreintés par un mouvement de grève sans précédents dans certains hôpitaux, les soignants se disent tout de même prêts « à monter au front ».
La garde des enfants, une angoisse supplémentaire
Charlène est aide-soignante au CHU de Nantes. Chaque jour, cette maman de trois enfants qui travaille de nuit doit faire trente-cinq kilomètres de route pour se rendre à l’hôpital. « Je ne sais pas comment je vais faire dans les semaines à venir si rien n’est mis en place à proximité de mon domicile. Je ne peux pas être mise en arrêt et mon conjoint non plus », écrit-elle. Pour l’heure, elle n’a trouvé aucune solution de garde pour ses enfants âgés de 4 à 9 ans. Et s’interroge : « Vais-je devoir sacrifier mon sommeil pour les garder ? ».
Virginie et son conjoint, tous deux infirmiers, peinent eux aussi à entrevoir une solution pour les jours à venir : « Nous avons deux enfants âgés de 10 et 12 ans. Nous ne pouvons pas solliciter les grands-parents car nos enfants sont des vecteurs pour eux. Nous ne pouvons pas abandonner nos malades et collègues. L’angoisse que je ressens est à son maximum. Comment allons-nous faire ? »
Si Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education a annoncé la mise en place d'« un service minimum pour les enfants des personnels soignants », Emmanuel Macron, lui, a appelé les Français à « aider le voisin quand il est personnel soignant et qu’il a besoin d’une solution de garde ». Inenvisageable nous dit Lulu, infirmier qui travaille de nuit et qui se refuse à prendre le risque de « contaminer son entourage ». Pour les milliers de parents soignants, cette contrainte supplémentaire s’ajoute désormais à des conditions de travail rendues de plus en plus difficiles avec l’épidémie.
La crainte d’une aggravation de la crise de l’hôpital
Pour Coralie, la situation s’annonce tendue. A 37 ans, cette infirmière craint « l’afflux massif de patients à venir » : « On appréhende. L’hôpital est déjà très fragilisé. Certains lits de notre CHU sont fermés par manque de personnels pour soigner les patients. D’où le gouvernement compte-t-il sortir des infirmières ? De son chapeau ? Nous ne tiendrons pas sur la distance c’est évident ». Dans le service de Charlène, infirmière, trois de ses collègues manquent déjà à l’appel. « Honnêtement, je vois mal l’évolution des choses. On va nous imposer une ouverture de lits supplémentaires malgré le quota de patients à charge déjà dépassé. Nous avons peu de moyens pour nous protéger (…) et nous serons bientôt les futures victimes de ce virus ».
Touchées par le manque d’effectifs, Charlène et ses collègues sont « épuisées ». La jeune femme précise : « Les vacances remontent au mois de novembre pour certaines d’entre nous et hier soir, notre cadre nous a dit qu’il ne fallait pas espérer en avoir en avril. Comment allons nous tenir ? » Et pour certains, le message d’Emmanuel Macron passe mal. Christine, infirmière dans un service de chirurgie digestive et vasculaire d’un centre hospitalier du Sud-Ouest, déplore : « Notre Président nous parle de faire face à l’épidémie. Mais avec quels moyens techniques et humains ? On nous demande de faire plus avec moins. »
Dans les nombreux témoignages reçus, malgré ce « manque de moyens », « les jours de congé non pris » et « les dépassements d’horaires » pointés par les soignants, tous revendiquent leur attachement à leur métier. « Nous ferons notre travail parce que nous sommes dévoués et nous n’acceptons pas de laisser nos patients et nos collègues. Mais attention au retour de flammes car il y aura certainement des arrêts de travail et de l’épuisement professionnel à l’issue de cette crise. Vous ne pouvez pas imaginer le stress que cela engendre dans les équipes de soin », écrit Betty, infirmière de nuit en pneumologie.
Des soignants libéraux dans l’inconnu
Parmi les lecteurs et les lectrices de 20 Minutes, de très nombreux soignants libéraux ont fait part de leurs inquiétudes propres à l’exercice de leur activité. Nicolas est chirurgien-dentiste et redoute de contracter lui-même le virus. « On nous conseille des masques spécifiques FFP2 pour travailler mais il n’y en a plus. J’ai l’impression d’être un soldat qu’on envoie au front sans arme ! On est en première ligne mais sans protection, c’est une catastrophe annoncée », prédit-il. Ce jeudi soir, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé que ces masques de protection allaient être envoyés progressivement sur tous le territoire aux médecins libéraux.
« "J’ai l’impression d’être un soldat qu’on envoie au front sans arme ! On est en première ligne mais sans protection" »
Une mesure indispensable puisque la plupart des infirmiers et praticiens qui ont accepté de témoigner disent souffrir d’un manque accru d’équipement. « L’attribution d’une boîte de cinquante masques la semaine dernière me permet de tenir deux jours au mieux alors que nous pouvons rapidement devenir un vecteur de transmission », lâche Laurence, infirmière libérale.
Un constat partagé par Sylvain, qui exerce la même profession à Montpellier : « La majorité de mes patients sont des personnes âgées polypathologiques considérées comme immunodéprimées. Je me rends d’un domicile à un autre. Je suis donc un vecteur potentiel du virus pour toutes ces personnes. J’ai un petit stock de gel hydroalcoolique mais aucun masque ». Et l’éventualité d’une contamination dans les semaines à venir inquiète l’infirmier : « Qui va prendre en soins ces patients dont certains sont lourdement dépendants et ne peuvent se passer de soins quotidiens ? »
Un soutien nécessaire
Si l’appel d’Emmanuel Macron à l’attention des soignants a suscité chez certains de la colère, d’autres se disent prêts à poursuivre les sacrifices déjà engagés au côté des équipes médicales les plus sollicitées. Maud, 43 ans, est infirmière en crèche. Contrainte au chômage technique dès lundi prochain avec l’annonce de la fermeture de tous les établissements scolaires, elle explique : « Pour éviter l’épuisement des collègues des hôpitaux, il me semble normal d’aller épauler les équipes (…) Il faut donc que nous soyons tous solidaires si on veut éviter la catastrophe. »
D’autres se disent prêts à augmenter leur charge de travail. « Mon travail est concentré exclusivement sur le bloc opératoire mais je peux aussi d’exercer en réanimation. Mes connaissances en pharmacologie des traitements de réanimation et des matériels utilisés seront utiles dans les semaines à venir », avance Yvonnick, infirmier anesthésiste dans une structure hospitalière privée. Les services de soins intensifs de ces établissements pourraient être amenés à accueillir des patients nécessitant des soins de réanimation ajoute le jeune homme. Une perspective à laquelle Yvonnick s’est préparé : « Je me sens prêt à accomplir cette tâche pour aider un maximum de personnes touchées par les complications de l’infection au Covid-19 (…) Il faut soulager les services de réanimation des centres hospitaliers publics ».