Coronavirus : « Mes confrères décrivent une situation plus sévère que ce qu’on a vu jusqu’ici », reconnaît François Bricaire, infectiologue
INTERVIEW•Des mesures démesurées ? Une épidémie plus sévère que prévu ? François Bricaire, infectiologue, répond à nos questions après les annonces de Macron jeudi soirPropos recueillis par Oihana Gabriel
L'essentiel
- François Bricaire, infectiologue et ancien chef du service Maladies infectieuses à la Pitié-Salpêtrière, a été surnommé le « médecin antipanique » par nos confrères du Figaro.
- Contacté par 20 Minutes ce vendredi, le médecin commente les annonces d’Emmanuel Macron de jeudi soir.
- Il se dit plus inquiet qu’auparavant du fait de collègues qui alertent sur des cas graves parmi des jeunes bien portants.
Les annonces de Macron face à l’épidémie due au coronavirus ont provoqué un tremblement de terre en France : fermetures d’écoles dès lundi, recours au chômage partiel et aux congés maladie, appel de retraités et étudiants en renfort pour assurer le système de santé… Suffisantes ? Efficaces ? Démesurées ?
François Bricaire, membre de l’Académie de médecine, infectiologue et ancien chef du service Maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, a répondu aux questions de 20 Minutes sur une situation qui lui semble plus préoccupante que prévu.
Les mesures annoncées par le président sont-elles pertinentes ?
En tant que citoyen, j’admets tout ce qui a été dit et décidé, il n’est pas question de les discuter. En tant que médecin, néanmoins, ces mesures me paraissent un peu lourdes, notamment les fermetures d’écoles. Je ne minimise pas pour autant le phénomène : la contagiosité est importante.
Ces mesures sont bonnes dans la mesure où elles diminuent ce qu’on appelle le « taux d’attaque ». Mais la gravité n’est pas aussi forte que ce qu’on veut bien nous présenter. Entre 80 % et 85 % des cas sont bénins. Après, on a l’impression, ce matin, que la situation médicale a évolué.
« Il faut se préparer à une deuxième vague qui touchera, un peu plus tard, des personnes plus jeunes a priori moins exposées à la maladie, mais qu’il faudra soigner également », a prévenu Emmanuel Macron. Certains soignants hospitaliers disent qu’ils voient des personnes jeunes et en bonne santé en détresse respiratoire, qu’en pensez-vous ?
Personnellement, je n’ai plus l’expérience de terrain. Ces annonces de mes confrères me perturbent. Ils décrivent une situation plus sévère que ce qu’on a vu jusqu’ici. Ce n’est pas habituel pour ce type de virus et ce n’est pas non plus ce que les Chinois ont décrit dans des études. J’étais resté sur la notion que ce sont les personnes âgées, fragilisées, qui sont touchées par les formes sévères.
Maintenant, si l’observation faite par les cliniciens montre que ce sont également des jeunes, on ne triche pas avec les faits. Il y a toujours, dans les pathologies respiratoires, des formes sévères chez des jeunes. Mais il faudrait des chiffres pour se faire une idée précise [de la proportion]. Et connaître le nombre de formes bénignes. Ce qui va être important par la suite, c’est d’avoir l’opinion des médecins généralistes, qui doivent préciser dans quel état les patients arrivent.
Comment expliquer le nombre de morts très variable selon les pays ?
Normalement, l’observation a montré que ce coronavirus était stable, qu’il y avait peu de mutations. Mais la réponse dépend beaucoup du système de santé, de l’organisation. Si les Iraniens, les Italiens, maintenant les Français, constatent que cela apparaît plus grave sur les sujets jeunes et en bonne santé, à ce moment-là, on doit se reposer des questions scientifiques, sur l’évolution du virus.
Emmanuel Macron pouvait-il faire autrement qu’annoncer ces mesures importantes ?
La pression à l’international est forte. Mais boucler l’Italie du Nord n’a pas empêché que l’Italie du Sud soit touchée. Je pense que les politiques n’ont pas tellement le choix parce que la société pousse beaucoup. On sent que l’exécutif français veut moduler la réponse, mais il a passé un cran hier soir. Emmanuel Macron a ainsi obligé son ministre de l’Education [qui assurait, à la veille de l’intervention du président, que les écoles ne seraient pas fermées] à changer son fusil d’épaule.
Quels sont les risques engendrés par ces mesures ?
Sur la santé, aucune difficulté. Les retentissements seront davantage d’ordre social. Une société qui a du mal à travailler, ce sont des commerçants, des restaurateurs, des entreprises qui vont être en difficulté.
Donald Trump a fermé les frontières des Etats-Unis aux voyageurs européens. La France n’a pas pris une décision de ce type, mais l’envisage. Faut-il le faire pour endiguer la pandémie ?
Je ne vois pas l’intérêt. Les scientifiques ont toujours dit que ça ne servait à rien. Je comprendrais d’autant moins que nous fermions nos frontières que le virus circule déjà en France. Mais je peux me tromper.
Est-ce que le système de santé français, fragilisé, a les moyens de faire face à une crise sanitaire de cette ampleur ?
Normalement l’organisation, pour y avoir participé, doit permettre de faire face. Il y a des limites, bien sûr. Mais au-delà des services de maladies infectieuses, nous pourrions utiliser d’autres services hospitaliers, déprogrammer les opérations non urgentes, ce qui a été annoncé, pour permettre d’absorber tout ça. Le tout dans un système hospitalier qui, même avec des difficultés incontestables, est préparé.
Le fait d’éviter les transmissions est utile pour qu’il y ait moins de gens atteints, et donc retarder dans le temps et réduire le pic épidémique. Pour permettre au système hospitalier d’absorber. Avec un inconvénient : cela étale dans le temps les conséquences économiques.