Lyon : « Ses mains sont devenues les miennes », 20 ans après la première greffe des deux mains, les patients témoignent
TRANSPLANTATION•Vingt ans après la première greffe mondiale des deux mains réalisée à Lyon, les spécialistes des Hospices civils de Lyon ont fait le bilan de ces transplantations en présence de quatre hommes greffésL'essentiel
- Le 13 janvier 2000, Denis Chatelier était greffé des deux mains à Lyon. Une première mondiale.
- 20 ans plus tard, les spécialistes lyonnais de ce type de greffes ont dressé le bilan de ces transplantations, toujours hors norme.
- Des greffes dont les suites sont parfois difficiles à supporter par les patients et qui sont freinées par le manque de donneurs.
Au moment de prendre la pose à Lyon ce vendredi midi devant les journalistes, les quatre hommes mettent leurs mains en évidence pour la photo. Ravi, Denis Chatelier applaudit devant les caméras. Un geste fort pour ce quinquagénaire, le premier patient au monde à avoir été greffé des deux mains le 13 janvier 2000 à Lyon par une équipe internationale dirigée par le professeur Jean-Michel Dubernard. Vingt ans plus tard, les spécialistes en charge de la transplantation aux Hospices civils de Lyon (HCL) ont réuni quatre des sept patients ayant bénéficié d’une greffe bilatérale depuis Denis Chatelier. Des « sujets » restés sous haute surveillance depuis leur intervention.
Cent greffés des mains dans le monde
« Ces patients sont pris en charge comme on prend en charge des chevaux de course », souligne Aram Azarian, chirurgien de la main à la clinique du Parc. Par cette formule, le spécialiste veut illustrer à quel point ces greffes des mains, hors normes il y a 20 ans, le sont encore aujourd’hui. Car si les patients greffés, amputés après un accident, ont retrouvé une grande partie de l’usage de leurs mains, les suites d’une greffe telle que celle-ci ne sont pas sans risques.
D’après les résultats obtenus sur les patients lyonnais et la centaine de personnes greffées d’une ou deux mains, depuis, dans le monde, « les résultats sont bons », souligne Aram Azarian. « Ils retrouvent entre 30 et 90 % de leur mobilité, entre 45 et 50 % de la force normale et peuvent faire entre 50 et 90 % des gestes que l’on peut faire avec une main normale », ajoute le chirurgien, ravi de voir ces patients « affranchis de leur dépendance ».
A ses côtés, Emmanuel Morelon, médecin en immunologie de la transplantation, acquiesce et complète : « On est encore en phase expérimentale. On a encore des difficultés. On ne sait pas combien de temps dure un greffon, par exemple. Les mains marchent bien, mais les traitements immunodépresseurs qu’ils doivent prendre à vie ont des conséquences plus ou moins importantes. C’est une vraie épreuve », souligne-t-il. Nombre d’entre eux font des rejets de la peau, semblables à des coups de soleil, mais non dangereux, selon les spécialistes.
Deux patients amputés après dix ans de greffe
Plus grave, des patients greffés ont développé, longtemps après l’intervention, des rejets vasculaires pouvant aller jusqu’à l’amputation des membres greffés. Sur les sept patients opérés et suivis aux HCL, un homme a perdu son greffon après un rejet de ce type, dix ans après la greffe. Et une patiente ne supportant plus les complications a demandé qu’on lui retire les mains greffées, dix ans après son opération.
Des difficultés qui n’ôtent pas le sourire présent sur le visage de Denis Chatelier. « Aujourd’hui, j’ai un traitement allégé. Je pense souvent à mon donneur. Ses mains sont devenues les miennes, j’en suis très heureux », confie cet homme, qui avait été amputé des deux mains à la suite de l’explosion d’une bombe artisanale. Brûlé dans l’incendie de son appartement puis amputé, Albéric, 40 ans, a bénéficié d’une greffe des mains en 2008. « Après l’incendie, j’ai tout de suite pensé à la greffe. J’en ai parlé à des chirurgiens qui étaient absolument contre. Les brûlures sur mon corps rendaient les choses encore plus compliquées », souligne ce Lillois qui explique avoir retrouvé une « bonne autonomie dans sa vie et dans son intégrité physique ». Après sept ans d’hospitalisation cumulés, il vient d’entamer une formation en alternance chez Toyota pour travailler dans le contrôle de gestion et reprendre « pied dans le monde professionnel ».
Julien, 32 ans, vit lui aussi avec les mains d’un autre depuis 2009. Ce Lyonnais a été amputé après l’explosion d’une bombe artisanale. Une « connerie de jeunesse » qu’il a très lourdement payée. « J’ai attendu la greffe pendant cinq ans, confie ce père de famille qui a pu reprendre le travail dans son métier d’origine, la cuisine. Je suis davantage dans le management, je cuisine peu. Mais c’est quand même révélateur de ce qu’on peut faire avec ces nouvelles mains. Aujourd’hui dans mon quotidien, si on ne sait pas que j’ai été greffé, on ne le voit pas ». Pour lui, les semaines suivant la greffe ont été compliquées mais il tolère bien les traitements antirejet. Sa seule incertitude ? Le temps que durera le greffon. « Mais on a la chance d’avoir Denis devant nous. Je me dis qu’en suivant ses traces, on part pour 20 ans, ce qui m’en laisse au moins encore neuf », sourit le jeune homme.
Un manque important de donneurs
Autant d’incertitudes qui pourraient être levées au fil des greffes et des recherches, selon les spécialistes lyonnais qui estiment qu’il faudra encore quinze années pour parvenir à un meilleur équilibre entre les avantages et les risques d’une telle intervention. « On trouvera des solutions. La médecine avance », souligne Lionel Badet, chirurgien de la transplantation aux HCL.
Pour améliorer les greffes des mains et réaliser des greffes de bras, comme ce devrait être le cas à Lyon où un patient est en attente depuis trois ans et demi, un frein demeure. « Nous manquons de donneurs, de greffons. Pour cet homme qui doit être greffé des bras, par exemple, le temps d’attente devient très difficile. Je lance un appel à la solidarité et à la générosité nationale », ajoute-t-il. Aram Gazarian insiste : « C’est important les mains, pour faire les choses, pour communiquer, pour être. Quand elles manquent, c’est difficile. On devient dépendant et reclus. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas de greffe sans donneur ».