Vaccins, DMP, téléconsultation… Le métier de pharmacien en pleine révolution
FUTUR•A l’occasion de la Journée de l’Ordre des pharmaciens lundi, « 20 Minutes » se penche sur les transformations du métier. Des professionnels qui peuvent aujourd’hui vacciner ou aider à la téléconsultation
Oihana Gabriel
L'essentiel
- Lundi, la journée de l’Ordre des pharmaciens permettra de tirer un bilan des transformations du métier et des évolutions à venir.
- Avec la possibilité de vacciner, d’ouvrir un DMP, de réaliser une téléconsultation, les missions de ces professionnels de santé se sont enrichies.
- Cette délégation de tâches devrait se poursuivre puisqu’en 2020, ils pourront délivrer certains traitements sans ordonnance. A l’avenir, si les médecins acceptent ce glissement, les officines pourraient ainsi améliorer l’accès aux soins des Français.
Depuis septembre, après deux ans d’expérimentation, tous les pharmaciens volontaires peuvent vacciner certains patients fragiles contre la grippe. Et depuis un an, ils peuvent ouvrir, avec le patient, son Dossier Médical Partagé, ce carnet de santé virtuel.
Le métier connaît depuis peu une réelle transformation. Non sans difficultés et quelques crispations. A l’occasion de la Journée de l’Ordre des pharmaciens, ce lundi, plusieurs experts dressent un bilan de ce chamboulement et éclairent sur l’avenir de la profession.
De nouvelles missions
Pour faire face à la pénurie de médecins, au vieillissement de la population, à la hausse des maladies chroniques et au virage de l’ambulatoire, nombreux sont ceux qui pensent qu’il faudrait miser sur la délégation de tâches. Et notamment confier aux pharmaciens davantage de missions. Une position qui n’est en réalité pas récente. « La politique qui visait à faire connaître les médicaments génériques, dans les années 1990, a été la première à s’appuyer non pas sur les médecins, mais sur les pharmaciens, rappelle Etienne Nouguez, chercheur au CNRS et auteur d’une thèse sur cette profession. Ils ont montré qu’ils étaient de bons élèves. Et ont pu s’appuyer sur ce succès pour négocier de nouveaux droits. » D’autant que les 21.000 officines forment un maillage essentiel à l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux. « Dans certains territoires, la Croix verte devient le seul point d’accès au système de santé », assure Carine Wolf-Thal, présidente de l ’Ordre des pharmaciens. Un mouvement amplifié par Ma Santé 2022, programme porté par l’exécutif. « La transformation du métier de pharmacien accompagne l’évolution de tous les métiers paramédicaux : cette extension des actes grignote le monopole médical, analyse Philippe Mossé, économiste et chercheur au CNRS. Tout cela part de la constatation de Ma Santé 2022 que nous avons d’une part un système de soin trop cloisonné, et d’autre part très orienté sur le soin et peu sur la prévention. »
Depuis quelques années, cette profession a donc acquis de nouvelles missions : vaccination, ouverture du DMP, téléconsultation… « On commence à voir chez le pharmacien davantage un professionnel de santé qu’un commerçant, reprend-elle. Mais c’est vrai que la vaccination est un vrai tournant. Aujourd’hui, 75 à 80 % des pharmaciens proposent la vaccination en officine et 1 million de Français y ont été vaccinés. » Depuis mars 2018, les pharmaciens peuvent également proposer un « bilan de médication » aux patients de plus de 65 ans, atteints de certaines pathologies. L’occasion de vérifier avec eux qu’ils prennent bien leurs traitements, aux bonnes doses, qu’il n’y a pas de redondance ou d’interférence entre médicaments…
Un mouvement voué à se renforcer
Le ministère de la Santé comme l’ Assurance maladie comptent bien poursuivre dans ce sens. En effet, à partir de janvier, les pharmaciens pourront proposer des Tests rapides d’orientation et de diagnostic (Trod), examen qui permet de dire si une angine est bactérienne ou virale. Donc si un généraliste a prescrit des antibiotiques pour une angine virale (pour laquelle les antibiotiques sont inutiles), le pharmacien pourra modifier le traitement. Une façon de lutter contre l’antibiorésistance. « Les protocoles sont en train d’être construits et cela se fera toujours en accord avec le médecin, dans le cadre d’un exercice coordonné », rassure la présidente de l’Ordre.
Autre nouveauté : le pharmacien pourra délivrer sans ordonnance certains traitements pour des maladies aigûes et bénignes comme la cystite. « La crise des urgences a incité le gouvernement à aller plus loin, reprend Carine Wolf-Thal. On attend de voir quelles autres pathologies pourraient être concernées. » Et la délégation de tâches pourrait aller encore plus loin. Ainsi, dans quelques années, on peut imaginer que la vaccination contre la grippe en officine soit élargie à toute la population, que le pharmacien puisse aider au suivi des traitements pour les cancers, participer à la prévention sur le tabac, l’alcool…
Pourquoi ces transformations ?
Une transformation profonde également guidée par des objectifs économiques. « Pour un meilleur usage du médicament et parce que le prix des médicaments ne cesse de baisser, le modèle économique de l’officine basé sur le nombre de boites vendues doit évoluer », admet Carine Wolf-Thal. « Les pharmaciens sont otages de la politique d’économie en santé, donc il faut sortir de cette rémunération 100 % à la marge pour construire une tarification à l’acte », renchérit Etienne Nouguez. Et donc, proposer de nouveaux services.
D’autant plus qu’avec la robotisation, certains pourraient craindre d’être remplacés par un bras automatique. « Déjà aujourd’hui, certains robots peuvent vous faire le pilulier… Le pharmacien doit donc devenir expert de la stratégie thérapeutique », synthétise Etienne Nouguez.
Des difficultés
Mais ces nouvelles tâches s’accompagnent de nouvelles exigences par toujours compatibles avec leur quotidien. « On fait face à plusieurs difficultés : les entretiens [pour le bilan de médication] prennent du temps. Pour le pharmacien, cela nécessite de s’organiser car il ne peut pas être présent au comptoir, reconnaît Carine Wolf-Thal. Il faut également avoir un local de confidentialité. »
Du temps, de l’espace, de l’organisation et de la formation sont nécessaires pour ouvrir un DMP, réaliser une téléconsultation… « Certains pharmaciens s’inquiètent : " on ne peut pas être partout ", nous disent-ils, insiste-t-elle. Mais ce que l’on souhaite, c’est ouvrir le champ des possibles. A chacun, en fonction de son lieu et mode d’exercice, de s’approprier ces nouvelles tâches. » Car les besoins, effectifs et prix du foncier ne sont pas les mêmes dans le Cantal et à Paris 15e.
La défense des prés carrés
Dernier frein : « il faut expliquer ces démarches aux médecins, car elles ne sont pas toujours bien perçues », avoue la présidente de l’Ordre. Sans surprise, les praticiens et même les infirmières ne voient pas tous d’un bon œil la vaccination en officine ou la délivrance sans ordonnance. « Il faut que le pharmacien contribue, dans la limite de ses capacités et en accord avec les autres professionnels de santé, à améliorer l’accès aux soins, rassure Carine Wolf-Thal. Mais il ne va pas faire des diagnostics et des prescriptions. En revanche, il peut aider à désengorger le cabinet de ville et les urgences. »
A condition que chaque profession, dans un milieu où le corporatisme pèse lourd, accepte d’évoluer. De concert. Ma Santé 2022 encourage d’ailleurs cet exercice coordonné entre les différents professionnels de santé. « S’il y a un véritable accroissement de la coopération, de plus en plus nécessaire, je pense qu’on pourra faire passer ce genre de réforme, croit Philippe Mossé, économiste. Dans ce cadre, les médecins pourraient se concentrer sur d’autres tâches : participer à des études, reprendre les visites à domicile, prendre davantage de temps pour la consultation. En moyenne, elle dure autour de 12 minutes. Parfois ça suffit, parfois non. » Mais Carine Wolf-Thal se montre optimiste : « Certes, on entend beaucoup de défenses de près carrés. Mais sur le terrain, cette coopération existe déjà, assure cette pharmacienne qui exerce à Rouen. Lundi soir, j’avais une réunion avec les médecins, infirmiers et kiné de mon quartier. Pour eux, il n’y a aucun problème. »