ETUDELes « cadeaux » des labos pharmaceutiques influencent-ils les médecins ?

Les « cadeaux » de l’industrie pharmaceutique influencent-ils les prescriptions des médecins ?

ETUDEUne étude menée à Rennes se penche sur les avantages offerts par les laboratoires et perçus par les praticiens généralistes
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • Une étude se penche sur les relations entre les médecins généralistes français et les laboratoires pharmaceutiques.
  • Nombre de praticiens bénéficient régulièrement d’avantages accordés par les fabricants de médicaments.
  • L’étude montre que les médecins refusant ces avantages prescrivent moins et coûtent moins cher à l’Assurance maladie.

C’est une étude qui risque de faire un peu de bruit dans le milieu médical. Publiée ce mercredi dans la revue scientifique The BMJ, l’enquête menée par des chercheurs, ingénieurs et médecins de l’université Rennes 1, du CHU et de l’école de santé EHESP s’interroge sur les liens entre les médecins généralistes et les laboratoires pharmaceutiques. Ces « avantages » offerts par l’industrie, appelés « cadeaux » dans la version anglaise de l’étude, sont-ils de nature à influencer les généralistes dans leurs prescriptions ? Les résultats de l’étude menée sur plus de 41.000 médecins semblent laisser penser que oui.

Les conclusions sont en effet assez claires. « En moyenne, le groupe de médecins n’ayant reçu aucun avantage de 2013 à 2016 est associé à des prescriptions moins coûteuses et à plus de prescriptions de médicaments génériques ». La publication scientifique révèle également que ces médecins ont des prescriptions plus efficaces « au regard des objectifs fixés par l’Assurance maladie ». Plus les généralistes seraient « gâtés » par les laboratoires (ils doivent le déclarer), plus ils prescriraient de médicaments, précise l’étude.

« En France, le sujet reste flou »

Les travaux ont été menés grâce à la base Transparence santé lancée par l’État après le scandale du Mediator et qui diffuse les déclarations d’avantages perçus par les médecins. « Des études similaires ont été menées ailleurs, comme aux Etats-Unis, mais pas en France. Nous pensions qu’il était intéressant de faire un état des lieux en France, où le sujet reste flou », explique Bruno Goupil.

Ce jeune médecin, fraîchement installé à Lorient (Morbihan), a participé à l’étude et ne semble pas surpris des résultats. « Les laboratoires dépensent énormément d’argent dans la promotion de leurs produits. Ce serait curieux qu’ils le fassent à perte, c’est bien qu’ils y trouvent un intérêt », poursuit le praticien, qui se défend par ailleurs de tout conflit d’intérêts avec l’industrie du médicament. L’Organisation mondiale pour la santé, parfois accusée de jouer le jeu des lobbys pharmaceutiques, a récemment alerté de l’influence de l’industrie de la santé. Poussée par des ONG, l’OMS avait demandé davantage de transparence sur le prix des médicaments.

Ces avantages accordés aux médecins sont divers : des invitations au restaurant pour assister à une présentation, des conventions tous frais payés et parfois même un peu de matériel, même si la pratique est aujourd’hui encadrée. « Les médecins n’ont pas toujours conscience de cette influence. C’est presque une norme d’accepter ces cadeaux. Mais quand on y réfléchit, on peut se demander ce que les entreprises cherchent à obtenir en retour », poursuit le docteur lorientais. Un médecin « formé » à un nouveau médicament peut plus facilement le prescrire, même si le traitement n’apporte rien au patient. Mais garantit plus d’argent à son fabricant.

« Si on refuse, ça peut nuire à notre carrière »

Si l’étude ne porte que sur les généralistes en libéral, la question des avantages se pose aussi dans le milieu hospitalier. Il n’est pas rare qu’un chef de service oblige ses internes à venir assister à une « formation » organisée par un laboratoire pharmaceutique. « Si on refuse, on s’attire les critiques, ça peut nuire à notre carrière », confie un praticien.

L’étude, qui porte sur la période 2013-2016, montre que 90 % des médecins ont perçu au moins un avantage en trois ans. « De par sa méthodologie, l’étude ne peut pas montrer de lien de cause à effet », précisent les auteurs. Au vu des résultats, les liens ne font guère de doutes.

«20 Minutes» de contexte

Nous avons contacté plusieurs organismes afin d’obtenir leur réaction à cette étude, parmi lesquels l’Ordre national des médecins ou le syndicat Les Entreprises du médicament (LEEM). Ces derniers n’ont pas souhaité s’exprimer tant qu’ils n’avaient pas pris connaissance de l’étude. Cette dernière étant sous embargo jusqu'à mercredi matin, nous avons refusé de leur transmettre.