Octobre rose : Evolution, prise en charge, facteurs de risque… Où en est le cancer du sein chez les femmes jeunes ?
COMBAT•Alors que l’Institut Curie propose un focus sur les cancers du sein chez les femmes jeunes à l’occasion d’Octobre rose, « 20 Minutes » s’interroge sur le nombre de cas et les facteurs de risqueOihana Gabriel
L'essentiel
- A l’occasion d’Octobre rose, mois de sensibilisation au cancer du sein, l’Institut Curie propose de s’intéresser à cette maladie chez les femmes jeunes.
- Selon l’Institut national du cancer (INCa), le nombre de cancers du sein chez les femmes de moins de 40 ans était de 2.932 sur les 58.459 cas recensés en 2018. Le nombre de décès est de 214 sur 12.146.
- S’il y a davantage de cancers du sein chez les femmes jeunes chaque année, la proportion de cette classe d’âge reste stable. Mais quels sont les facteurs de risque qui touchent ces patientes ?
Une malchance incompréhensible quand on a 30 ans. « Beaucoup de patientes s’interrogent à l’annonce du diagnostic : " Pourquoi moi " ? », témoigne Jean-Yves Pierga, chef du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie. Cette année, à l’occasion d’Octobre rose, mois de sensibilisation au premier cancer féminin, l’Institut a choisi de mettre en lumière les cancers du sein chez les femmes jeunes, comprenez de moins de 40 ans.
Si la moyenne d’âge de l’apparition de cette maladie tourne autour de 63 ans, il arrive que des femmes de 25, 30, ou 35 ans en soient atteintes. Et certains gynécologues se sont émus récemment de voir autant de jeunes suivies pour une tumeur au sein.
Davantage de femmes jeunes sont-elles touchées ?
« Nous avons voulu, en faisant ce focus, sensibiliser les professionnels de santé et les femmes. Le cancer du sein chez la femme jeune, c’est rare, 5 % des diagnostics environ. Mais cela existe », introduit Florence Coussy, gynéco-oncologue à l’Institut Curie. Et cette proportion reste stable, selon les spécialistes interviewés.
« Je partage l’impression de suivre beaucoup de femmes jeunes, mais on n’a aucun signe objectif pour la confirmer, observe Jean-Yves Pierga de l’Institut Curie. Le nombre de cancers du sein a doublé en trente ans : on est passé de 25.000 diagnostics en 1970 à 52.000 en 2000. Mais les données épidémiologiques récentes ne montrent pas une augmentation particulière chez les femmes jeunes. »
Selon les chiffres de l'Institut national du cancer, qui a publié une grande étude en juillet 2019, le nombre de cancers du sein augmente, en effet, toutes catégories d’âges confondues, de 1.1 % par an. Pour les femmes autour de 40 ans, cette hausse est de 0.9 %. Il y a donc de plus en plus de femmes touchées par ce cancer, mais à tout âge.
Quelles sont les spécificités de la prise en charge pour cette tranche d’âge ?
Si l’Institut Curie a voulu se pencher sur les cancers du sein chez les jeunes, c’est aussi parce qu’ils présentent des spécificités. Notamment le fait que ces maladies sont souvent découvertes à un stade avancé, des patientes souffrant d’un retard de diagnostic. Plusieurs raisons sont avancées. D’une part, les soignants ne vont parfois pas privilégier ce diagnostic, et donc les examens nécessaires pour une patiente âgée de 25 ans. D’autre part, la grossesse, moment où les seins se transforment, peut faire passer à côté d’une grosseur inquiétante. Par ailleurs, le dépistage organisé concerne les femmes de 50 à 75 ans, si bien que les plus jeunes en sont exclues. Or, plus ces patientes sont prises en charge tard, plus la maladie risque d’être difficile à combattre.
« Je pense que les cancers chez les femmes jeunes nous marquent plus », avoue Jean-Yves Pierga. Parce que le retentissement dans la vie, au niveau familial, sexuel, professionnel, ne prend pas la même ampleur à 30 ans et à 70 ans. Notamment pour celles qui souhaitent avoir des enfants, et dont il faut au maximum tenter de conserver la fertilité .
Quels sont les facteurs de risques pour ces femmes jeunes ?
Premier cas de figure : les facteurs sur lesquels les patientes ne peuvent pas agir, au premier rang desquels la génétique. « On constate une surreprésentation des formes associées à la génétique : elle touche 5 % des femmes tous âges confondus, alors que cela monte à 10 ou 12 % chez les jeunes », reprend Florence Coussy.
Deuxième facteur de risque : ce qu’on appelle « l’imprégnation hormonale ». Les femmes ont aujourd’hui leurs règles plus tôt qu’avant, vivent moins de grossesses et tombent enceintes plus tard. « Ce qui allonge, au cours de la vie, l’exposition aux œstrogènes, augmentant les risques », précise Jean-Yves Pierga. Qui détaille : « C’est dans la première partie du cycle, avant l’ovulation, que le tissu de la glande mammaire serait plus susceptible de proliférer, et donc de dysfonctionner en une tumeur. Les mois de grossesse et d’allaitement, pendant lesquels ce développement n’a pas lieu, pourraient avoir un effet protecteur. »
Les spécialistes insistent sur le fait que l’hygiène de vie peut également être pointée du doigt. Notamment la sédentarité et le surpoids. Deux maux particulièrement contemporains… « On sait que l’activité physique réduit de 20 % la survenue d’un cancer du sein, explique Bruno Cutuli, oncologue radiothérapeute et président de la Société Francaise de Sénologie et de Pathologie Mammaire (SFSPM). Une alimentation trop riche en graisses animales pourrait également être visée. On voit que l’incidence du cancer du sein au Japon est 4 à 5 fois plus basse qu’aux Etats-Unis, sachant que le poids moyen des Japonaises est plus bas et qu’elles mangent plus équilibré (fruits, riz, poisson). »
Autres « alliés » du cancer du sein : le tabac et l’alcool. Si les Français fument moins depuis 2017, à plus long terme, la cigarette a fait une percée chez les femmes : en 1974, sur 100 fumeurs, 33 étaient des femmes et 67 des hommes, alors qu’en 2012, on comptait 46 fumeuses pour 54 fumeurs, selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. « L’impact du tabac est moindre dans le cancer du sein que du poumon, mais il existe », insiste Florence Coussy. Les femmes jeunes consomment également davantage d’alcool que leurs mères ou leurs grands-mères. Or, l’INCa pointe que « la consommation d’alcool serait responsable de 15 % des cas de cancer du sein en France, selon un récent rapport du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) ». Une information que beaucoup de femmes ignorent. « Nous travaillons sur l’hypothèse que l’alcool puisse avoir un impact sur la fabrication des œstrogènes », avertit Jean-Yves Pierga.
En d’autres termes, une femme qui a ses règles à 10 ans, aucun enfant et qui boit beaucoup aura davantage de risques de développer un cancer du sein qu’une femme pubère à 15 ans, mère de trois enfants et qui n’a jamais bu une bière. Des risques relatifs, cependant. « La mutation génétique BRCA1 [popularisée par l'histoire d'Angelina Jolie] multiplie par 7 le risque d’une femme de développer un cancer du sein, alors que ces facteurs " mode de vie " multiplient ce risque par 1,2 à 1,5, prévient Jean-Yves Pierga. Et malheureusement, on peut avoir un mode de vie sain et développer un cancer du sein à 30 ans. Qu’est-ce qui intervient dans la genèse d’une tumeur ? Pour le moment, dans certains cas, on n’a pas d’autre explication que le fruit du hasard. »
Quelles sont les autres hypothèses ?
De nouvelles études pourraient éclairer d’un jour nouveau cette maladie chez les femmes de moins de 40 ans. La question de la pollution et des perturbateurs endocriniens reste notamment entière. « Les facteurs environnementaux doivent être étudiés, mais pour le moment, nous ne disposons pas de données robustes sur ce sujet », souligne Florence Coussy. Autre inquiétude du côté de certaines femmes : la pilule, perturbateur endocrinien s’il en est, popularisé à partir des années 1970, et que certaines prennent des décennies durant. « La question de la pilule est encore controversée, reconnaît la gynéco-oncologue. Une méta-analyse a été menée et était plutôt rassurante. Mais avec un bémol : il s’agissait de pilules anciennes. Dernièrement, une étude danoise sur toutes les pilules actuelles montre un léger sur-risque de cancer du sein de 1,2 point. Je pense qu’il est nécessaire que les études sur la contraception se poursuivent. » Dans un communiqué, le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) précise toutefois que « ce léger sur-risque diminue après l’arrêt pour rejoindre finalement celui des non-utilisatrices de pilule ».