Violences conjugales : Comment les professionnels de santé peuvent repérer et accompagner au mieux les victimes ?
SOUTIEN•Les médecins, infirmières et sages-femmes ont un rôle primordial pour informer et aider au mieux les victimes de violences conjugalesOihana Gabriel
L'essentiel
- Un mois après le lancement du Grenelle des violences pour lutter contre les violences faites aux femmes, la Haute Autorité de santé publie ce mercredi des conseils pratiques aux professionnels de santé pour mieux accompagner les victimes.
- Quelles questions poser ? Quels numéros donner ? Comment repérer une femme sous emprise ? Avec ces conseils, la HAS espère que les professionnels pourront davantage épauler ces victimes.
- La HAS suggère surtout que tous les médecins, au premier rang desquels les généralistes, systématisent pour chaque patiente la question sur les violences conjugales, pour inviter au dialogue.
«Une femme accueillie dans notre centre a été sortie de l’enfer conjugal grâce à une sage-femme de la Protection maternelle et infantile (PMI), alertée par une jambe cassée », dévoile Françoise Toutain, directrice du centre Flora Tristan, établissement francilien géré par l’association SOS Femmes Alternative. « Les professionnels de santé ont un rôle crucial à jouer, car ils sont souvent les premiers interlocuteurs des victimes de violences conjugales et peuvent sauver des vies, ajoute Dominique le Guludec, présidente de la Haute Autorité de Santé (HAS). Or, leur mobilisation n’est pas suffisante ».
Voilà pourquoi l’organisme sanitaire publie ce mercredi le premier guide pratique à destination de tous les professionnels de santé de premier recours (généralistes, sage-femme, kiné, dentistes, infirmières…). Une boîte à outils pour mieux détecter ces violences, mais également être moins démunis face à une victime.
Une porte d’entrée pour trouver la sortie
Aujourd’hui en France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou ex-partenaire, et 220.000 personnes sont victimes de violences conjugales. « Un problème qui touche tous les âges, toutes les cultures, tous les milieux sociaux », rappelle la présidente de la HAS. Et qui n’est pas uniquement du ressort des assistantes sociales et des policiers. « Car ces violences affectent la santé des victimes et celle de leurs enfants », reprend la présidente de la HAS. En effet, ces femmes risquent d’avoir des blessures, de traverser des dépressions, d’être victimes de viols.
Mais souvent, elles passent sous les radars. Et encore davantage quand il s’agit de violences psychologiques, d’humiliations, de harcèlement, moins visibles que les bleus. Or, le cabinet du médecin traitant – lequel peut être confronté à certains symptômes ou blessures à répétition inexpliqués - est souvent une porte d’entrée pour trouver la sortie. « Souvent, nous suivons toute la famille, donc les enfants témoins – et parfois victimes - également, mais aussi les auteurs de ces violences », soulève Mathilde Vicard-Olagne, généraliste qui a participé à la création de ces recommandations. « Le cabinet est l’un des seuls endroits où elles peuvent aller seules », ajoute Françoise Toutain.
Mais évoquer ce sujet tabou n’a rien d’évident. « Les médecins manquent de temps, reconnaît Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes, qui accueille à Saint-Denis les femmes victimes et vulnérables. Certains se disent " De quoi je me mêle ? ", ont peur de faire pleurer leur patiente. Mais je peux en témoigner : poser la question des violences conjugales ne prend pas énormément de temps. Nous ne sommes pas là pour régler le problème d’une femme frappée depuis vingt ans, mais pour lancer le dialogue. »
La HAS propose donc qu’à chaque consultation, et contrairement à ce qui est fait aujourd’hui, le professionnel de santé pose la question suivante : « Êtes-vous victime de violences conjugales ? ». Tout en l’adaptant à chaque patiente. « On peut suggérer les choses en disant " J’ai des patientes qui présentent le même type de symptômes et qui sont victimes de violences conjugales, est-ce votre cas ? " », avance Mathilde Vicard-Olagne, généraliste. « On n’est pas obligé d’utiliser le mot " violences ", mais on peut demander " Est-ce que vous rencontrez des difficultés à la maison ? ", renchérit Ghada Hatem. Au début, quand on posait la question de la consommation d’alcool et de drogues aux femmes enceintes, elles se crispaient. Aujourd’hui, elles se sont habituées. Cela doit être pareil sur cette question. » Parmi les conseils pratiques, la HAS insiste sur l’importance de n’émettre aucun jugement sur les dires de la patiente.
Donner les infos essentielles
Une fois l’information connue, le médecin se retrouve parfois dans l’incapacité d’aider par manque de connaissances. La boîte à outils de la HAS répertorie donc les numéros d’urgence, sites d’information et contacts d’associations qui prennent en charge ces femmes. Le document distingue les « situations à risque élevé » des « situations jugées graves ». Dans le premier cas de figure, le médecin peut suggérer à la personne de photocopier ses papiers, faire un double de ses clefs, mettre un peu d’argent de côté et préparer un sac avec quelques affaires, dans le cas où elle devrait quitter le foyer rapidement. Si la personne se retrouve en danger immédiat, le médecin peut l’hospitaliser directement ou appeler le 15.
Dans tous les cas, le professionnel de santé doit surtout donner les informations essentielles : comment quitter le domicile conjugal avec ses enfants ? Comment déposer une main courante ou même réaliser un signalement au procureur de la République. « L’objectif, ce n’est pas de forcer, mais d’ouvrir un espace de dialogue pour favoriser une reprise d’autonomie », insiste Mathilde Vicard-Olagne.
Lire notre dossier sur le sujetUne sensibilisation à l’emprise
Car quitter un compagnon violent peut prendre des années. Ce qui peut créer, chez ces professionnels de santé, une certaine frustration. « C’est pourquoi ils doivent être sensibilisés à la notion d’emprise, insiste Humbert de Freminville, médecin généraliste et légiste. Comme pour les fidèles d’une secte, la victime va subir la séduction du prédateur, qui s’immisce dans son cerveau pour reprogrammer sa façon de penser. Ces victimes nécessitent une prise en charge particulière pour éviter qu’elles ne retournent dans les bras de leur agresseur. » A l’heure actuelle, une telle sensibilisation à l’emprise et aux violences conjugales n’est pas prévue dans la formation initiale des médecins.
Un autre dispositif pourrait changer la donne. Lors du Grenelle des violences conjugales, il y a un mois, le Premier ministre a annoncé que la possibilité pour ces victimes de porter plainte à l’hôpital allait être généralisée.