« Le changement est impressionnant »... On a visité les urgences d’Argenteuil avec Agnès Buzyn
REPORTAGE•La ministre de la Santé, qui a annoncé la semaine dernière 12 mesures pour une refondation des urgences, a visité un service à Argenteuil, où des solutions concrètes sont testéesOihana Gabriel
L'essentiel
- Ce mardi, 255 services d’urgence, rejoints depuis la semaine dernière par des médecins, étaient toujours en grève.
- Alors que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a annoncé 12 mesures et une enveloppe de 750 millions d’euros lundi 9 septembre, elle a poussé la porte des urgences d’Argenteuil, qui ont devancé ces solutions.
- Depuis un an, ces urgences ont notamment mis en place une unité de médecine d’orientation, soit jusqu’à 28 lits qui font tampon avec les lits en aval.
Un an et demi. En mars 2018, Agnès Buzyn s’était rendue aux urgences d’Argenteuil (Val d’Oise), à l’hôpital Victor Dupouy, en pleine tourmente : pic de grippe, soignants à bout, préavis de grève. Ce mardi, la ministre est revenue voir comment le service avait réussi à se réorganiser. L’occasion pour elle d’observer de plus près ce qui fonctionne, une semaine après l'annonce de 12 mesures pour une « refondation des urgences », et alors que le mouvement de protestation se poursuit à travers le pays. « Les avancées principales du " Pacte pour la refondation des urgences " ont été annoncées la semaine dernière, et maintenant, il faut voir comment on va décliner les 12 mesures sur le terrain », explique l’ancien urgentiste Thomas Mesnier, député LREM en charge de la mission sur les urgences, présent ce mardi.
Unité de médecine d’orientation
Sur place, on croise quelques poussettes et des patients aux regards étonnés de croiser une ministre. Mais ni banderoles de grève, ni agressivité. Pourtant, en dix ans, le nombre de patients aux urgences est passé de 50.000 à 100.000… « Aucun hôpital ne peut absorber de façon indéfinie cette augmentation, voilà pourquoi il faut réguler l’amont », assure la ministre.
Une idée a fait ses preuves à Argenteuil depuis l’hiver dernier, notamment en phase d’épidémie de grippe : l’unité de médecine d’orientation (Umedo). Soit entre 14 et 28 lits, en fonction de la saison et des besoins, qui peuvent accueillir pendant 24 heures les patients, avec une prédominance pour les personnes âgées. Le tout complété par un gériatre assurant des visites. « L’admission en gériatrie ne peut pas toujours se faire directement, donc cette unité permet de faire tampon, explique Catherine Le Gall, directrice des urgences d’Argenteuil. Cela a permis de faire baisser l’attente aux urgences d’1h30. C’est dix patients de moins sur les brancards. » Un couloir avec quelques chambres, calmes, accueille donc des patients dans des conditions plus apaisées et intimes que d’autres services d’urgences. « Il n’y a pas le bruit, l’agitation, l’inquiétude que l’on peut voir habituellement », salue Agnès Buzyn. Et pour les soignants ? « L’absentéisme a baissé », assure la directrice des urgences.
« Un éternel recommencement »
« Le changement est impressionnant », avance la ministre. « C’est un travail collectif », réplique modestement Catherine Le Gall. Qui ne gomme pas pour autant les difficultés. Notamment quand les urgentistes tentent d’adresser certains patients à la maison médicale de garde. « Cette dernière ne propose pas le tiers payant. Or, avancer 50 euros peut freiner, surtout avec notre bassin de population », nuance-t-elle. « Nous allons justement mettre en place le tiers payant dans les centres de santé », répond Agnès Buzyn.
Autre problème majeur : le manque de généralistes. « Aujourd’hui, on a 40 généralistes pour 100.000 personnes », reprend la cheffe de service. « Vous êtes dans un désert médical et pourtant, vous avez partiellement répondu au problème », résume Agnès Buzyn. « Mais c’est un éternel recommencement, nuance Catherine Le Gall. On attend beaucoup des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), de la hausse du numerus clausus et du Service d'accès aux soins (SAS). » Des références aux dossiers portés par la ministre, qui veut encourager une plus grande collaboration entre ville et hôpital, via les CPTS et via un service disponible 24h sur 24 pour toute urgence (le SAS). « Vous avez vu, j’ai bien bossé vos 12 annonces ! », s’amuse Catherine Le Gall.
La délégation des tâches
« Avec la crise actuelle, on ne voit que ce qui va mal aux urgences, regrette la directrice. En 2018, on a eu jusqu’à 27 patients qui dormaient dans les couloirs. Ce n’est plus le cas. » Mais elle estime aussi qu’il faut aller plus loin. Voilà pourquoi l’hôpital Victor Dupouy est en train de créer des protocoles de délégations, pour que des infirmières puissent traiter certaines pathologies : lombalgie aiguë, cystite, brûlure, angine, petite suture. Dès octobre, certaines infirmières prendront en charge des patients… reçus ensuite par un médecin. L’objectif ? « On veut mener une enquête pour voir si les deux soignants posent le même diagnostic, et si le patient accepte d’être soigné par une infirmière », explique Catherine Le Gall. En faisant cela, l’équipe anticipe l’une des mesures annoncées par la ministre : la création de postes d’infirmières de pratique avancée aux urgences.
Du temps et des moyens
« Le diagnostic et les solutions, on les partage, reprend Agnès Buzyn. Mon problème, c’est la rapidité de mise en œuvre. Car il faut vite améliorer les conditions de travail des soignants aux urgences. » En effet, les infirmières de pratique avancée, formées à partir de septembre 2020, n’arriveront dans les services qu’en septembre 2022. Les CPTS mettent du temps à s’imposer. Et les étudiants en médecine formés aujourd’hui s’installeront… dans dix ans. Un constat que le collectif Inter-Urgences, qui mène le mouvement social depuis mars, a établi dès les annonces. Mais ce n’est pas le seul problème. Car la ministre refuse d’augmenter les effectifs de paramédicaux, une des principales revendications du collectif.
Et si le climat social semble apaisé aux urgences d’Argenteuil, certaines infirmières avaient tout de même un message à faire passer. « Ajouter des infirmières de pratique avancée, pourquoi pas ? Mais on a un souci d’effectif. Si on fait davantage d’actes mais que les effectifs baissent, cela ne réglera pas le problème ! » « L’idée n’est pas de remplacer les infirmières par des infirmières de pratique avancée », leur affirme Agnès Buzyn. Qui n’a pas pour autant répondu favorablement. « Multiplier les effectifs, c’est mettre un pansement sur une plaie, justifie pour sa part Thomas Mesnier. Dans deux ans, il faudrait en ajouter à nouveau, si on ne règle pas les problèmes de fond. »