VIDEO. Pénuries de médicaments : « Je vis dans l’angoisse de ne pas pouvoir me procurer mon traitement »
TEMOIGNAGES•Les pénuries de médicaments sont vingt fois plus nombreuses en France qu’il y a dix ans, et affectent de nombreux patients pour qui il devient difficile de se procurer son traitement
Anissa Boumediene
L'essentiel
- De nombreux médicaments et vaccins sont fréquemment en tension ou en rupture d’approvisionnement.
- Certains patients sont contraints de faire le tour des pharmacies chaque mois pour se procurer leur traitement.
- Un phénomène chronique source d’angoisse pour les patients et qui peut mettre leur santé en péril.
Edit: Jeudi 19 septembre, Edouard Philippe rencontre des représentants des entreprises du médicament afin d’engager rapidement des actions pour faire face à la pénurie de médicaments. A cette occasion, nous remontons cet article publié en août 2019.
Surmonter l’angoisse, trouver le bon traitement et tenter de reprendre un quotidien serein et en bonne santé malgré la maladie. Ça, c’est ce qui est censé se passer quand tout va bien, et que les tiroirs des pharmacies hospitalières et de ville sont correctement achalandés. Problème : en pratique, les pénuries de médicaments sont de plus en plus fréquentes, vingt fois plus nombreuses qu’il y a dix ans. Antibiotiques, traitements contre le cancer, l’hypertension, antiépileptiques ou encore pilule pour traiter l’endométriose : les médicaments en tension ou rupture d’approvisionnement concernent de nombreuses maladies, et de très nombreux patients et patientes parfois contraints d’interrompre le traitement médicamenteux qui les maintient en bonne santé, faute de pouvoir se les procurer. Outre le stress que ce phénomène cause, il n’est pas sans impact sur la santé des malades.
« Il peut revenir dans une semaine comme dans six mois »
Pour soigner son endométriose, Mélinée prend du Lutéran (un progestatif) depuis plusieurs années. « Depuis plusieurs mois, il est de plus en plus difficile de s’en procurer, et au mois de juillet, la pharmacie a consulté tous les laboratoires qui en fabriquent, et tous étaient en rupture de stock. J’ai paniqué car sans ce traitement, mes règles sont hémorragiques et me causent des douleurs insupportables, accompagnées de nausées. Ma gynécologue m’a heureusement délivré un traitement de substitution (Lutényl ou Colprone), qui pour le moment est encore disponible. Mais à ce jour, je n’ai obtenu aucune indication sur la date de retour de mon traitement initial en pharmacie ».
Même maladie, même traitement et même galère pour Florence. « Ce traitement me permet de vivre sans opération, sans aucun arrêt maladie, ni saignement et douleurs, pour mener une vie personnelle et professionnelle normale. Mais depuis deux ans, j’ai beaucoup de mal à trouver ce médicament qui est régulièrement en rupture. Et là, il est en rupture totale, ainsi que tous ses génériques ! J’ai réussi à me procurer un mois de traitement, mais après ? A la pharmacie on me dit : “il peut revenir dans une semaine comme dans six mois”. Sauf que moi, sans ce traitement, j’atterris aux urgences, redoute la jeune femme. Je vis dans l’angoisse de ne pas pouvoir me procurer mon traitement ».
« Je fais en moyenne cinq pharmacies chaque mois avant de trouver mon traitement »
Alors, pour trouver les médicaments dont ils ont chaque jour besoin, certains font le tour des pharmacies, jusqu’à trouver leur précieux traitement, comme Alain, qui depuis plusieurs mois a « beaucoup de difficultés » à trouver son médicament prescrit contre l’hypertension. « Il faut que je fasse tous les mois plusieurs pharmacies avant de pouvoir me le procurer. Cela me prend beaucoup de temps et génère énormément de stress. J’envisage d’aller trouver mon médecin traitant pour voir s’il existe un autre traitement possible ».
Jacques, qui souffre d’ulcères chroniques de l’œsophage et de l’estomac, n’a pas la possibilité de changer de traitement. « Depuis six mois, j’ai beaucoup de mal à me procurer du Rabéprazole, ce médicament que je prends au quotidien et qui est essentiel à ma survie. Donc chaque mois, je fais en moyenne cinq pharmacies avant de le trouver, raconte-t-il. Et il n’y a aucun traitement alternatif dans mon cas : si mon médicament venait à me manquer, je mourrais ».
Cette peur, Anne Marie ne peut pas non plus s’en défaire. « Je suis atteinte de la maladie de Parkinson et d’une aplasie médullaire. Tous les mois, c’est le même stress qui me ronge, confie-t-elle. Pour trouver mon traitement contre Parkinson, il m’est déjà arrivé de faire toutes les pharmacies de la région ! Et pour mon aplasie, le médicament qui m’est prescrit est tellement rare que je le commande systématiquement plusieurs semaines à l’avance. Ces ruptures d’approvisionnement, c’est très angoissant ».
« Comment peut-on en arriver là en France, en 2019 ? »
Depuis sa greffe de rein il y a vingt ans, Nathalie doit prendre de la cortisone tous les jours. « Je viens de vivre ma première pénurie au mois de juin. Ma pharmacie n’a pas pu me délivrer mon médicament pendant six semaines, et il était introuvable dans les autres pharmacies. Comment peut-on en arriver à manquer de traitements aussi basiques ? »
Parfois, des traitements de substitution peuvent être prescrits. A condition bien sûr qu’ils ne soient pas non plus en rupture de stock, comme Françoise en a fait l’amère expérience. « Pour soigner ma bipolarité, je prends du Dépamide, qui est en rupture de stock depuis un moment. Face à cette pénurie, le médecin m’a prescrit du Dépakote, qui à son tour n’est plus approvisionné ! Je ne sais plus comment faire pour me soigner, déplore Françoise. Je me demande comment les laboratoires justifient ces pénuries qui sont dangereuses pour notre santé ».
Et quand aucun traitement de substitution n’existe, les patients se retrouvent bien seuls face à leur désarroi. « Je suis atteinte d’une mastocytose systémique, une maladie auto-immune, explique Catherine. Je suis un traitement à base d’Intercron depuis plus de dix ans. Le problème, c’est que le laboratoire français qui fournissait mon médicament en a subitement arrêté la production et aujourd’hui, il n’est plus commercialisé. Tant que j’ai pu, j’ai trouvé des médicaments en Italie puis en Suisse, mais aujourd’hui, le médicament est introuvable, et mon état de santé se dégrade : je fais plusieurs malaises par semaine, mes allergies sont plus fortes et plus fréquentes que jamais, je suis très fatiguée et cela m’affecte dans mon travail ». Pour Catherine, « l’alternative sera un nouveau protocole thérapeutique, avec tous les aléas et effets secondaires que cela implique. Je pense que ma santé est mise en danger par des labos qui s’en foutent ! C’est devenu un parcours du combattant de se soigner. Comment peut-on en arriver là en France, en 2019 ? Que fait l’Etat ? Que font les labos ? Combien de morts faudra-t-il avant de réagir ? »