Don du sang des homosexuels: Une mesure «qui va dans le bon sens» mais qui ne suffit pas pour les associations LGBT
SANTE•Contraints d’observer une abstinence sexuelle de douze mois pour pouvoir donner leur sang, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) devront, à compter du 1er février, s’être abstenus de rapports sexuels durant quatre moisAnissa Boumediene
L'essentiel
- Le délai d’abstinence d’un an que doivent actuellement respecter les homosexuels pour pouvoir donner leur sang en France sera réduit à 4 mois à compter du 1er février prochain, a annoncé ce mercredi Agnès Buzyn.
- Pour les associations de patients, la priorité reste de garantir la sécurité du système transfusionnel.
- Du côté des associations LGBT, on salue une mesure « qui va dans le bon sens », mais on déplore le maintien d’une discrimination entre les donneurs.
La période d’abstinence d’un an que doivent actuellement respecter les homosexuels pour pouvoir donner leur sang en France sera réduite à 4 mois à partir du 1er février 2020, a annoncé ce mercredi le ministère de la Santé. Il s’agit, d’une « évolution » et « d’une première étape » vers un alignement des conditions du don pour les homosexuels sur celles des hétérosexuels, envisagé « à l’horizon 2022 ».
Un alignement qui, par respect pour la sécurité des receveurs, ne pourra intervenir qu’après une évaluation des risques faite « en toute transparence », assure le ministère. L’abstinence d’un an, instituée en 2016 par arrêté, avait suscité les critiques d’associations homosexuelles qui y voyaient une discrimination à leur égard. Avant 2016, et depuis 1983, en raison des risques du sida, l’exclusion des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) était totale.
La décision de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de réduire de 12 à 4 mois le délai permettant de donner son sang après la dernière relation sexuelle entre hommes, s’inscrit dans le cas de l’évaluation régulière des critères de sélections des donneurs et « s’appuie sur des éléments scientifiques, objectifs et indépendants ».
« C’est un pas qui va dans le bon sens, mais c’est dommage d’attendre »
Cette réduction du délai d’abstinence applicable aux HSH « est un pas qui va dans le bon sens, mais qui reste insuffisant en ce qu’il ne permet pas l’égalité entre tous les donneurs », indique à 20 Minutes Jérémy Faledam, coprésident de l’association SOS homophobie. Pour lui, il est « nécessaire de changer de paradigme en ne retenant pour seul critère d’exclusion que les pratiques à risques, et non l’appartenance à un groupe jugé à risque. Nous espérons donc que cette annonce n’est qu’une étape vers une ouverture complète de l’accès au don du sang. Donner son sang n’est pas un droit mais un geste altruiste et citoyen dont les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ne doivent pas être exclus en raison de leur orientation sexuelle », estime-t-il.
« Ça va dans le bon sens, commente Me Etienne Deshoulières, avocat de l'association Mousse. On constate que le ministère de la Santé considère que la situation actuelle n’était pas acceptable, donc on se réjouit que le gouvernement avance vers la fin de cette discrimination. Mais nous aurions souhaité que le gouvernement aille plus loin en la supprimant totalement, sans attendre encore trois ans ». L’association, qui lutte contre les discriminations homophobes, rappelle que la fenêtre silencieuse du VIH, pendant laquelle le patient est infecté mais le virus est encore indétectable, est d’une dizaine de jours. « La réduction du délai d’abstinence à quatre mois correspond à 12 fois la durée de la fenêtre silencieuse, estime Me Deshoulières. Dans un premier temps, avant la levée totale de cette discrimination, un délai d’abstinence de trois mois aurait été largement suffisant pour garantir le principe de précaution et la sécurité des patients transfusés ».
Même sentiment du côté de l’association STOP Homophobie. « D’abord, on s’est réjoui en apprenant cette annonce de la ministre de la Santé, mais on s’est aussitôt demandé "pourquoi maintenir cette discrimination à l’égard des HSH qui souhaitent donner leur sang ?", confie Terrence Katchadourian, secrétaire général de l’association. Les études démontrent que depuis l’ouverture du don du sang aux HSH en 2016, il n’y a pas eu d’augmentation des risques pour les personnes transfusées, donc cette étape supplémentaire » pour l’horizon 2022 « n’est pour nous pas satisfaisante. On a l’impression d’être encore perçus comme des pestiférés, de ne recevoir que des paroles dans le vide et d’être dans l’attente continuelle de l’égalité entre tous les donneurs, quelle que soit leur orientation sexuelle. Mais nous continuerons à nous battre pour la levée complète de cette discrimination ».
En juin dernier, les trois associations LGBT avaient déposé une plainte contre la France devant la Commission européenne pour dénoncer l’obligation faite aux HSH d’observer une période d’abstinence de douze mois pour être autorisés à donner leur sang.
« La sécurité du receveur primera toujours »
Du côté des associations de malades, le message est clair : il faut continuer à garantir la sécurité des patients transfusés. Dans un communiqué commun, l’Association française des hémophiles (AFH) et AIDES rappellent que « le don du sang n’est pas un droit et qu’il n’a pas à répondre à une demande sociale des donneurs, mais aux besoins des receveurs. C’est cette logique et elle seule qui doit être préservée pour garantir la sécurité du système transfusionnel ». Ainsi, « pour la communauté des personnes vivant avec une maladie hémorragique rare, la sécurité du receveur primera toujours. Le surrisque, même minime, n’est pas acceptable. Le prix à payer des errances en matière de sécurité transfusionnelle, nous le connaissons : des centaines de personnes contaminées dans les années 1980 et une communauté décimée », indique Nicolas Giraud, président de l’AFH
Les deux associations avancent des chiffres illustrant la nécessité d’avoir une vigilance accrue sur les dons de sang d’HSH. « En 2017 en France, les HSH étaient toujours jusqu’à 200 fois plus exposés au VIH que les hétérosexuels et représentaient toujours 41 % des nouveaux diagnostics (2.600 HSH) », soulignent-elles. Pour Aurélien Beaucamp, président de AIDES, « dès l’entrée en vigueur de la réforme, l’Etat doit engager une évaluation précise de son impact et maintenir la possibilité d’un alignement total des critères entre HSH et hétérosexuels dès lors que de nouvelles données le permettront ».
« C’est un progrès »
L’Etablissement français du sang (EFS) se prépare quant à lui à accueillir ces nouveaux donneurs. « Cette mesure est un progrès par rapport aux restrictions précédemment en vigueur, explique à 20 Minutes François Toujas, président de l’EFS. Les études de l’agence sanitaire Santé publique France ont montré que l’ouverture du don du sang aux homosexuels en juillet 2016 n’avait pas augmenté le risque résiduel de transmission du virus du sida déjà " très faible " en France, de l’ordre d’un sur six millions. C’est donc une étape vers une égalité totale d’ici à 2022, si l’évaluation du risque résiduel à l’avenir va dans ce sens ».
En outre, « l’EFS mène une réflexion assez forte depuis un moment déjà afin de moderniser la relation avec les donneurs, d’améliorer l’accueil de celles et ceux qui viennent vers nous pour donner leur sang, et d’être capable de leur fournir tous les outils nécessaires pour leur permettre d’évaluer leur capacité à donner ».