INTERVIEWUne étude pointe le rôle du placenta dans les grossesses pathologiques

Fausse couche: «Le placenta joue un rôle majeur de protection et il est très sensible à l’état immunitaire de la mère»

INTERVIEWUne équipe de chercheurs a découvert que certaines fausses couches et retards de croissance pourraient être liés à la production par la mère d’une molécule qui peut altérer la formation du placenta
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Des chercheurs ont découvert que la production d’interféron, une molécule générée quand la mère doit lutter contre certaines infections, peut endommager le placenta.
  • Or, le placenta protège, nourrit et sert de lien avec la mère.
  • Si on savait que certaines infections pouvaient augmenter le risque de fausse couche, on ignorait jusqu’ici le processus cellulaire qui l’expliquait. Olivier Schwartz, l’un des auteurs de l’étude, explique en quoi cette découverte est importante.

Les fausses couches ont beau être courantes, elles n’en sont pas moins douloureuses. Et pour beaucoup mystérieuses. Voilà pourquoi cette découverte sur les causes du développement anormal du placenta dans certaines grossesse pathologiques pourrait être importante. Des équipes de l’ Institut Pasteur, du CNRS, de l’Inserm, de l’ hôpital Necker-Enfants malades AP-HP et de l’ Université de Paris ont travaillé main dans la main et identifié un nouveau mécanisme cellulaire qui altère la formation du placenta et pourrait ainsi provoquer des complications, comme un retard de croissance du fœtus ou une fausse couche. 20 Minutes a interviewé l’un des auteurs de cette étude, Olivier Schwartz, chef de l’unité Virus et immunité à l’Institut Pasteur, pour en savoir plus.

Olivier Schwartz, chercheur et chef de l’unité Virus et immunité à l’Institut Pasteur
Olivier Schwartz, chercheur et chef de l’unité Virus et immunité à l’Institut Pasteur  - Institut Pasteur/François Gardy

Vous avez travaillé sur la formation du placenta. Mais tout d’abord, à quoi sert exactement le placenta ?

C’est une structure très complexe, qui baigne en partie dans le sang de la maman. Le placenta joue un rôle fondamental pour le développement du fœtus, à la fois comme tente de protection et comme frontière entre la maman et le fœtus. Le placenta est composé de cellules fœtales, ce qui veut dire qu’elles viennent non pas de la mère, mais du fœtus. Pour que ce dernier puisse se développer, il faut qu’il soit protégé des microbes et du système immunitaire de la mère, chargé d’éliminer tout ce qui est reconnu comme étranger. Heureusement, le placenta permet de protéger le fœtus, de le nourrir et d’éliminer les déchets qu’il produit.

Qu’avez-vous découvert ?

En étudiant la formation du placenta, nous nous sommes penchés sur sa couche externe. Nommée le « syncytiotrophoblaste », elle est constituée de cellules qui fusionnent entre elles et forment une cellule géante, assurant ainsi de façon optimale les fonctions de barrière et d’échanges du placenta. Nous avons montré que si cette fusion de cellules est perturbée, cela peut avoir des conséquences sur le fonctionnement du placenta, et donc sur le développement de l’embryon ou du fœtus. Rappelons qu’on parle d’embryon jusqu’au troisième mois de grossesse, et ensuite de fœtus. Et que le placenta se développe à partir d’une semaine de grossesse.

Quel enseignement en tirer ?

On s’aperçoit que lorsqu’il y a des fausses couches ou des retards de croissance du fœtus, ces problèmes peuvent venir non pas du fœtus lui-même, mais du placenta. Et que c’est lié à la production d’interféron, une molécule générée en réponse à certaines infections, notamment virales, qui aide le système à fonctionner normalement. Si la mère développe certaines maladies, comme la toxoplasmose, le cytomégalovirus, le virus de l’Herpès ou Zika, en particulier pendant le premier trimestre de la grossesse, cette molécule peut entraver le développement du placenta.

On savait déjà que ces maladies pouvaient faire courir un risque au fœtus, mais on ne savait pas très bien pourquoi. Cette fois, on décrit les mécanismes pathologiques qui peuvent mener à un développement anormal et jusqu’à une perte de l’embryon. On comprend donc mieux pourquoi certaines infections ou maladies auto-immunes peuvent être dangereuses. Notre découverte, c’est que le placenta joue un rôle majeur de protection et qu’il est très sensible à l’état immunitaire de la maman.

Cela pourrait-il changer les choses pour la prévention des fausses couches ?

Aujourd’hui, il y a beaucoup de fausses couches dont on ne connaît pas l’origine. Entre 10 et 20 % des femmes enceintes perdent l’embryon pendant le premier trimestre. Notre découverte suggère que certaines fausses couches pourraient être dues à des problèmes de formation du placenta. On espère à terme que cela pourra aider à prévenir certaines grossesses pathologiques, mais on n’en est pas encore là. On comprend mieux ce qui se passe, reste à traduire cette découverte fondamentale en une stratégie de prévention.