AU BLOCLe manque d’anesthésistes à Nice, symbole des plaies de l’hôpital public

Nice: Le manque d’anesthésistes, symbole des plaies de l’hôpital public

AU BLOCLa pénurie touche toute la France, avec 2.400 postes vacants dans les hôpitaux publics. Elle est exacerbée à Nice
Mathilde Frénois

M.Fr. avec AFP

Le nouvel hôpital Pasteur 2 est un des symptômes des plaies de l’hôpital public. Des blocs opératoires de ce CHU sont régulièrement vides, par manque d’anesthésistes. Pourtant il y a trois ans, le soir de l’attentat de Nice, beaucoup de vies ont été sauvées dans cet établissement.

Généralisée, la pénurie touche toute la France, avec 2.400 postes vacants dans les hôpitaux publics. Elle est exacerbée à Nice, malgré l’attrait de la région, par la concurrence de nombreuses cliniques privées et la proximité de Monaco, selon la direction, accusée en retour par les syndicats et certains médecins de ne pas faire le nécessaire pour recruter.

« Très inquiet »

Elle a conduit à une grève inédite de cinq jours des blocs en septembre, à l’initiative de chirurgiens excédés, sur fond d’un malaise plus global qui a poussé récemment le doyen de la faculté de médecine Patrick Baqué, « très inquiet », à ne plus siéger dans les instances dirigeantes.

Mardi, jour de mobilisation des personnels hospitaliers, il était sur le parvis de l’hôpital avec le chirurgien Christophe Trojani, aux côtés des syndicalistes FO et CGT, du jamais-vu. « On a un marché de l’emploi médical plus tendu par rapport aux grandes villes comparables », se défend le directeur général Charles Guépratte, contesté pour son management strictement comptable, dans un établissement surendetté.

Les patients doivent attendre

Depuis les travaux de Pasteur 2, la dette atteint 400 millions d’euros, rapportée à un budget de 700 millions. Si le déficit se réduit (6,3 millions d’euros en 2018), les interventions chirurgicales diminuent aussi, de 3 à 5 % selon la direction. Priorité a été donnée aux urgences et à la cancérologie. Pour une pose de prothèse, les patients doivent attendre.

« Si j’avais pléthore d’anesthésistes, les blocs seraient plus utilisés. Notre objectif est de renflouer les effectifs mais ça prend du temps », ajoute le directeur du 13e CHU de France, avec environ 8.000 salariés. Sur le nombre de blocs vides ou d’anesthésistes manquants, les chiffres varient selon les interlocuteurs : la direction assure que 25,6 blocs sur 28 sont ouverts. « Un chiffre illusoire. Certains blocs n’ouvrent que pour deux heures et beaucoup d’activité orthopédique est partie en clinique », conteste le doyen de l’internat, Stéphane Richard, anesthésiste.

L’état déplorable d’une salle de réanimation

La réalité est bien une activité en baisse, des difficultés à trouver des intérimaires, et le cercle vicieux du surmenage pour les anesthésistes en poste. « Ceux qui restent sont encore plus en difficulté. On est très avancés dans cette spirale et tout le monde se demande jusqu’où ça va aller », observe Stéphane Richard.

Depuis janvier, la direction tente de rester attractive en versant des primes au temps de travail additionnel (TTA) aux anesthésistes travaillant au-delà de 48 heures par semaine. « Le privé paie au moins quatre fois plus mais il n’y a pas que l’argent : les gens veulent plus de considération, du matériel, une meilleure organisation. Si vous arrivez tôt et qu’il manque des brancardiers pour amener les malades, on est dans la théorie de l’empêchement ! », explose l’anesthésiste Pierre-Eric Danin. En 2018, le départ de ce médecin qui devait passer chef de service mais dénonçait l’état déplorable d’une salle de réanimation (murs qui suintent, patients entassés) avait fait grand bruit.

« Cocotte-minute »

« On ne peut plus travailler correctement, il y a une inertie volontaire de l’administration », dénonce lui aussi le Dr Christophe Trojani, spécialiste du genou et de la hanche. « Le bloc fonctionne à 50 %, il manque 25 anesthésistes », dit-il. Douze, rétorque la direction.

Au-delà, ce sont 300 personnes qui manquent au CHU, calcule Michel Fuentes, secrétaire général FO. « Il n’y a pas une catégorie de personnel qui n’est pas touchée, l’hôpital est une cocotte-minute, au bord de l’explosion. Tous les jours, je reçois des aides-soignantes et des infirmières en pleurs. A l’attentat, on a sauvé des vies. Le lendemain, on nous a abandonnés ».