SERIE 1/3VIDEO. L’IA s’invite dans la lutte contre le cancer

VIDEO. Intelligence artificielle et santé: Comment la lutte contre le cancer va se transformer

SERIE 1/3Alors que l’intelligence artificielle (IA) est en plein essor, « 20 Minutes » vous propose une série d’articles sur les débouchés en santé. Notre premier épisode est consacré à la révolution qui s’amorce en cancérologie
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Mardi 16 avril, la ministre de la Santé a annoncé le nom des dix lauréats qui bénéficieront de l’appui du Health Data Hub, un outil promouvant l’utilisation des données et le développement de nouvelles techniques, notamment celles liées à l’intelligence artificielle (IA), pour la santé.
  • L’occasion pour 20 Minutes de se pencher sur ce que l’IA peut modifier dans ce domaine.
  • Pour ce premier épisode, zoom sur les outils, pour l’heure testés, qui pourraient bientôt s’inviter dans les hôpitaux et révolutionner la prise en charge des cancers.

«Incepto, c’est un peu le Netflix de l’imagerie médicale s’appuyant sur l’intelligence artificielle », annonce Gaspard d’Assignies, radiologue et cofondateur d’Incepto. Une entreprise qui développe et distribue des outils qui vont aider les médecins à poser des diagnostics. Cette plate-forme, qui collecte et anonymise quantité de données médicales, vise à co-construire des applications d’intelligence artificielle (IA) avec ceux qui vont s’en servir dans un futur proche : les soignants.

Un appui pour les radiologues

Petit à petit, c’est par les services de radiologie que l’intelligence artificielle s’invite dans nos hôpitaux. En effet, le deep learning - apprentissage automatique par modélisation qui a permis d’accoucher, ces dernières années, de la reconnaissance faciale ou vocale – permet de lire, trier, vérifier une quantité phénoménale d’images. Facilitant ainsi le travail des radiologues.

Concrètement, l’IA devrait permettre, bientôt, d’éviter de passer à côté de signaux inquiétants sur une radio. Un progrès phénoménal en cancérologie. En effet, pour lutter contre cette maladie, qui a fait presque 10 millions de morts en 2018 à travers le monde, les progrès technologiques devraient être un atout de taille. D’autant que le travail des radiologues en cancérologie s’avère immense, particulièrement avec le dépistage national organisé en France du cancer du sein, du cancer colorectal et, depuis janvier 2019, du cancer du col de l’utérus. « En cancérologie, on fait énormément de radios, de mammographies, d’IRM, de scanners », explique le Dr Alain Livartowski, directeur des datas de l’Ensemble hospitalier de l ’Institut Curie et responsable des projets eSanté. Autant de documents que les médecins mettront moins de temps à analyser et avec moins de marge d’erreur. « Auparavant, les algorithmes n’étaient pas suffisamment performants, avec des taux d’erreurs de 20 %. Aujourd’hui, on est descendu en dessous de 5 %. »

« Donner une probabilité de cancer »

« Concernant le cancer du poumon, tenter de repérer des petits nodules sur un scanner du thorax revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Là, l’algorithme va dire où sont les nodules, quelle est leur taille, s’ils ont grossi, et donner une probabilité de cancer », note Gaspard d’Assignies. Qui dévoile qu’un radiologue doit parfois lire jusqu’à 50.000 images en une seule journée… « On est parfois à la limite de sa capacité de concentration, reprend-il. On travaille aussi sur une solution d’intelligence artificielle spécialisée sur le cancer du sein, premier cancer féminin. A l’avenir, on pourrait imaginer qu’une mammographie, qui est aujourd’hui lue par deux médecins, parfois à plusieurs jours d’écart, sera examinée directement par le radiologue et la machine, pour délivrer un diagnostic plus rapidement. » Du stress en moins pour la patiente, et un temps précieux gagné quand le cancer est déjà bien installé.

Mais cette IA en radiologie pourrait aussi faire partie des solutions pour lutter contre la désertification médicale. « Le radiologue gagne jusqu’à 30 % de temps de lecture, sachant qu’il y a de plus en plus de patients et de moins en moins de médecins. Cet appui d’algorithmes va aussi permettre à des radiologues non spécialisés, par exemple dans le cancer du sein, d’arriver à un niveau de performance comme s’ils étaient des experts. Ainsi, dans un désert médical, où les médecins doivent traiter de nombreuses pathologies différentes, l’IA peut se révéler une aide précieuse pour diagnostiquer un cancer rare. »

Une amélioration du suivi

Une fois le diagnostic posé, ces technologies basées sur l’IA pourraient également impacter la prise en charge. En effet, pouvoir comparer l’évolution des lésions cancéreuses d’un patient et à des groupes de patients permet de voir si le traitement est le bon ou non. « Et donc de changer la prise en charge beaucoup plus tôt », insiste Gaspard d’Assignies. « Quand on prescrit à un patient un traitement d’immunothérapie, dans de rares cas, au lieu de faire régresser la tumeur, ça l’a fait progresser, illustre Alain Livartowski. Et aujourd’hui, on n’est pas capable de l’anticiper. A partir d’importantes bases de données, cet outil va permettre de mieux prédire l’efficacité du traitement, c’est fondamental. »

Une démocratisation à venir

Si de nombreux experts voient dans l’introduction de l’IA dans les services de cancéro une véritable révolution, nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements, précise le Dr Alain Livartowski : « Enormément de projets sont nés depuis trois ans environ, mais la majorité n’est pas encore utilisée dans le cadre des soins. Encore faut-il que les travaux de recherche les valident. » « Mais petit à petit, cette technologie va se démocratiser », veut croire Gaspard d’Assignies, qui reconnaît que ces technologies nécessitent temps et moyens.

Pour l’expert de l’Institut Curie, des outils d’IA dans chaque service hospitalier, ce n’est donc pas pour tout de suite. Car pour perfectionner cette IA, il faut une très grande banque de données. Si les centres spécialisés dans le cancer, comme l’Institut Curie ou Gustave Roussy, disposent de milliers de dossiers, ce n’est pas le cas d’un petit hôpital de campagne. Qui n’aura sans doute pas les moyens de s’offrir un logiciel d’IA très performant et coûteux. Et Alain Livartowski de rappeler les nombreux challenges à relever. « Il faut faire la preuve que ces techniques sont supérieures à ce qu’on fait aujourd’hui, qu’on trouve un modèle économique pour que l’IA ne reste pas confinée dans les instituts spécialisés. Et il reste beaucoup de problèmes éthiques à traiter. Par exemple, en cas d’erreur de diagnostic, est-ce la machine ou l’humain qui est responsable ? »

Confidentialité des données

Autre chantier, celui de la confidentialité des données des patients. Dès 2000, l’Institut Curie a numérisé les dossiers des patients et ainsi rassemblé plus de 17 millions de comptes rendus de consultation, de chirurgie, de radiothérapie et de chimio concernant 500.000 patients. « Une information claire du patient est absolument indispensable, reconnaît Alain Livartowski. D’ailleurs, à l’Institut Curie, on explique par tous les moyens mis à notre disposition que les données pour les soins peuvent être utilisées pour la recherche et pour quel type de recherche. Les patients peuvent s’y opposer. Par ailleurs, il est très facile d’anonymiser les images. »

Mais de nombreuses questions restent en suspens face au déploiement exponentiel de l’IA, boostée par les GAFA. Un enjeu bien identifié. Lors du premier sommet européen de l’IA, à Paris, le 18 avril dernier, un partenariat européen a été dévoilé entre l’institut Carnot CALYM, Microsoft et Artefact (agence spécialisée en innovation data), afin de découvrir de nouvelles voies de recherche via le développement d’algorithmes performants pour mieux lutter contre le lymphome (cancer du système lymphatique). « Il nous faut développer un champion européen, c’est une question de souveraineté, plaide Gaspard d’Assignies. Pour que ces outils restent conformes à la protection des données personnelles, ce qui ne va pas forcément de soi en Chine, et dans un environnement de solidarité et de partage des coûts de santé, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis. »

Retrouvez l'épisode 2 de notre série: