EXCLUSIFVIDEO. La ministre Agnès Buzyn répond aux questions des jeunes sur la santé

VIDEO. Agnès Buzyn face aux jeunes: «Ce qui m'inquiète, c'est le déficit de médecins!»

EXCLUSIFJeudi dernier, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a rencontré six membres de notre communauté #MoiJeune, qui l’ont interviewée sur les sujets qui les préoccupent le plus
Oihana Gabriel

Propos recueillis par Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Santé mentale, perturbateurs endocriniens, accès à la santé, voilà les trois thèmes qui préoccupent le plus notre communauté #MoiJeune, selon une enquête « 20 Minutes »-OpinionWay.
  • Autant de sujets que six membres de ce panel ont pu aborder en face-à-face avec la ministre de la Santé, Agnès Buzyn.
  • Au cours d’un échange détendu et précis, Salomé, Dorian, Pierre, Solène, Maximilien et Camille, âgés de 19 à 24 ans, ont pu questionner la ministre

«C’est pour la jeunesse, pour vous, que je me suis engagée en politique. » Voilà comment s’est achevée l’heure d’échanges qui a eu lieu entrela ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn et six jeunes femmes et hommes venus l’interviewer dans nos locaux, en fin de semaine dernière. En parallèle d’une enquête 20 Minutes-OpinionWay menée pour connaître les principales préoccupations des jeunes en matière de santé, ces six étudiants et jeunes travailleurs, âgés de 19 à 24 ans et membres de notre communauté #Moijeune, sont venus de Besançon (Bourgogne-Franche-Comté), de Tergnier (Hauts-de-France) ou encore de Paris, pour rencontrer la ministre et lui poser leurs questions. Au menu de la discussion : la santé mentale, les perturbateurs endocriniens, les déserts médicaux ou encore la contraception.

Agnès Buzyn était à la rédaction de 20 Minutes pour échanger avec six jeunes de notre panel #MoiJeune jeudi 11 avril 2019.
Agnès Buzyn était à la rédaction de 20 Minutes pour échanger avec six jeunes de notre panel #MoiJeune jeudi 11 avril 2019.  - C. Follain / 20 Minutes

Pierre : Alors que le suicide est la deuxième cause de mortalité des 15-24 ans, que proposez-vous pour améliorer le suivi des jeunes fragiles ?

On n’a pas assez anticipé le besoin en santé mentale et les centres médico-psychologiques sont débordés. Pour les jeunes âgés de 11 à 25 ans, nous lançons une expérimentation (Ecoute’Emoi) dans trois régions, qui va leur permettre de consulter un psychologue et d’être remboursé quand ils sont en souffrance. Pour ceux qui ont déjà fait une tentative de suicide, nous allons financer et déployer dans la France entière une expérimentation qui a bien marché dans le Nord-Pas-de-Calais, qui s’appelle VigilanS : l’équipe VigilanS, qui inclut des psychiatres, rappelle le patient après une tentative de suicide, pour l’accompagner une fois reparti chez lui. Ensuite, nous voulons former les étudiants aux premiers gestes de secours en santé mentale, pour qu’ils soient en capacité de soutenir et d’orienter vers un lieu d’écoute un jeune qui va mal.

Dorian : La fragilité psychologique est parfois amplifiée par les addictions. Sur le tabac, certaines actions ont été menées. Qu’est-ce qui est mis en place côté prévention sur d’autres addictions : l’alcool, le cannabis, les drogues dures ?

Sur les produits licites, l’alcool et le tabac – même si, rappelons-le, quand on a moins de 18 ans, la loi interdit qu’on nous vende cigarettes et alcool –, l’augmentation du prix semble efficace pour les jeunes. Concernant les produits illicites, c’est beaucoup plus compliqué pour l’État d’agir, parce que ce sont des circuits parallèles. On soutient donc énormément les associations, qui interviennent à l’intérieur des soirées et festivals, par exemple. La prévention via les pairs est primordiale pour mieux toucher les jeunes, et plus efficaces que les descentes de police pour changer les comportements. Un outil formidable pour la prévention a été mis en place : le service sanitaire. Progressivement, tous les étudiants en santé vont faire de la prévention pendant trois mois dans les écoles, universités, entreprises et sont formés pour cela. L’information que donnent ces futurs soignants, par des conseils mais aussi par leur vécu, cela peut être beaucoup plus fort que le message d’un médecin, d’une association ou même qu’une image choc. Les chiffres, c’est abstrait, une histoire, c’est beaucoup plus efficace. Les effets de l’alcool sont souvent minorés par les jeunes : beaucoup pensent que prendre une bière tous les jours, ce n’est pas grave. En réalité, c’est déjà une forme de dépendance si l’on ne peut pas s’en passer une journée. Ils minimisent aussi les risques indirects comme le viol, le coma, les accidents de la route. Les jeunes n’évoquent pas facilement l’addiction à l’alcool ou aux drogues dures chez leurs amis ou pour eux-mêmes. Or ce n’est un service à rendre à personne. Un jeune qui va mal est souvent très seul, il faut donc oser parler.

Maximilien : Le manque de médecins généralistes se fait davantage ressentir dans les départements ruraux. Ne faudrait-il pas obliger les jeunes médecins à s’installer dans ces déserts médicaux ?

Jusqu’en 2025, on aura un manque de médecins en France, et il n’y a pas moyen d’en faire venir d’autres car c’est un problème européen. Obliger les médecins à s’installer, ça marche quand vous avez assez ou trop de professionnels, comme pour les infirmiers, par exemple. Mais aujourd’hui, il y a des milliers de postes de médecins vacants. Si vous leur dites « Vous n’avez pas le droit de vous installer où vous voulez », d’une part on risquerait d’endommager leur motivation, et d’autre part, ils pourraient prendre les postes salariés vacants plutôt que de s’installer en libéral. On a donc choisi une autre méthode : redonner du temps médical disponible aux médecins en déléguant des tâches telles que la vaccination aux pharmaciens, ou le suivi de certaines maladies chroniques à des infirmiers formés spécifiquement pour le faire. En plus, je crée un nouveau métier pour les décharger de la paperasse, avec les assistants médicaux. Et j’espère donner envie aux médecins de s’installer dans ces zones en leur proposant une pratique qui leur plaît, particulièrement les plus jeunes : l’exercice regroupé (kiné, infirmière, médecin) dans des maisons de santé.

Pierre : Quand on ferme des hôpitaux de proximité, des maternités, les Français peuvent se sentir abandonnés…

J’ai pris l’engagement de ne fermer aucun hôpital. En revanche, dans ma loi santé, il est prévu que ces hôpitaux locaux se transforment pour mieux assurer les soins du quotidien et devenir plus attractifs. Je ne peux pas maintenir toutes les activités médicales partout. Le problème, on l’a dit, c’est qu’il n’y a pas assez de médecins. Quand il y a une maternité qui ferme, ce n’est pas pour embêter les Français. Ce n’est absolument pas une question de déficit financier des hôpitaux, ce qui m’inquiète, c’est le déficit de médecins ! La sécurité de ces accouchements n’est pas assurée quand il n’y en a pas assez pour faire tourner une maternité. Si certains jours, aucun pédiatre, aucun obstétricien n’est là, comment fait-on si une femme enceinte a besoin d’une césarienne en urgence ?

Salomé, Pierre, Solène, Maximilien, Dorian et Camille ont échangé pendant 1h20 avec la ministre et Oihana Gabriel, journaliste santé à 20 Minutes.
Salomé, Pierre, Solène, Maximilien, Dorian et Camille ont échangé pendant 1h20 avec la ministre et Oihana Gabriel, journaliste santé à 20 Minutes.  - C. Follain / 20 Minutes

Maximilien : A cette difficulté d’accès aux médecins s’ajoute souvent, pour les étudiants, un frein financier, qui peut entraîner de l’automédication ou la consultation de sites en ligne. Mais quand je tape sur Internet mes symptômes, à chaque fois, j’en déduis que j’ai un cancer…

On a supprimé les fameuses « sécus étudiantes ». A partir de la rentrée 2019, tous les étudiants seront affiliés au régime général de l’Assurance maladie, ce qui fait tout de même 220 euros économisés chaque année. On est également en train de transformer les services de prévention en centres de santé dans les universités, pour que les étudiants puissent accéder à des dentistes, des ophtalmos, par exemple, sans dépassement d’honoraire. Plus généralement, avec « 100 % santé », on doit aboutir en 2021 à ce que les lunettes, le dentaire et les audioprothèses soient sans reste à charge. C’est un gros effort, pour un vrai sujet de justice sociale. Enfin, en novembre, une complémentaire santé contributive à 1 euro par jour sera proposée aux Français qui touchent jusqu’à 1.000 euros par mois.

Salomé : Une pilule contraceptive masculine a été testée et prouvée efficace aux Etats-Unis. Qu’en pensez-vous, sachant que la contraception est principalement une responsabilité féminine aujourd’hui ?

Pour le moment, elle n’est pas admise sur le marché français. Mais il y a, plus généralement, un vrai problème de prévention sur la santé sexuelle. Aujourd’hui, les jeunes filles entre 15 et 18 ans ont accès à une consultation sur la contraception. Demain, je souhaite que l’Assurance maladie envoie un courrier pour les prévenir qu’elles ont droit à cette consultation, remboursée et normée, pour une information fiable et diverse, c’est-à-dire qu’on ne va pas parler que de la pilule. Le préservatif peut désormais être remboursé, les médecins peuvent le prescrire sur ordonnance pour un an, aux filles comme aux garçons. Pour promouvoir l’égalité hommes-femmes sur ces questions de sexualité, je travaille sur la vaccination des garçons pour le virus HPV, aujourd’hui réservé aux jeunes filles uniquement en France. Or, les hommes ont aussi un risque de cancers du canal anal, de cancers ORL et surtout de transmettre le virus aux femmes. C’est un enjeu de solidarité.

Agnès Buzyn, ministre de la Santé a rencontré six jeunes de notre panel #MoiJeune jeudi 11 avril dans les locaux de 20 Minutes.
Agnès Buzyn, ministre de la Santé a rencontré six jeunes de notre panel #MoiJeune jeudi 11 avril dans les locaux de 20 Minutes.  - C.Follain / 20 Minutes

Solène : Le 12 mars dernier, le principal syndicat des gynécologues a envoyé un courrier dans lequel il demandait à ses adhérents d’arrêter de pratiquer l’IVG. Ce droit est déjà menacé dans certains départements. La notion de clause de conscience pour l’IVG fait débat. Seriez-vous prête à la supprimer ?

Il faut garantir l’accès à l’IVG pour toutes les jeunes filles. J’ai demandé à mes Agences régionales de santé de faire remonter l’information s’il y a des situations de tension, et que tout soit fait pour apporter une réponse, y compris de demander à des professionnels de se déplacer. Je suis consciente de cette inquiétude. J’ai lancé une mission, dont le rapport sera remis d’ici à la fin de l’année aux parlementaires, sur les conditions réelles d’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire.

Pierre : Concernant le VIH, pourquoi est-il toujours difficile de trouver des médecins formés et informés sur les questions de la Prep [traitement qui évite la contamination] et des TPE [traitement post-exposition, qui limite le risque de contamination] ? Comment favoriser l’accès aux soins et à l’information, notamment pour les LGBT + ?

Le nombre de contaminations du VIH est stable depuis une dizaine d’années, mais beaucoup trop élevé, autour de 6.000 par an. La Prep est pour des communautés à risque. Aujourd’hui, j’essaie de développer des centres de santé communautaires, ce qui n’est pas tellement dans la culture française. Face à certains risques, c’est mieux d’avoir des professionnels très bien formés, justement pour expliquer la Prep. Je réfléchis à ce que les généralistes puissent la prescrire, mais cela nécessite un programme de formation continue des généralistes, car c’est une découverte encore récente. En formation initiale, les médecins seront aussi beaucoup mieux formés sur la prévention des IST, qui augmentent chez les jeunes.

Camille : Que ce soit par des applications, type Yuka, ou les médias, on se rend compte que les perturbateurs endocriniens sont partout, dans l’alimentation comme dans les cosmétiques. Le gouvernement peut-il mettre en place des mesures pour favoriser l’accès à des produits sains ?

Nous avons obtenu de la Commission européenne une définition commune des perturbateurs endocriniens, mais il reste à définir la liste des substances qui peuvent répondre à cette définition et être considérées comme telles. Donc, nous ne savons pas encore parfaitement dans quelle mesure un produit est dangereux, et encore moins quel est l’effet cocktail de ces substances à long terme. Nous avons lancé, avec le Ministère de la transition écologique et tous les autres ministères impliqués, un grand programme de recherche dédié aux perturbateurs endocriniens. On a saisi l’Inserm et l’Anses pour qu’elles nous fassent une expertise collective, un résumé de la somme de connaissances dans le monde sur les produits phytosanitaires. On l’aura fin 2019, ça nous permettra d’y voir plus clair sur les précautions prioritaires que l’on doit prendre.

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20 secondes de contexte

Cette interview a été organisée dans les locaux de 20 Minutes, où la ministre a débattu pendant une 1h20 avec six jeunes de la communauté #MoiJeune, un panel de 4.000 personnes âgées de 18 à 30 ans.