SERIE 3/7La contestation des vaccins en France vue par un historien

Antivax: «La contestation de la vaccination est aussi vieille que la vaccination elle-même»

SERIE 3/7«20 Minutes» publie une série d'articles sur le mouvement «antivaccin» ou «antivax», qui diffuse des contenus opposés à la vaccination
Oihana Gabriel

Propos recueillis par Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Fin février, YouTube, Pinterest et Amazon Prime se sont engagés dans la lutte contre les fausses informations relatives à la vaccination.
  • La Semaine de la vaccination, créée en 2005 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), aura lieu du 24 au 30 avril.
  • Dans le troisième volet de la série, nous avons demandé à l’historien Patrick Zylberman quelles étaient les spécificités françaises en la matière.

Inspection des carnets de santé. Il faudra bientôt, pour inscrire son enfant à l’école, montrer patte blanche (ou plutôt étiquettes vaccinales). En effet, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a rendu onze vaccins obligatoires, contre trois auparavant, pour tous les enfants nés à partir du 1er janvier 2018 et gardés en collectivité. Une décision qui a suscité une levée de boucliers des « antivax » et mis un coup de projecteur sur un mouvement qui semble particulièrement puissant en France. Pourquoi cette spécificité ? Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’ Ecole des hautes études en santé publique, nous éclaire sur les origines et l’évolution à travers les siècles des « antivax », tout en relativisant leur puissance actuelle.

Retrouvez notre dossier sur les antivaccins

La défiance vis-à-vis des vaccins ne date pas d’Internet. Depuis quand sont-ils décriés ?

Patrick Zylberman est historien de la médecin et enseigne à l'EHESP.
Patrick Zylberman est historien de la médecin et enseigne à l'EHESP.  - Patrick Zylberman

La contestation de la vaccination est aussi vieille que la vaccination elle-même ! Dès 1796, Edward Jenner [médecin britannique père du vaccin contre la variole], a reçu des objections et des condamnations, dont les plus importantes n’étaient pas médicales, mais théologiques. Il existait, avant la vaccination, la variolisation, une autre technique, répandue au XVIIIe siècle en Europe occidentale. Elle était très différente : la variolisation consistait à étaler sur des scarifications faites sur le bras des produits liquides de malades de la variole. Or, avec la vaccination, il s’agit de greffer un produit animal sur un organisme humain. C’est l’abomination, l’animalisation de l’être humain… S’ajoute la question religieuse. C’est l’homme qui prétend choisir qui vit et qui meurt. L’opposition des religieux, à l’époque, ça comptait ! La déchristianisation était en route, mais n’avait pas atteint le degré d’aujourd’hui.

Cette opposition n’a pourtant pas flanché avec la laïcité grandissante… Comment cette opposition contre les vaccins a-t-elle évolué au cours des XIXe et XXe siècle en France ?

En Europe, au lendemain même de la découverte de la vaccination, tout un tas de pays ont adopté l’obligation vaccinale contre la variole. La France est restée le seul pays européen sans obligation vaccinale pendant tout le XIXe siècle : elle n’est intervenue qu’en 1902. L’expérience a été catastrophique, puisqu’elle a favorisé une immense épidémie de variole entre 1870 et 1875, avec près de 400.000 décès en Europe, dont l’origine était en France. Nous sommes un peu l’empire de la négligence ou de l’indifférence. Dès le XVIIIe siècle, la méfiance avait outrepassé les vaccins et visé l’idée même de prévention. Ce qui est fascinant, c’est qu’on retrouve aujourd’hui, dans certaines régions de France, des parents qui sortent le même argument et dans les mêmes termes près de 300 ans plus tard : il ne faut pas vacciner en temps d’épidémie, c’est dangereux.

Quelles ont été les étapes clés dans l’évolution récente de cette défiance ?

Dans les années 1970, aux Etats-Unis, on s’est aperçu que la mortalité pédiatrique due à la variole avait quasiment disparu grâce à la vaccination. Dans le même temps, on comptait entre 200 et 300 décès pédiatriques dus aux complications des suites de la vaccination, si bien que la balance bénéfices/risques a semblé s’inverser. Rappelons qu’en 1958, la variole faisait 2 millions de victimes par an dans le monde. Jusqu’à cette époque, il y avait une adhésion globale aux vaccins dans l’opinion publique et chez les soignants. Puis il y a eu un nouveau tournant, en France uniquement, en octobre 1998, quand Bernard Kouchner a reculé et suspendu la vaccination à l’entrée en 6e contre l’hépatite B. C’était la première grande victoire des antivaccins.

Est-ce que les réseaux sociaux ont facilité la diffusion de ces thèses ?

Oui, mais attention, ce mouvement n’est pas aussi fort qu’on le dit aujourd’hui, et est beaucoup plus marginal qu’au temps de Jenner. Les réseaux sociaux sont trompeurs, car c’est une caisse de résonance qui crée une hystérisation. Si certaines études [notamment la dernière du Leem, qui montre que 17 % des personnes interrogées ne sont pas favorables aux vaccins] donnent des chiffres élevés du mouvement, en réalité, on s’aperçoit que les antivaccins purs et durs représentent entre 1 et 2 % des Français. En effet, il existe trois profils différents. Les antivaccins sont contre l’obligation, mais aussi contre le produit lui-même. C’est très marginal. D’autres personnes sont opposées à l’obligation de vacciner les enfants, car ils défendent la liberté de chacun par rapport à son corps. Il y a aussi des parents qui ont des doutes, qui ont besoin d’informations.

Pourquoi, selon vous, la France est-elle considérée comme la « championne » de la défiance vis-à-vis des vaccins ?

L’enquête sur l’opinion publique et les vaccins de Heidi Larson, parue en 2016, montrait que sur 67 pays du monde, la lanterne rouge était la France. Cette étude, soutenue par l’OMS, et donc considérée comme la vérité, est biaisée. Les mêmes quatre questions étaient posées pour tous les pays, dont une sur l’aspect religieux, qui n’a aucun sens en France. Il y a des cultures médicales différentes, les mots n’ont pas le même sens au Pakistan et en France. Il existe des antivaccins très virulents aux Etats-Unis et en Italie, par exemple. Pour la vaccination contre l’hépatite B, la Suède fait moins bien que la France. La particularité de la France, en revanche, est le fait que pendant trente ans, l’Etat n’a pas réagi, paralysé par la crainte de susciter des oppositions. Les antivaccins avaient libre cours pour diffuser leurs fausses informations.

Est-ce que certains scandales sanitaires survenus en France ont amplifié cette défiance ?

Oui, certaines affaires ont considérablement abîmé la confiance que l’opinion publique portait aux autorités de santé. Tout d’abord, le scandale du sang contaminé a laissé des traces. Le dernier en date, c’est le scandale du Médiator. Par ricochet, la confiance dans les pouvoirs publics, mais aussi dans les soignants, est entamée.

Quels sont les autres freins quant à l’adhésion aux vaccins ?

Autre sujet de discorde : les ruptures d’approvisionnement. Avant, on pouvait avoir accès à des vaccins avec un valent [un vaccin multivalent protège contre plusieurs germes d’une même maladie ou contre différentes maladies, comme le vaccin ROR pour rougeole-oreillons-rubéole]. C'est de moins en moins le cas. C'est pourquoi certains parents se sont indignés du fait qu’on soit obligé d’inoculer cinq ou six vaccins (notamment des DTP hexavalent). Les firmes pharmaceutiques ont rétorqué qu’elles ne refabriqueraient plus de vaccins en valent individuel pour des raisons financières. Il y a aussi des raisons pratiques : en France, le parcours vaccinal est particulièrement complexe. Tous les parents n’ont pas le temps de faire quinze allers-retours docteur-pharmacien-docteur. Quand le carnet de santé n’est pas perdu… Je pense aussi qu’il y a un travail à faire du côté des professionnels de santé. En 2009, les soignants étaient à peine 40 % à être vaccinés contre la grippe. Certains pédiatres et généralistes sont très gênés car rassurer sur les vaccins, cela prend du temps. Or, ils en manquent cruellement. Et ils ont parfois peur de perdre leur patientèle. Il y a des tas de petits problèmes qui, en plus des erreurs du ministère, créent des obstacles sur la route de la vaccination.

Justement, le ministère a fait le choix fort, et contesté par certains, de rendre obligatoire pour tous les enfants nés à partir de janvier 2018 et gardés en collectivité onze vaccins. Est-ce efficace ?

La confiance, c’est facile à perdre, très difficile à regagner. Agnès Buzyn a eu le courage politique d'inscrire dans la loi l’obligation vaccinale. Et a ainsi suivi les recommandations de la concertation publique à laquelle j’ai participé. C’est trop tôt pour juger les résultats. Mais il semblerait quand même, d’après les premiers chiffres qui remontent, qu’une remobilisation des parents en faveur de la vaccination s’opère.