Martin Winckler, le lanceur d'alerte sur les violences médicales qui crispe ses pairs
PORTRAIT•Martin Winckler, qui a dénoncé dans un essai en 2016 les violences médicales, publie ce jeudi une fiction utopiste qui devrait intéresser les fans du « Choeur des femmes » (et pas que)Oihana Gabriel
L'essentiel
- Martin Winckler a dénoncé en 2016 les violences médicales avant la pluie de témoignages de patientes qui a secoué le monde médical.
- L’ancien généraliste, aujourd’hui enseignant à Montréal, publie depuis trente ans romans et essais qui dévoilent une conception du soin féministe et bienveillant.
- Lanceur d’alerte pour certains, traître illégitime pour d’autres, la figure de cet écrivain n’a pas fini de cliver. Il dévoile dans cette « École des soignantes » du futur de nouvelles pistes pour réinventer les soins.
Après avoir dénoncé les maltraitances médicales en 2016 dans Les Brutes en blanc (Flammarion), Martin Winckler réapparaît en librairie ce jeudi avec une fiction, L’Ecole des soignantes (P.O.L). Un roman engagé, qui vient compléter sa galaxie médicale commencée en 1989 avec La Vacation. Il propose cette fois un voyage dans un service de psychiatrie d'un hôpital du futur où bienveillance, égalité et sororité ne sont pas de vains mots. Et donne ainsi une suite à l’un de ses succès, Le Chœur des femmes. Une nouvelle qui réjouira ses fans et agacera certains médecins blessés par son dernier essai. L’occasion aussi d’en savoir un peu plus sur ce médecin-écrivain-enseignant qui analyse et secoue le monde médical depuis trente ans.
Un lanceur d’alerte qui crispe
Un homme féministe ultra-engagé sur les réseaux sociaux, un soignant qui dénonce le sexisme de son milieu, un mentor pour certains médecins, un traître pour d’autres, un conseiller numérique via son blog… Martin Winckler n’a pas peur donner son avis sur des débats de société comme les études de médecine (Les Trois médecins), ce que doit être un soin de proximité avec le journal de bord d’un généraliste de campagne (La Maladie de Sachs), la question complexe de l’euthanasie (En souvenir d’André)… Un franc-parler qui lui a coûté cher: « En France, quand j’ai commencé à dire que les études étaient archaïques et violentes, on ne m’a pas réembauché, explique celui qui fut brièvement chroniqueur sur France Inter avant de se faire remercier. Un jour, j’ai eu l’occasion de venir à l’université de Montréal en tant que chercheur invité au département philosophie, c’est dire leur ouverture ! » Depuis devenu enseignant, il a émigré avec sa famille au Québec. Mais continue de prendre la plume pour faire vivre Tourmens, ville imaginaire, et ses héros patients et soignants.
Légitime ?
Cet exil, certains le lui reprochent, notamment depuis la publication des Brutes en blanc. Comment un ancien médecin qui n’exerce plus et a quitté la France depuis dix ans peut-il juger les médecins d’aujourd’hui ? « Les médecins, je les ai fréquentés pendant 55 ans !, s’agace Martin Winckler. Tout le monde est qualifié pour critiquer les médecins, en premier lieu les usagers. C’est une défense de secte. Le milieu médical reste très crispé, mais ça va changer de toute façon, les réseaux sociaux sont en train de le montrer. En 2016, ils m’attaquaient moi, mais aujourd’hui 50.000 personnes parlent du sexisme dans le milieu médical. »
Au-delà de la question de sa légitimité, certains, dont l’Ordre des médecins, ont regretté « la caricature et l'amalgame » de l’essai. Et même Christian Lehmann, généraliste, écrivain et ancien compagnon de route de Martin Winckler a partagé son désarroi sur son blog : « Le monde a changé, Internet a bouleversé la donne, permettant aux médecins qui le souhaitaient, et ils sont nombreux, d’échanger, de bousculer leurs certitudes, de s’épauler et de partager leurs savoirs. Je ne remets pas en cause le nombre de mails que tu dis avoir reçu dénonçant des situations de maltraitance, ni la nécessité d’y mettre un terme, mais ta tendance à généraliser nuit à ton propos. »
« Martin Winckler est pour moi un lanceur d’alerte, quelqu’un d’inspirant, qui donne envie de lutter pour un meilleur accueil des populations discriminées, réplique Baptiste Beaulieu, généraliste qui marche dans ses pas. La libération de la parole des femmes ces dernières années n’autorise plus personne à contester l’existence des violences médicales. Évidemment, tous les médecins ne sont pas malveillants. Regretter les généralités, c’est déplacer le propos, le vrai problème c’est comment on fait pour que des femmes aillent chez le médecin sans peur ? »
Expert en santé des femmes
Une question qui traverse plusieurs romans de Martin Winckler. Qui a toujours marié ses deux obsessions : soigner et écrire. Avant de prendre la plume, Martin Winckler, alias Marc Zaffran, marche sur les traces de son père médecin, en s’inscrivant en médecine à Tours. « Je n’ai jamais rêvé de trouver le remède contre le cancer, mais je voulais que les gens aient moins mal », résume-t-il. Voilà pourquoi il épouse une carrière de médecin de campagne dans la Sarthe, puis vit une expérience marquante à l’hôpital du Mans dans le service de planification. Des pans de vie et une expérience de soignant conscient qu’il dessine dans ses romans. Et brique par brique, il se bâtit une image d’expert en santé des femmes. « C’est à la fois les circonstances et une tendance naturelle, avoue-t-il. Jeune, j’ai milité pour la légalisation de l’IVG et en tant que généraliste, on voit surtout des femmes. On est modelé par sa patientèle. »
Mais Martin Winckler cultive une autre passion, le cinéma et les séries. Thèmes sur lesquels il a également beaucoup écrit. Sa première nouvelle, publiée à l’automne 1987, s’intitule Spectacle permanent et décrit la fascination d’un ado pour le cinéma. C’est à cette époque qu’il croise la route de l’écrivaine Claude Pujade Renaud, sa mentor. Avec son mari,lui aussi écrivain, Daniel Zimmermann, elle publie dans leur revue « Nouvelles nouvelles » ce premier texte de fiction de Marc Zaffran, qui à 32 ans, adopte le pseudo de Martin Winckler. Une deuxième nouvelle, publiée au printemps 1990, porte cette fois sur la médecine. Et véhicule déjà les obsessions de celui qui a plaidé toute ses deux carrières pour l’empathie et l’écoute dans le soin. « Sympathie racontait le quotidien d’un médecin pétri de douleurs car il ressent les symptômes de chaque patient qui passe la porte de son cabinet, se remémore Claude Pujade-Renaud. Il arrive à parler du corps et de l’intériorité des femmes avec beaucoup de justesse, de sensibilité et de façon incarnée. »
Un hôpital féministe qui donne à réfléchir
Un talent qui a permis à nombre de lectrices de s’informer sur leur corps et leur santé via ses romans. « Parler de manière romanesque de la problématique de l’écoute, de la prise en compte de la douleur, de la maltraitance, de la santé des femmes, cela fait avancer les choses », assure Jean-Paul Hirsch, qui l’épaule chez P.O.L depuis 1991. « Le Chœur des femmes a été vendu à 300.000 exemplaires et je continue à recevoir tous les jours depuis dix ans ans des messages de femmes qui me disent, "ce livre m’a transformée" », se félicite Martin Winckler. Dans L’Ecole des soignantes, on retrouve donc Jean Atwood, la soixantaine, soignante en psy aux méthodes innovantes. Nous sommes en 2039, dans un hôpital utopiste. Une bulle égalitaire et avant-gardiste, où tous les patients s’appellent soignées, choisissent leurs traitements, où l’euthanasie est légalisée… Et chacune peut devenir soignante professionnelle, oubliant la hiérarchie entre médecin, infirmière, aide-soignant. Et l’imaginatif écrivain semble dessiner des solutions aux problèmes soulevés par Les Brutes en blanc. « Il faut changer de paradigme dans le soin, et prendre comme a priori le fait que si on sait soigner les femmes, on saura soigner tout le monde. »
« C’est un roman dans lequel ses utopies adviennent »
Il poursuit aussi son idée fixe d’un patient qui prend en charge sa santé, dans un monde où la pollution omniprésente oblige chacun à connaître des rudiments de médecine. « Je pense que l’autosuffisance et l’autodétermination des patients est fondamentale, reprend-il. C’est sain, nous sommes en charge de notre propre vie on ne doit pas laisser des gens dicter ce que nous avalons ou faisons, alors que le savoir est accessible à un grand nombre de gens. » « C’est un roman dans lequel ses utopies adviennent », résume son attaché de presse. Un univers qui donne du grain à moudre alors que la société française est toujours tourneboulée par la vague #metoo, que le ministère souhaite repenser les études de médecine et que l’intérêt pour la santé de demain qu’il reste à inventer reste vif…
« Je suis sûr qu’on va lui faire le procès du manque de modestie car il nous alerte sur ce qui échoue et offre des pistes pour faire mieux, prévient Baptiste Beaulieu. Mais il a toujours pris bien soin de documenter ses sources d’inspiration et il donne la parole aux premières concernées. » « Certains des pistes du livre sont déjà en route à Montréal : par exemple, chaque étudiant a pour mentor un patient partenaire, confirme Martin Winckler. Je ne fais qu’extrapoler dans le domaine de la santé mentale des choses qui émergent. » Optimiste, Martin Winckler?