INTERVIEWVIDEO. Des médicaments dangereux? «Il faut faire le tri»

VIDEO. Liste noire de «Prescrire»: «Tous les médicaments ne se valent pas, il faut faire le tri»

INTERVIEWLa revue « Prescrire » vient de publier, pour la septième année, sa liste des médicaments à éviter
Oihana Gabriel

Propos recueillis par Oihana Gabriel

L'essentiel

  • La revue Prescrire a dévoilé jeudi, sa nouvelle liste noire de 82 médicaments vendus en France « plus dangereux qu’utiles ».
  • Décontractant musculaire, pommade pour les fissures anales, sirop pour la toux, cette liste noire se base sur des études scientifiques et indépendantes entre 2010 et 2018.
  • Pourquoi les autorités n'interdisent pas la vente de ces médicaments? Pourquoi certains médicaments sortent ou entrent dans cette liste? 20 Minutes a interogé Bruno Toussaint, directeur éditorial de la revue.

Un petit ménage dans votre pharmacie particulière ? A la lecture de la liste noire des médicaments inutiles ou dangereux de la revue Prescrire, publiée jeudi, on se demande si on ne ferait pas mieux de se soigner avec du miel et des tisanes. Sirop, médicaments anti-rhume mais aussi Décontractyl, en pommade ou comprimés font partie de ces remèdes dont on pourrait se passer. 20 Minutes a souhaité en savoir plus avec Bruno Toussaint, directeur éditorial de la revue Prescrire.

Comment avez-vous réalisé cette liste noire ?

Tous les médicaments ne se valent pas, certains sont formidables, d’autres dangereux mais il faut faire le tri. On aide les abonnés à faire le point sur les médicaments à écarter, à garder, à remplacer en fonction des actualités en termes de pharmacovigilance. Depuis 2013, nous publions le fruit de ce travail sous forme d’une liste noire des médicaments plus dangereux qu’utiles. Et chaque année, on met à jour cette sélection. Car certains médicaments ont été retirés du marché, d’autres ont bénéficié de nouvelles études. Cet équilibre bénéfice/risque évolue et il arrive que telle molécule qui était la référence ne le soit plus.

Quels sont les médicaments qui ont rejoint la liste 2019 et pourquoi ?

Cette année, il n’y en a pas énormément. Les plus courants, c’est le décontracturant méphénésine, dont le médicament le plus connu est le Décontractyl. D’une façon générale, ces décontracturants sont décevants. Ils ont un effet sur le muscle, mais surtout sur le cerveau. Ils peuvent provoquer une somnolence et des troubles de la digestion. Plus grave, certains patients deviennent allergiques et dépendants, alors que ce n’est pas prouvé que ça soit plus efficace qu’un placebo. D’ailleurs, en 2013 le myolastan, également décontractant, a été retiré du marché. Deuxième nouveau venu, un peu pour les mêmes raisons, l’oxomémazine qu’on trouve dans des sirops contre la toux. Pas plus efficace qu’un placebo, il peut provoquer des problèmes cardiaques, urinaires et oculaires (glaucome). Ce n’est pas fréquent, mais c’est disproportionné comme risque alors que la toux, ça se calme avec une confiserie ou du miel. Et si c’est une toux très gênante, il y a des médicaments plus efficaces et moins dangereux. On trouve aussi sur la liste noire une pommade pour les fissures anales, qui a des effets indésirables importants par rapport à une efficacité minime.

Est-ce que cela veut dire qu’il faut tout jeter à la poubelle, pour un sirop pour la toux ça ne pose pas vraiment problème, par contre dans le cas d’un cancer de la prostate, c’est plus compliqué, non ?

Le conseil valable pour tous, c’est de prendre le temps d’en parler à son pharmacien ou à son médecin. Parce que le plus souvent, pour les médicaments qu’on recommande d’écarter il existe de meilleures solutions qui ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde. Vous ne risquez aucune séquelle en arrêtant le sirop contre la toux… Mais pour d’autres, il faut parfois prendre des précautions et arrêter graduellement. Par exemple, pour le Décontractyl, certains patients sont devenus dépendants, mais en général ils l’ont remarqué…

Est-ce que certaines molécules sortent de cette liste noire ?

Oui, mais peu. Il y a tout de même un point positif : le retrait du marché en 2018 de l’antibiotique Ketek… à écarter depuis 2002. Cela donne une idée de la lenteur des choses. On a de quoi continuer longtemps ce bilan…

Justement, comment expliquer cette lenteur ?

Les firmes ne sont pas pressées de retirer du marché un médicament qui rapporte de l’argent. Et l’intérêt économique des firmes est beaucoup pris en considération par les autorités. Les choses se font lentement et par étapes. Par exemple, on répète depuis des années, nous et d’autres, que les vasoconstricteurs pour le rhume que beaucoup de gens prennent peuvent provoquer un AVC ou un infarctus. Les fabricants disent c’est très rare, certes, mais c’est sérieux. Les autorités ont d’abord fait des études. Fin 2017, la publicité pour ces médicaments a été interdite pour le grand public, mais pas pour le corps médical. En général, les autres étapes sont une restriction d’indication, la diminution du dosage, une baisse du taux de remboursement, puis le déremboursement.

Comment expliquer qu’autant de médicaments avec une balance bénéfice/risque mauvaise soient en libre accès dans nos pharmacies ?

Il faut relativiser l’inquiétude. Cent médicaments plus dangereux qu’utiles, cela fait beaucoup, mais il y a des milliers de médicaments sur le marché qui rendent service. D’autre part, les médicaments ont toujours des effets multiples sur le corps. En gros, on attend qu’ils règlent un problème, mais ils n’agissent pas seulement sur cet organe. Or, cet impact est différent selon les médicaments et les personnes. La recherche est centrée sur l’efficacité. Souvent, la connaissance des effets nocifs se construit lentement, plus il est utilisé.