INTERVIEWValentina se raconte «pour que certains changent de vision sur la GPA»

«Moi, Valentina, née par GPA»: «Ma sœur et moi, on n'est toujours pas reconnues comme les enfants de nos parents»

INTERVIEWValentina Mennesson, née par GPA en Californie il y a dix-huit ans, dévoile son ressenti et son combat dans un livre-témoignage publié ce jeudi…
Oihana Gabriel

Propos recueillis par Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Valentina Mennesson reprend le flambeau de ses parents, un couple médiatisé et engagé dans la lutte pour la légalisation de la grossesse pour autrui (GPA) en France depuis 2000.
  • A 18 ans à peine, elle a décidé de donner sa version de la GPA, pour donner une image concrète loin des préjugés sur ce sujet très polémique.
  • En effet, cette pratique illégale en France pose un certain nombre de problèmes juridiques. Et en 2019, alors que la loi de bioéthique doit être révisée, nul doute que le débat sur la GPA reviendra sur le devant de la scène.

Edit: Selon une information de France Info ce mardi 10 septembre 2019, le gouvernement va reconnaître par une circulaire la filiation des enfants nés par GPA à l'étranger. L'occasion de publier à nouveau cette interview de Valentina Mennesson, née par GPA aux Etats-Unis, qui raconte son parcours et se bat pour cette reconnaissance. La GPA restera pour autant illégale en France.

Une voix qu’on entend peu. Valentina Mennesson, tout juste 18 ans, a choisi la plume (enfin, la souris) pour parler d’un sujet tabou et polémique : la Grossesse pour autrui (GPA). La jeune fille, comme sa sœur jumelle, est née en Californie, grâce à une GPA donc. Un sujet omniprésent depuis dix-huit ans pour elle, et qui risque de faire l’objet de beaucoup de débats en cette année de révision des lois de bioéthique. Depuis des années, ses parents, Sylvie et Dominique, se battent avec leur association Clara (Comité de soutien pour la Légalisation de la GPA et l'Aide à la Reproduction Assistée) pour la légalisation de cette pratique illégale en France. Et Valentina reprend le flambeau en publiant ce jeudi son récit intitulé Moi, Valentina, née par GPA*.

La GPA, c’est une histoire de famille pour vous, un petit résumé de votre parcours ?

Ma mère avait une maladie qui l’empêchait d’avoir un enfant ; après de nombreuses recherches, mes parents ont réalisé une GPA il y a 18 ans en Californie, grâce à une gestatrice, Mary. Qui a donc accouché de ma sœur et moi. Et depuis, mes parents ont accumulé les années de lutte, les batailles en justice pour qu’on obtienne des papiers. La situation actuelle pour ma sœur et moi, c’est qu’on a la nationalité française, mais pas de livret de famille et on n’est pas dans les registres français. Et surtout, on n’est pas reconnues comme les enfants de nos parents…

Pourquoi, selon vous, la GPA crispe-t-elle autant ?

Comme toute chose nouvelle, cela choque les gens, qui restent sur leurs préjugés au lieu de creuser le sujet. C’est pour ça que ça n’avance pas. J’ai écrit mon livre justement pour que ceux qui le lisent changent de vision sur la GPA. Pour rétablir la vérité, en tout cas essayer…

Quelle est la question qui vous agace le plus concernant votre statut de jeune femme née par GPA ?

« La mère porteuse, c’est ta seconde mère ? » ou le « Du coup, t’as trois mères ? » pour parler de ma mère, ma gestatrice et Isabelle, qui a fait don de ses ovocytes. Mais je ne vais pas m’énerver pour ça, sinon ça serait sans fin…

Le préjugé numéro 1 que vous aimeriez contrer avec ce livre ?

Qu’un enfant né par GPA n’est pas différent d’un autre et n’a aucune raison d’être malheureux. Mais l’autre vérité que je souhaite souligner concerne les gestatrices. En France, elles sont tout de suite associées à l’argent et aux mauvaises intentions. En réalité, c’est l’inverse.

C’est-à-dire ? La question de la rémunération crispe certaines personnes opposées à la GPA…

Pour moi, c’est normal qu’une personne qui porte un enfant pendant neuf mois, qui doit rendre des comptes à une agence et aux parents, faire des analyses tout le temps, touche de l’argent. La rémunération, ça doit rentrer en compte un minimum dans cette décision, mais ce n’est pas la raison qui va pousser une femme à porter l’enfant d’un autre couple. C’est l’altruisme la raison principale, sinon ce n’est plus éthique.

Mais comment peut-on être sûr des motivations de ces gestatrices ? Vos parents ont réalisé cette GPA aux Etats-Unis, un pays où elle est très encadrée, ce n’est pas forcément le cas dans tous les pays où elle est légale…

Je pars du principe que je parle de la GPA que j’ai connue, aux Etats-Unis. Je ne parle pas de la GPA en Ukraine ou en Inde car pour moi ça ne devrait pas porter le même nom ! C’est une sorte de commerce, pas moral du tout, que je ne cautionne pas.

Vous insistez sur votre relation apaisée et durable avec Mary, que vous appelez votre « gestatrice » plutôt que « mère porteuse », comment résumeriez-vous ce lien ?

C’est la femme qui m’a portée, c’est grâce à elle que je suis là. Je suis reconnaissante, tout comme mes parents. Et évidemment, quand on est nées, mes parents ne lui ont pas dit « Thank you, bye-bye ! » Je la vois au moins une fois par an et elle continue à faire partie de nos vies, mais en tant que gestatrice, pas comme une deuxième mère ou je ne sais quoi. D’ailleurs, je n’aime pas cette expression de « mère porteuse », moi je préfère parler de « gestatrice », elle ne fait rien de plus que de porter l’enfant d’autrui. D’ailleurs, la plupart des autres enfants que je connais, qui sont plus jeunes, ont gardé un lien avec leur gestatrice. Après, tous ne font pas le truc autant à fond que mes parents : ils ont été au mariage de leur fille, on passe beaucoup de vacances avec eux en Californie…

A quelles conditions selon vous pourrait-on imaginer une autorisation de la GPA en France, où le don est anonyme et gratuit ?

Je ne pense pas que la gestatrice doive rester anonyme. Au contraire, pour nous, les enfants, savoir qui est qui, c’est fondamental, moi je l’ai toujours su. Et il faudrait rémunérer au minimum ou au moins dédommager pour les frais médicaux et la perte de salaire. Légaliser la GPA en France, ça la rendrait plus accessible, ça éviterait que des parents qui n’ont pas les moyens s’orientent vers des pays où c’est moins encadré, et du coup moins éthique.

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu un avis qui laisse imaginer qu’on ne s’en rapproche pas, est-ce une déception pour vous ?

Oui, c’est fatigant et ça devient absurde. Cela fait des années que mes parents s’investissent dans ce combat. J’espère que ça ne sera pas pour rien. La GPA en soi ça ne m’a jamais rendue triste, ni les problèmes avec la justice, mais j’aurais voulu parler d’autre chose pendant dix-huit ans. Quand on est enfant ou même ado, on n’a pas envie de passer ses dîners là-dessus…

Qu’est ce que vous espérez ?

Je peux comprendre que légaliser la GPA pose beaucoup de questions, et que cela risque de prendre du temps. Mais pour moi, l’urgence c’est surtout que la loi change pour les enfants déjà nés par GPA à l’étranger. On demande juste la reconnaissance de ces enfants, ce n’est pas quelque chose d’indécent ! Et ceux qui croient que ça va encourager les parents à faire des GPA ne connaissent sans doute pas le sujet. Dans tous les cas, les gens le font quand même.

Dans la préface, votre mère rappelle son combat, et se félicite de votre « coming out ». Pourquoi est-ce important que les enfants français nés de GPA s’emparent de la question ?

Parce que ce sont les principaux concernés, les mieux placés pour dire si oui ou non ils l’ont mal vécu, si ça les a affectés psychologiquement, s’ils sont heureux. Ce n’est pas un médecin, qui n’a jamais connu de GPA et qui a fait des études, qui peut décider de notre avenir. Quand j’en parle avec des gens, soit ils ne savent pas ce que c’est et ceux qui pensent savoir se trompent, mais surtout quand on leur explique, ils trouvent ça normal, la GPA, ils ne sont pas ahuris.

Vous écrivez : « Si l’histoire de ma naissance a fait partie intégrante de moi, ce n’est pas pour autant qu’elle me définit ». Vous n’avez pas peur que ce livre ne vous enferme dans cette unique identité ?

Pas vraiment. Pendant la sortie du livre, cela va prendre une plus grande partie dans ma vie, mais mes hobbies et mes amis, ils vont rester.

* Moi, Valentina, née par GPA, Valentina Mennesson, Michalon, 16 euros.