Ecrire ses mémoires, une nouvelle thérapie pour les personnes en fin de vie
SOINS•Une association propose aux malades en phase terminale d'écrire leurs mémoires, un service qui fait partie des soins dans un hôpital de Chartres...Oihana Gabriel
«Le livre conjure l’oubli », certifie Valéria Milewski. Depuis dix ans, elle ballade son carnet et son écoute bienveillante dans le service d’oncologie et d’hématologie à l’hôpital Louis Pasteur de Chartres (Eure-et-Loir). Son ambition ? Proposer aux malades de confier leurs souvenirs pour en faire un recueil. Une dernière trace pour leurs proches, amis, petits-enfants… Mais surtout un soulagement pour ces patients proches du départ. « Se retourner, se retricoter, cela permet de se remettre droit, philosophe Valéria. La vraie peur de certains, ce n’est pas de mourir, mais d’être oublié. »
Comment a-t-elle inventé ce métier de biographe hospitalier ? En 2007 elle a l'intuition que se raconter soulage et permet de vivre mieux les derniers instants. Une conviction qu’elle veut confronter au réel, dans un hôpital. « Alors que j’avais peur des blouses blanches ! s’amuse-t-elle. Mais je souhaitais aller là où les gens ont le plus besoin de se déposer. Aujourd’hui, on meurt beaucoup à l’hôpital et seul. »
Passeur de mots, passeur d’histoires
Des secrets enfouis, des anecdotes intimes, des souvenirs de guerre, des mots d’amour… Depuis une dizaine d’années, environ 250 patients ont été accompagnés par l’association de Valéria : Passeur de mots, passeur d’histoires. « Un nom que nous avons créé collégialement ! se félicite cette auteure qui écrivait auparavant pour le théâtre. Le fait de se raconter, c’est très ancien, déjà en Egypte, on gravait sur les stèles la vie des gens. Ce qui est singulier, c’est que ça soit devenu le projet de toute une équipe soignante. »
En fonction du planning du patient, Valéria propose des entretiens, qui petit à petit seront transformées en mémoires. Si en moyenne, elle converse entre six et huit fois avec ces auteurs, « là, j’ai une femme qui a explosé mes quotas avec 73 entretiens !, s’amuse Valéria. On remet tout à la famille, le recueil, mais aussi les notes. C’est un travail de traduction de la mélodie de l’autre, d’ailleurs notre nom ne figure pas sur le livre. »
Une partie du soin
Dans ce service, la biographie fait partie intégrante du soin. Valéria dispose d'un bureau et d'un CDI à l’hôpital et « les médecins conseillent à certains patients de venir me voir comme le kiné, la sophrologue, l’esthéticienne… ». Ce que confirme Frédéric Duriez, médecin dans ce service et président de Passeur de mots, passeur d’histoire : « prendre soin, c’est essayer d’apporter une réponse à toutes les souffrances physiques, psychiques, spirituelles. L’expérience nous montre que ce projet restaure ces personnes dans une identité au présent. Ils retrouvent une part de liberté à un moment ils sont beaucoup l’objet de soins, mais peu le sujet de choix. » Un soulagement psychologique qui passe aussi par cette relecture de leur vie : « en relisant leur histoire, en prenant le temps de la raconter à un tiers, ils s’aperçoivent que des liens peuvent être tissés et trouvent parfois des réponses », assure le médecin.
« Il n’était plus dans sa maladie »
Un mieux-être qui a été vérifié par une étude scientifique menée dans son service. Et l’engouement est sans appel : 100 % des proches soulignent les effets positifs de cette biographie sur les patients. « Pour mon mari, cela a été une bouffée d’oxygène extraordinaire, nous confie Christiane, qui a perdu son époux il y a huit ans et reçu ses mémoires neuf mois plus tard. C’était quelqu’un de très réservé. Et là, il s’est pris au jeu… Le dernier week-end qu’il a passé à la maison, il n’a pas arrêté de parler de ses échanges avec Valéria, il n’était plus dans sa maladie. Il ressentait un devoir de mémoire vis-à-vis des générations futures. Il s’est réinvesti dans cette capacité à transmettre, redevenant quelqu’un qui peut nous faire un dernier cadeau. » Cadeau inestimable, pour Philippe, le fils de Christiane et Daniel : « cette biographie a redonné du sens à la poursuite de sa vie, même courte. Il est évident pour moi qu’écrire sa biographie fait partie du soin. »
Des effets bénéfiques pour les proches et les soignants
Un livre qui peut également aider les proches à faire leur travail de deuil. « Quand j’ai lu ce recueil, j’ai eu l’impression d’entendre mon père », témoigne Philippe. Le plus beau souvenir de Valéria? « Le sourire d’Annabelle, qui à 6 ans déchiffre sur le livre de son père la dédicace "A Annabelle". Le jour où elle pourra lire tous les mots de son père, ça va l'aider à grandir. » Selon cette étude, 75 % des personnes interrogées mettent en avant que cette démarche a eu des effets positifs sur eux-mêmes en les aidant à cheminer, à mieux comprendre à travers le récit leur parent décédé, voire même à se donner des objectifs. Et Valéria de raconter comment le petit-fils de Daniel, en découvrant dans ce recueil à quel point son grand-père était fier de lui, s’est motivé pour réviser et réussir son bac…
Et c’est parfois une façon d’écrire l’indicible. « Quand la mort approche, on donne le change, autant le malade que les proches, témoigne Christiane. J’aurais aimé qu’on se dise des choses profondes au lieu d’être dans un jeu de dupes. Ce travail qui est fait par la biographie permet d’accepter, de ne pas avoir honte, d’aborder les choses véritables, enfin. » Mais la sexagénaire met en garde contre les attentes démesurées : « j’espérais que ce document permettrait de renouer le dialogue avec une partie de ma famille, mais ça n’a pas fonctionné. »
Pour les soignants aussi, la biographie fait thérapie. « Parce qu’ils ont l’impression de participer à une prise en charge humaine », insiste Valéria. Quand elle a un doute sur un titre, sur l’orthographe d’un mot, elle n’hésite pas demander conseil aux soignants… « La première personne à qui j’ai remis le livre était d’abord contente, puis extrêmement triste, reprend Valéria. On a réfléchi deux heures avec l’équipe soignante pour trouver l’idée d’ajouter des pages blanches… pour éviter le point final. » Car elle l’avoue, Valéria a appris de ses erreurs. « J’ai cru que j’étais plus forte que la mort, reconnaît-elle. Je travaillais la nuit, je m’épuisais dans l’espoir de donner le précieux recueil à la personne avant qu’elle décède. Mais l’expérience m’a prouvé que le procédé compte plus que le résultat. » Et Frédéric Duriez de mettre en garde contre un écueil : « il ne faut pas que le malade confonde le récit de vie avec le testament. Au lieu de devenir facteur de vie, c’est traumatisant pour quelqu’un qui n’a pas réalisé que la fin est proche. »
Une approche en plein boom
Aujourd’hui, cette association compte douze biographes dans quinze hôpitaux. Mais ce métier pourrait connaître un boom en 2019. En effet, le sujet passionne, aussi bien les hôpitaux que l’université. La faculté de Poitiers espère créer, avec l’association, un diplôme de biographe hospitalier d’ici trois ans. Et en 2019, Valéria doit soutenir sa thèse. « Le but est d’explorer ce qu’est la biographie hospitalière. Et de répondre à l’hypothèse : est-ce que ça peut permettre de rester vivant ? » Mais cette démocratisation d'une expérience réussie dépendra des finances... Car si ce recueil (qui coûte 200 euros) est aujourd’hui gratuit pour la famille, l’association a dû faire appel à des fondations, subventions… « et même vendre des crêpes ! », rappelle Valéria. « Il nous semble fondamental que cela reste gratuit, parce que des biographes privés, les gens qui ont les moyens en trouveront », renchérit Frédéric Duriez. Mais sur ce sujet épineux aussi les choses avancent : depuis peu, « nous avons noué un partenariat avec le fonds pour les soins palliatifs qui s’engage à payer la moitié du salaire d’un biographe hospitalier ! »