Cancers pédiatriques: L'émoi autour de Wonder Augustine va-t-il faire bouger la recherche pour sauver les enfants malades?
ENFANTS•Après le décès de la petite Augustine le 8 octobre, ses parents et proches ont créé l’association Wonder Augustine dans l’espoir de faire avancer la recherche sur les cancers pédiatriques…Oihana Gabriel
L'essentiel
- Chaque année, 500 enfants meurent à cause d'un cancer en France.
- La petite Augustine est décédée le 8 octobre après deux mois de lutte que ses parents ont relayé sur la page facebook Wonder Augustine.
- L'émoi et l'appel à la solidarité se poursuivent alors que l'association Wonder Augustine joue le rôle de porte-voix d'une lutte pour la création d'un budget consacré à la recherche fondamentale pour les cancers pédiatriques.
Un dernier adieu collectif. Dimanche après-midi, les parents, proches et tous ceux qui ont vécu en direct les derniers instants d’Augustine, décédée à 4 ans le 8 octobre d’un cancer, ont rendu hommage à Wattrelos (Nord) à Wonder Augustine.
aUne photo d’une petite blonde vêtue en Wonder Woman et un surnom devenus symbole du combat de bien des parents qui traversent la pire épreuve qui soit : perdre un enfant d’une maladie sans l’ombre d’un espoir de guérison.
Ses parents, Tanguy et Pauline, et leurs proches ont en effet partagé sur une page facebook le quotidien éprouvant et émouvant de la courageuse Augustine. Et, en créant une association, Wonder Augustine, ils donnent un écho nouveau au combat de familles et de scientifiques pour que la recherche sur les cancers pédiatriques avance.
Un écho impressionnant
« Je suis très famille, et Pauline, la mère d’Augustine, c’est ma cousine-sœur, raconte Steeve de Matos, président de l’association. L’annonce du cancer incurable et inopérable d’Augustine a été un drame et un choc pour moi. Je m’en souviens comme si c’était hier. Le 3 août, j’étais au bureau pour présenter ma fille de 3 mois quand ma mère m’a appelé. On croit que ça n’arrive qu’aux autres… Ma manière de réagir, c’est de rester dans l’action plutôt que de me lamenter. »
Voilà pourquoi avec la belle-sœur et la meilleure amie de Pauline, Steeve se lance dans un combat : monter une association pour sensibiliser aux cancers pédiatriques. Un message qui a pris beaucoup d’ampleur depuis que des footballeurs comme Benjamin Pavard, des comédiens comme Omar Sy et autres stars relaient sur les réseaux sociaux l’épopée de Wonder Augustine.
« Je suis très surpris de l’impact de notre association : les gens sont généreux, des fleuristes, des restos, des pizzerias ont reversé une partie de leur chiffre d’affaires à Wonder Augustine, se félicite Steeve. On a fait une soirée caritative samedi autour de l’art, en une soirée on a récolté 35 000 euros ! Ce mouvement touche tout le monde quels que soient la catégorie socioprofessionnelle ou le métier, des stars comme des lambda… »
Tremplin pour défendre un budget dédié
Mais pour amplifier cet impact, il ne compte pas s’arrêter là. Il a commencé à rencontrer d’autres associations, car « malheureusement, il y a 500 enfants qui meurent chaque année d’un cancer… et quasiment autant d’associations », souligne-t-il. Il a naturellement croisé la route de Stéphane Vedrenne, cofondateur de Eva pour la vie. « L’histoire d’Augustine, elle nous a tous marqués, avoue Stéphane Vedrenne. Cette disparition si rapide, deux mois sans pouvoir lutter… On est impressionnés par toutes ces personnes, motards, inconnus, footballeurs, stars qui ont mis en avant cette histoire d’Augustine et donc la santé de milliers d’enfants qui n’ont pas eu cette visibilité. »
Financer la recherche
Comme sa fille Eva, décédée en 2011 juste avant de souffler ses huit bougies du même cancer que celui qui a emporté Augustine. Pendant des années, Stéphane et sa femme Corinne ont enquêté. « On s’est aperçu qu’il n’y a que 3 % du budget de l’INCa (soit 3,5 millions d’euros par an) consacré aux cancers pédiatriques. Est-ce qu’il est normal dans un pays riche que la recherche soit essentiellement financée par des associations de parents qui ont perdu un enfant ? »
Pire, ce type de financement risque d’encourager la concurrence… « Il ne faut pas se tromper de combat : mon objectif, ce n’est pas de porter une seule voix, celle de Wonder Augustine, mais plutôt de fédérer, ajoute Steeve de Matos. Pour le moment, chaque association récolte des fonds, mais il faudrait la création d’un fond dédié. Aujourd’hui, le paradoxe c’est que les chercheurs qui passent plus de temps à chercher des financements que des traitements ! »
Pourquoi ça coince ? « On nous rétorque souvent que les cancers pédiatriques touchent "seulement" 500 enfants par an, s’agace Stéphane Vedrenne. Mais on doit se battre pour les 14 millions d’enfants et d’adolescents de notre pays, car aucun n’est à l’abri, la preuve avec Augustine, Eva, et des centaines d’autres. Si on ne fait pas cette recherche fondamentale, on ne risque pas comprendre les causes de ces maladies. Un enfant ne boit pas, ne fume pas, ne se drogue pas. Et cette recherche chez les enfants peut permettre de faire de la prévention chez les enfants comme les adultes. »
Relais politiques
Pour porter leur voix jusqu’à l’Assemblée, l’association Eva pour vie a voulu impliquer les députés. C’est d’abord Jean-Christophe Lagarde (UDI) qui s’empare du dossier et propose de créer une taxe sur l’industrie pharmaceutique. En 2014, l’amendement est rejeté. Après des mois de travaux parlementaires, c’est la députée Martine Faure (PS) qui revient à la charge : cette fois en proposant la création d’un fond de 20 millions d’euros dédié à la recherche fondamentale pour les cancers pédiatriques. « C’est très peu coûteux, c’est moins de 0,1 % du chiffre d’affaires des industriels du médicament en France, insiste Stéphane. Et ainsi, on ne retire pas ce budget à celui de la recherche pour les adultes. »
Mais, quand la députée rend ses conclusions, fin 2016, le rapport ne fait pas beaucoup de bruit… «Si en 2012 on a commencé seul, au fur et à mesure des associations et des chercheurs se sont ralliés à la cause, reprend Stéphane. On a rédigé, avec eux, fin 2017, le manifeste " Grandir sans cancer". Devenu par la suite une fédération, qui regroupe 80 associations et une centaine de chercheurs et professionnels de santé.» Avec toujours la même ambition. « Aujourd’hui, nous avons convaincu cinq députés de cinq partis différents dans les Hauts-de-France qui soutiennent notre combat pour un fond consacré à cette cause », se félicite Steeve.
Ces associations espèrent que cet alignement de planètes, émoi et écho médiatique suscités par Wonder Augustine, corrélé à un engagement politique arriveront à faire bouger les choses… et notamment la ministre de la Santé.
Qu’en pense la ministre ?
Justement, interpellée mercredi dernier à l’Assemblée nationale, Agnès Buzyn s’est engagée à faire le point sur les financements alloués aux cancers pédiatriques : « Nous devons imposer aux industriels du médicament de développer plus de médicaments en pédiatrie », relevait La Voix du Nord.
Insuffisant, critique Stéphane. Car, si les industriels financent les essais cliniques, c’est à l’État d’abonder un budget décent pour la recherche fondamentale. « On n’a pas réussi à faire reculer le nombre de décès d’enfants à cause du cancer depuis quinze ans, regrette-t-il. Alors qu’il y a une augmentation du nombre d’essais cliniques : de 850 en 2007, on est passé à 2 400 en 2014. La ministre estime qu’il suffit de soutenir la recherche fondamentale "générale" pour avancer, là où les chercheurs disent qu’il faut soutenir les deux : recherche générale et recherche fléchée vers les cancers pédiatriques. »
D’autant que les cancers pédiatriques ont quelques particularités : divers (une soixantaine environ), complexes, aux causes souvent inconnues, certains de ces cancers ne touchent que les enfants. C’est le cas du cancer du tronc cérébral qui a emporté Augustine et Eva…
Et Stéphane, bien renseigné, de conclure sur une note d’espoir : « Je fais le vœu que, d’ici à la fin de l’année, il y ait une proposition de loi visant à créer un fond destiné à cette recherche spécifique. Et, cette fois, que l’on trouve un consensus politique, car ce n’est ni de gauche, ni de droite de sauver nos enfants, ce qu’il y a de plus précieux. »
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