Troubles de l’attention et hyperactivité: Les enfants sont-ils vraiment tous devenus hyperactifs?
ENFANTS•Reconnus récemment, les troubles du déficit de l’attention et hyperactivité semblent mieux diagnostiqués et mieux accompagnés depuis quelques années…Oihana Gabriel
L'essentiel
- Alors que mercredi, la journée des dys a mis en lumière ces enfants qui rencontrent des difficultés à l'école, un web-documentaire est projeté ce jeudi soir sur le quotidien des enfants TDAH (troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), également en souffrance.
- Pour certains experts, il y a un véritable risque de surdiagnostic et de surtraitement d’enfants qui sont simplement agités. Pour d’autres, le problème des TDAH est enfin reconnu et mieux accompagné.
- Loin d’une épidémie, et des chiffres impressionnants constatés aux Etats-Unis, la prescription de ritaline, médicament indiqué pour ces troubles, reste encadrée et stable en France.
«Il était inattentif à l’école, ne tenait pas en place à la maison, répondait sans réfléchir et il explosait un puzzle tant il était impatient, se rappelle Christelle Chantreau-Béchouche, mère d’un enfant qui souffre de trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). C’était mon aîné, j’ai estimé que c’était de la spontanéité. Ce n’est qu’aujourd’hui, il a 22 ans, que je suis certaine que c’est un pur TDAH. » Pas évident en effet pour les parents de différencier un véritable trouble de l’attention et un bambin agité. « En tant que maman, je sais la souffrance que cela provoque », reprend celle qui vient de publier Dys, TDAH, EIP le manuel de survie pour les parents*. Car l'adjectif «hyperactif», en devenant courant, pose bien des soucis de mauvais diagnostic…
« Turbulent ne veut pas dire hyperactif ! »
Non tous les enfants ne sont pas devenus hyperactifs… Certains manquent peut-être d’espace ou de temps pour jouer, d’attention de la part des parents, de sommeil ou ont tout simplement une passion pour la rêverie ou pour le sport. « Turbulent ne veut pas dire hyperactif !, introduit Christelle Chantreau-Béchouche. Il ne faut pas tout confondre : un enfant, parce que ses parents divorcent, peut être préoccupé et donc moins concentré. Certains enseignants au moindre petit lâchage attentionnel ont tendance à diagnostiquer un TDAH. Cela m’est arrivé pour ma benjamine, mais je voyais bien la différence entre mon fils aîné et ma petite dernière ! »
Polémiques vives sur ces troubles
Les TDAH ont beaucoup fait parler d’eux ces dernières années. En effet, médecins et médias ont braqué leurs projecteurs sur ces troubles complexes depuis une dizaine d’années. « Mais cette pathologie a toujours existé, corrige Eric Konofal, spécialiste du sommeil et des troubles du comportement à l'hôpital Robert-Debré et auteur de Histoire illustrée de l’hyperactivité**. Au XIXe siècle, la Comtesse de Ségur met en garde contre les enfants touche-à-tout. » Et encore aujourd'hui, le sujet crispe . Pour certains médecins, ces troubles sont enfin reconnus, pour d’autres ils n’existent pas ! Au point même qu’une conférence est organisée ce samedi baptisée «Stop à l’épidémie de TDAH»*. « Nous pensons que globalement le TDAH est une création pour coller à l’action d’un médicament qui marche, la ritaline, justifie son organisateur, le psychiatre Patrick Landman. Un phénomène relayé par les médecins, l’Education nationale, les forums, dès qu’un enfant est un peu hors norme, il devient TDAH. Je prédis l’épidémie, mais j’espère me tromper. »
Pourtant, depuis 2015, la Haute autorité de santé (HAS) a publié des recommandations pour aider généralistes comme spécialistes à mieux dépister. « Le but était de clarifier les choses en sortant des polémiques : ce n’est ni une création de la société, ni une maladie épidémique, tranche le Dr Grouchka, membre du Collège de la HAS. Il y a surtout des enfants qui souffrent...»
Est-ce que le nombre d’enfants diagnostiqués augmente ?
Aux Etats-Unis, le nombre d’enfants et ados diagnostiqués TDAH a bondi de 43% entre 2003 et 2011. Et certains craignent que, comme beaucoup d’innovations en santé, la France suive l’exemple américain. « En France, on était à 1 % d’enfants diagnostiqués en 2005, aujourd’hui on est autour de 3 %, nuance le Pr Botbol, pédopsychiatre à Brest. » « En France, on était très en retard sur le diagnostic et depuis 2014 il y a eu une sensibilisation, plus de médecins formés et donc plus d’enfants repérés, justifie Eric Konofal. Mais on a retrouvé une vitesse de croisière. »
A la HAS, on confirme que « les ordres de grandeur tournent autour de 3 à 5 % avec une certaine stabilité depuis quelques années. » Mais au-delà de chiffres, il existe une souffrance pour ces enfants, parfois en échec scolaire et des parents souvent démunis. Un quotidien pas évident, dévoilé par le webdocumentaire Plongez en nos troubles, présenté ce jeudi***.
La difficulté de reconnaître les TDAH
« On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de surdiagnostics, mais aussi de sous-diagnostic parce qu’on est en train d’apprendre collectivement ce que sont ces TDAH », avoue Cédric Grouchka. Le problème, c’est qu’il s’avère très ardu de reconnaître ces troubles. Il n’y a pas de signe neurologique ou physique propre au trouble. Trois symptômes sont tout de même repérables : le manque d’attention, l’hyperactivité et l’impulsivité. « Malheureusement, on réduit trop souvent les TDAH à l’hyperactivité, alors qu’en réalité ce n’est pas le trouble dominant, avertit Cédric Grouchka. Gigoter, être dans la lune pour certains enfants, c’est juste un trait de caractère. Ces éléments pris séparément ne sont pas inquiétants, mais c’est l’ensemble des symptômes, leur intensité et avant tout leur retentissement dans quotidien qui compte. Pas uniquement à l’école, à la maison, au sport, mais au moins dans deux de ces domaines. Et de façon persistante pendant six mois. » Ce n’est donc pas en une semaine que l’on peut décider qu’un enfant souffre de ces troubles sérieux.
Autre frein, ces symptômes peuvent faire penser à d’autres pathologies : dépression, angoisse, autisme, troubles du développement… Alors, un autre débat divise le monde médical : « pour certains psychiatres, ces enfants souffrent en réalité de dépression, pour d’autres de TDAH », note Michel Botbol. Une étude, menée au Pays basque espagnol, montre des variations considérables dans le dépistage de 1 % à 11 % selon les vallées. Et la seule corrélation qui fonctionnait, c’était le lieu de formation du pédopsychiatre. » Preuve que ces TDAH sont très « médecins dépendants »…
La question du médicament
L’inquiétude touche également au traitement. Le méthylphénidate, un stimulant proche de l’amphétamine, est le seul médicament disponible pour traiter ces troubles (Ritaline, Concerta et Quasym), mais il suscite souvent la méfiance. « Beaucoup de parents rencontrés pour le livre culpabilisent de donner ce médicament à leurs enfants », avoue Christelle Chantreau. Pour Patrick Landman, soigner de façon chronique avec des pilules au lieu de traiter les problèmes familiaux, sociaux, scolaires, psychologiques s’apparenterait à une facilité discutable. «Il n’y a aucune preuve que ce médicament soit dangereux», rassure le Dr Botbol. Mais également aucune étude sur les effets sur le long terme...
Du côté de la HAS, on assure que l’accompagnement non médicamenteux est aujourd’hui privilégié en France. « Dans 10 % des cas on peut passer à un traitement médicamenteux, qui peut être extrêmement efficace pour certains, pas du tout pour d’autres », insiste Cédric Grouchka. « Il faut être prudent et garder une prescription raisonnable et encadrée : nous sommes de 10 à 50 fois moins prescripteurs que les Etats-Unis. » En effet, en France, ce qui n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons, c’est un spécialiste du trouble à l’hôpital qui prescrit en première intention la ritaline et pour une durée de 28 jours. « Il existe des garde-fous en France, mais les recommandations de la HAS ne me semblent pas bien suivies au vu du nombre d’enfants sous ritaline qui arrivent dans mon cabinet », critique Patrick Landman.
Une alerte qui ne convainc pas Eric Konofal : « les données de la Sécurité sociale prouvent qu’on est très loin d’une épidémie ! Aujourd’hui, en France environ 0,062 % de la population totale reçoit ce traitement ». « Et les ventes ont tendance à baisser depuis deux ans », renchérit Christine Gétin, présidente de l’association HyperSupers. « J’ai mené une enquête en 2011 et en 2018 pour observer l’évolution des traitements dans les familles adhérentes. Et il y a une amélioration de la situation : dans la population des diagnostiqués, la prise en charge pluridisciplinaire prend de l’ampleur, même si l’offre de soin reste insuffisante. En effet, en 2011, 90 % des enfants chez nos adhérents prenaient des médicaments, aujourd’hui autour de 70 %. »