Le papillomavirus, c'est aussi une affaire d'hommes

Le papillomavirus, c'est aussi une affaire d'hommes

SANTEConnu pour augmenter chez les femmes les risques de cancer du col de l’utérus, le papillomavirus concerne aussi les hommes, dont la santé et la vie sexuelle peuvent être affectées par ce virus…
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

Pour beaucoup, le papillomavirus, c’est ce truc contre lequel il faut vacciner les jeunes filles pour les protéger des risques de développer un cancer du col de l’utérus. Mais ce n’est pas qu’un truc de filles, ce virus touche tout le monde, femmes et hommes, et se transmet par voie sexuelle. Si le plus souvent il est asymptomatique et disparaît spontanément, le papillomavirus humain (HPV) peut entraîner l’apparition de verrues génito-anales, chez les femmes comme chez les hommes et augmenter chez ces derniers les risques de développer un cancer de l’anus ou de la gorge. Un impact délétère sur la vie sexuelle et la santé qui concerne donc tous les sexes.

« Presque toute personne active sexuellement a rencontré le papillomavirus très tôt dans sa vie sexuelle »

« Je suis un HSH (homme qui a des rapports sexuels avec d’autres hommes), et j’ai contracté le papillomavirus au début de ma vie sexuelle, j’étais encore mineur, se souvient Raphaël*. Je ne pensais pas pouvoir l’attraper si rapidement en ayant eu très peu de partenaires. » Pourtant, « les papillomavirus sont des virus ubiquitaires : presque toute personne active sexuellement les a rencontrés très tôt dans sa vie sexuelle, confirme le Pr Nicolas Dupin, dermatologue responsable du Centre de santé sexuelle de l'Hôtel-Dieu (AP-HP) et auteur de Mon amie la peau (éd. JC Lattès). Il s’agit de papillomavirus muqueux, que l’on va retrouver dans les muqueuses basses (ano-génitales) ou hautes (bouche et gorge), en fonction des pratiques sexuelles », détaille-t-il.

A l’époque, Raphaël s’est senti « honteux et sale d’avoir attrapé cette IST ». Si ce virus est la source d’une honte assez tenace chez les personnes qui l’ont contracté, « le HPV fait pourtant partie des infections sexuellement transmissibles (IST) les plus communes, tempère le Pr Dupin. La plupart du temps, c’est bénin et 80 % des personnes contaminées vont éliminer naturellement le virus au cours de l’année suivante. Mais une petite partie développera des condylomes : des verrues ano-génitales, explique le Pr Dupin. Plusieurs années après, certain(e)s développeront des lésions précancéreuses. Dans un premier temps, on a insisté sur le cancer du col de l’utérus : pour la première fois, un lien était établi lien entre une IST et un cancer, ce qui a valu au virologue Harald zur Hausen le prix Nobel de médecine. Puis on s’est intéressé aux autres cancers de muqueuses qui pouvaient être liés au virus, et enfin on a cherché si les hommes avaient eux aussi des risques accrus de développer des lésions ou un cancer à cause du papillomavirus, et il a été découvert que c’était le cas, que cela pouvait entraîner un cancer du pénis ou encore de l’anus et que ces cancers étaient en augmentation chez les hommes, en particulier chez les populations à risques, les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). C’est pour cela que depuis un an, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande la vaccination des HSH contre le papillomavirus. »

Un dépistage pas pris en charge

Si, en pratique, une femme découvre qu’elle est contaminée par le HPV à l’occasion d’un frottis qui peut révéler la présence de lésions précancéreuses du col de l’utérus, « chez les hommes, il n’y a rien de tout ça », précise le Pr Dupin. Ainsi, même les hommes qui font régulièrement un dépistage global des IST peuvent passer à côté d’un papillomavirus. S’il n’y a pas de lésions externes visibles, « la recherche de ce virus n’entre pas dans le cadre d’un bilan IST classique : cela ne fait pas partie des recommandations, donc ce n’est pas pris en charge, révèle-t-il. C’est pourquoi je recommande aux populations à risques qui viennent nous voir régulièrement au Centre de santé sexuelle d’aller consulter au moins une fois par an un proctologue. » Mais le HPV est aussi répandu chez les hommes hétérosexuels.

Heureusement pour ces messieurs, « ils s’aperçoivent plus facilement des signes du papillomavirus », indique le Pr Nicolas Dupin. « Un matin, en allant faire pipi, la surprise : j’avais comme une boule de chair à la sortie de l’urètre. Le truc qui ressemble aux boules de chair qui peuvent vous pousser sur la paupière ou sur le cou, et qui finissent en poireau moche de Pépé, décrit Sébastien*. Ma compagne de l’époque avait été traitée pour un papillomavirus quelques mois avant. J’étais donc sensibilisé au sujet pour la femme, mais pas du tout pour l’homme, même si j’ai immédiatement fait le lien. J’ai donc consulté mon généraliste, qui m’a adressé à une dermatologue. Elle a contrôlé la verrue de l’urètre et confirmé un condylome dû au papillomavirus. Puis elle m’a demandé si j’avais des douleurs, des difficultés à uriner ou à avoir des érections, des signes de condylomes internes, mais ce n’était pas le cas. »

Un traitement pas évident

Une fois le diagnostic posé, « le parcours est difficile : en cas de lésions, il faut les détruire, et non seulement ce n’est pas une partie de plaisir, mais en plus les lésions peuvent revenir, puisqu’on observe qu’il y a environ 30 % de récidive. » Côté traitement : « S’il y a peu de lésions et qu’elles sont externes, le traitement est celui d’une verrue classique : la brûlure à l’azote liquide. » Traitement qu’a reçu Vincent. « Sur le pied, ce n’est déjà pas agréable, hein ! Mais sur le sexe, une fois passé l’effet anesthésiant de la pommade, la douleur se réveille sérieusement, raconte le jeune homme. Et, pendant un mois, ma muqueuse était brûlée et irritée. »

S’il y en a un peu plus, « on prescrit une crème qui va stimuler l’immunité virale de la zone traitée, indique le Pr Dupin. C’est assez efficace, mais c’est contraignant et douloureux : la crème est irritante, et il faut l’appliquer trois fois par semaine pendant trois mois. Selon les pratiques sexuelles, il faudra également traiter la marge anale et en cas de lésion interne, il faudra en passer par la chirurgie ou le laser », ajoute-t-il.

Jonathan* a « des rapports avec des hommes et des femmes. Un jour, je me suis rendu compte que j’avais des excroissances au niveau de l’anus, le médecin m’a dit que c’étaient des condylomes. On m’a prescrit une pommade à appliquer sur la zone. C’est très irritant et douloureux, le traitement est long et les récidives fréquentes : ç’a a été le cas pour moi. » Les condylomes à la marge anale, « le médecin les a détectés très tôt, confie Alexandre. Je suis gay, je me fais dépister tous les 3-4 mois. C’est vraiment handicapant et dégoûtant et ça pourrit la vie sexuelle, estime le jeune homme. On m’a conseillé une chirurgie mais, heureusement, je n’ai pas eu à la faire car mes condylomes ont disparu tout seuls, mais je sais que je ne suis pas à l’abri d’une nouvelle poussée. C’est pourquoi il est important de se faire dépister pour soi et les autres. »

Améliorer la prévention

« Il faut démystifier le papillomavirus et améliorer la prévention », prescrit le Pr Nicolas Dupin. Or, « la couverture vaccinale contre le HPV est assez faible en France, regrette le Dr Michèle Scheffler, gynécologue, ex-présidente de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNCGM). Beaucoup de faux messages ont circulé, alimentant à tort la défiance à l’égard de ce vaccin, qui est un rempart efficace contre le cancer du col de l’utérus. Par ailleurs, une couverture vaccinale élevée chez les jeunes filles permet de protéger l’ensemble de la population, femmes et hommes. Ce virus est délétère partout dans le monde, mais des études montrent que dans les pays où la couverture vaccinale des jeunes filles est quasi totale, comme c’est le cas en Australie ou au Danemark, il y a eu un recul du virus : le vaccin assure une prévention efficace contre des maladies qui sont mortelles », insiste la gynécologue.

Mais il n’est pas facile de convaincre le grand public de l’intérêt de la vaccination. « C’est une question qui mérite un débat singulier, et un gros travail de pédagogie est à faire auprès des parents pour leur expliquer les bienfaits de la vaccination, les inconvénients ou risques éventuels, préconise le Dr Scheffler. Peut-être aurait-il fallu vacciner tous les jeunes, filles et garçons, mais à 130 euros l’injection – et il en faut trois pour les adolescentes –, un choix politique et économique a été fait de faire peser la prévention vaccinale sur la population féminine. »

Aujourd’hui, « la France est lanterne rouge de la vaccination contre le papillomavirus : seules 25 à 30 % des adolescentes sont vaccinées, déplore le Pr Dupin. Or, en les vaccinant elles ainsi que les HSH, on diminue le réservoir du virus, mais cela ne se vérifie que si la couverture vaccinale est suffisante. » Jonathan, lui, regrette « le manque d’information sur cette IST. Si j’avais su qu’un vaccin existait, je l’aurais fait ».

* Les prénoms ont été changés