Octobre rose: Comment parler de son cancer à ses enfants?

Octobre rose: Comment parler de son cancer à ses enfants?

MALADIEA l'occasion du lancement d'Octobre rose, un mois de sensibilisation au cancer du sein, «20 Minutes» s'interroge sur la manière d'expliquer son cancer à ses enfants sans les heurter...
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Alors que les cancers touchent 400.000 nouveaux patients chaque année, une partie d’entre eux doivent gérer leur inquiétude mais aussi l’annoncer à leurs enfants.
  • Pour éviter de trop les perturber, certains se demandent s’il faut ou non parler du cancer à leurs enfants.
  • « 20 Minutes » a interrogé deux psychologues, qui épaulent des familles concernées et sélectionné certains témoignages touchants d’internautes.

C’est une grosseur au sein (ou ailleurs) qui se transforme en un mot lourd d’inquiétude, en boule dans la gorge, en nœuds au cerveau, en points d’interrogation sur l’avenir. Pour beaucoup de patients-parents, la question d’annoncer leur cancer à leur enfant démultiplie l’angoisse. Marie-Frédérique a choisi d’attendre les questions de sa fille pour lui expliquer son cancer du sein. « Je reste persuadée qu’il faut expliquer la maladie qui nous frappe aux enfants, avec leurs mots, mais sans être alarmiste. » Un numéro d’équilibriste exigeant, surtout quand on doit gérer ses larmes et éviter de trop bousculer le quotidien familial.

Illustration parents et enfants.
Illustration parents et enfants. - GILE MICHEL/SIPA

Silence lourd de conséquences

Faut-il en parler ? C’est une évidence, pour les deux psychologues interrogées… « Souvent, les parents sont freinés par la peur d’inquiéter, remarque Audrey Ginisty, psychologue. Mais en réalité, l’enfant est encore plus perturbé de ne pas savoir pourquoi il y a des changements dans sa vie ! » « Quand il y a des non dits, des silences autour d’un cancer, l’imaginaire de l’enfant peut déborder la réalité, donc être encore plus anxiogène, confirme sa collègue au CHU de Nîmes, Armelle Ratat. Même si la tentation de cacher est encore là, il y a une prise de conscience de plus en plus forte de l’importance des mots et de savoir. »

Car les conséquences dommageables d’un lourd silence peuvent intervenir… à retardement. « Parfois, même les tout petits ont compris, mais ils le cachent, reprend Audrey Ginisty, également blogueuse. Les enfants veulent encore plus protéger leurs parents que ces derniers ! Puisque la règle c’est qu’on ne parle pas de ce qui génère de la souffrance, l’enfant risque d’inhiber ses ressentis. » D’autres vont enchaîner les maladies ou les colères, refuser les câlins… Évidemment, chaque enfant réagit différemment et « il ne s’agit pas de culpabiliser les parents, mais de les aider », précise Audrey Ginisty.


Quand en parler ?

Trouver ses mots pour le dire, ce n’est pas évident. Ni d’être sûr que c’est le bon moment pour autant. « Il n’est jamais trop tard !, rassure Armelle Ratat. C’est important que les parents fassent l’annonce, car cela dit quelque chose de la confiance qu’ils ont dans l’enfant, dans sa capacité à trouver des ressources pour faire face à cet événement. »

Le plus tôt le mieux, répondent tout de même les deux spécialistes. « A condition que les parents aient déjà digéré l’information, nuance Audrey Ginisty. S’ils sont encore trop dans l’émotion, s’ils n’ont pas de diagnostic fixe, ne savent pas encore quel traitement est prévu, ils risquent de transmettre uniquement leur inquiétude. »

Quand Françoise a appris qu’elle allait devoir se battre contre un cancer, elle a attendu d’être prête avant de l’évoquer avec ses enfants. « Le choc de l’annonce passé, on sort de sa bulle. Cette souffrance ne se partage pas et encore moins avec nos enfants, ce n’est absolument pas leur rôle. » Une position totalement appuyée par Armelle Ratat : « C’est important que chacun garde sa place et donc de lui permettre de garder sa part d’enfance. »

« Ne pas tout dire, ne pas mentir »

Qu’est ce qu’un enfant qui ignore la mort et le cancer peut entendre et comprendre ? « Ne pas tout dire, ne pas mentir », synthétise Audrey. « L’information doit être adaptée aux différents âges et aux différentes phases de la maladie, préconise Armelle Ratat. Qui se remémore d’une réponse poétique d’un enfant qu’elle suit : « je veux la vérité avec des mots gentils ».

« J’ai dit à mes enfants les mots que j’aurais aimé entendre enfant dans une même situation, témoigne Françoise. Oui ! je suis malade, oui ! c’est une maladie grave dont on peut mourir, oui ! il existe des traitements efficaces, oui ! on peut en guérir. Nous avons la chance de vivre dans un pays où la science et la recherche avancent à grands pas donc il faut faire confiance et garder espoir ». Amalia, mère de deux petits garçons de 11 mois et 3 ans, se bat depuis mai contre un cancer du sein. Et avec son mari, ils ont choisi de ne rien cacher à l’aîné. « Nous lui avons dit, avec des mots simples que sa maman avait une méchante maladie mais que les docteurs allaient me soigner. Que je devrais aller à l’hôpital de temps en temps pour que l’on me donne un médicament encore plus méchant que la maladie. Nous avons insisté sur le fait que ce n’était ni sa faute, ni celle de son frère. » Une information primordiale. Car l’enfant peut être persuadé que si sa mère est malade, c’est parce qu’il a eu une mauvaise note, qu’il a fait trop de colères… L’autre donnée que, nous adultes, risquons d’oublier et qu’il faut bien rappeler, c’est que cette maladie n’est pas contagieuse.

Invitation au dialogue

Mais la psychologue rappelle aussi qu’il faut rester dans le très concret : qu’est-ce qui va changer pour l’enfant ? Et surtout l’inviter au dialogue. « C’est important de répéter à l’enfant qu’il peut poser des questions, et pas seulement au parent malade, qu’il ne va pas toujours oser interroger, mais aux grands-parents, à la maîtresse… Et ne pas hésiter à redemander à l’enfant ce qu’il a compris de temps en temps pour réajuster les informations. » Ce que Françoise a appliqué : « Les enfants ne questionnent pas toujours, mais se posent quand même des questions alors il faut penser à leur dire quand les résultats des examens et traitements sont bons ! »

Cette invitation au dialogue continue peut aussi passer par des outils bien utiles, livres pour enfants ou dessins animés, qui abordent à hauteur d’enfant la question du cancer. De son côté, Armelle Ratat propose dans son CHU de Nîmes un atelier « conte-moi » depuis un an. « Pour mettre en relation des enfants qui partagent la même épreuve mais en ménageant un espace de rêverie, un lieu accueillant là où leur parent se fait soigner. »

Les enfants n’ont pas les mêmes préjugés que nous

Et le gros mot, CANCER, on évite ? « Il vaut mieux utiliser les mots dans lesquels il va baigner », reprend-elle. « La connotation négative du cancer, elle nous appartient à nous adultes, rappelle sa collègue. Mais il faut expliquer que chaque cancer est unique. Car si l’enfant en parle avec des camarades et qu’il entend "ma tante est morte d’un cancer", il va s’inquiéter. Le mieux c’est d’employer des termes avec lesquels on est à l’aise. »

Et parfois, ce sont les enfants qui font relativiser la maladie. Et la perruque… « Quand j’ai commencé la chimio, je me suis rasé la tête avant même la perte des cheveux… et pour ne pas perturber mon fils de onze mois, j’avais mis un turban, dévoile Emily, qui a souffert d’un cancer du sein quand son bébé avait 13 mois. Je l’ai sorti de son lit et il m’a enlevé mon turban, depuis ce jour et pendant tout le temps de mon traitement il jouait avec mon crâne, lui faisait des câlins, des bisous… ça ne l’a pas du tout perturbé. »

S’il n’est pas forcément besoin de parler de mort, attention à ne pas faire de promesses qu’on n’est pas certain de pouvoir tenir… « Nous prenons soin de dire "soigner" et non "guérir" », insiste Amalia. Un choix judicieux, salue Audrey Ginisty, qui conclut : « je conseille souvent aux parents malades de dire : je me donne toutes les chances de guérir et je suis bien entourée. »