Brûlures, allergies, cancer... Le premier institut esthétique «inclusif» de France propose des soins adaptés à tous les patients
REPORTAGE•«20 Minutes» a poussé la porte de Dulcenae, le premier institut de beauté inclusif de France, où des clients brûlés, souffrants d'un cancer ou d'une maladie de peau peuvent accéder à des soins adaptés...Oihana Gabriel
L'essentiel
- Dulcenae est le premier institut de beauté inclusif: il s'adresse à tous les publics, notamment les brûlés, ceux qui souffrent d'un cancer, d'une maladie de peau, ou les personnes en surpoids.
- Installé dans le 9e arrondissement, cet espace de bien-être espère attirer ce public éloigné du soin... mais aussi des clients lambdas.
- «20 Minutes» a pu visiter et rencontrer le couple à l'initiative de cette innovation en exclusivité.
«Vous imaginez quand vous avez une poche pour l’urine combien il est difficile de se déshabiller devant une esthéticienne », assure Laurent. Brûlé sur 60 % de son corps à 4 ans, il a souhaité offrir la possibilité à tout un chacun de s’autoriser un moment de bien-être sans prendre le risque de se faire mal… Ou d’être rejeté à cause d’une cicatrice ou d’un handicap.
Des allures d’appartement
Avec son épouse, Sophie, ils viennent d’ouvrir le premier institut de beauté inclusif de France, baptisé Dulcenae. Cet espace accueille avec bienveillance toutes les personnes qui ont traversé ou se battent encore contre un cancer, un accident, une maladie chronique, un handicap, une maladie de peau. « Mais aussi des séniors, qui ont parfois du mal à dévoiler leur corps, précise Laurent. On estime qu’environ 20 millions de Français ne trouvent pas de soins esthétiques adaptés ».
Mais si on parle d’inclusion, c’est parce que Dulcenae s’adresse aussi bien à ces exclus du bien-être qu’à tout un chacun. « Venez avec vos particularités, qu’elles soient criantes ou pas », synthétise Laurent. « Ce lieu est à l’image de notre couple, pour les corps abîmés… et les autres ! », renchérit son épouse.
Cet institut de 100 m², qui a ouvert ses portes lundi au cœur du 9e arrondissement de Paris, a des allures d’appartement. On prend rendez-vous sur un bar, on attend dans un salon où des ateliers collectifs permettent aux publics, malades ou non, d’échanger… et d’apprendre à prendre soin de soi à la maison. Des ateliers « où on mélange les problématiques », détaille Sophie, pour éviter toute stigmatisation.
Retrouver une estime de soi
« Personnellement, j’aime me faire masser mais en général, soit l’esthéticienne refuse, soit elle y va trop fort sur mes cicatrices, soit je ne sens quasiment rien, ironise Laurent. Avec notre association Burns ans Smiles, on s’est rendu compte que le premier problème des brûlés n’est pas forcément le regard des autres, mais leur propre jugement et l’autocensure ». Avec le risque de freiner leur vie sociale, mais aussi professionnelle.
Dans ce contexte, retrouver de l’estime de soi, arriver à se regarder dans la glace ou soulager ses tensions constituent un premier pas important pour se reconnecter à son corps… et à l’extérieur. Pourtant, l’offre était jusque-là inexistante : « Après l’hôpital, il n’y a plus aucun accompagnement sur le bien-être, regrette Laurent. Pire, on a goûté à des soins adaptés, et soudain plus rien ».
« On prend conscience en venant ici que le corps a beaucoup souffert »
Marie-Noëlle ressort d’une heure de massage, en souriant. « C’est la première fois qu’on touche mon corps depuis les traitements », reconnaît la sexagénaire. Depuis un an, elle se bat contre un cancer du sein. Après des mois de chimio, radio, hormonothérapie éreintants, « je suis dans la phase de reconstruction. Et on prend conscience en venant ici que le corps a beaucoup souffert… Je suis arrivée totalement crispée et je n’ai plus mal nulle part ».
Mais au-delà d’un bien-être physique et psychique évidents, Marie-Noëlle est venue en totale confiance. « Quand je vais faire une manucure, en général je viens avec mon vernis prescrit par l’hôpital et mon dissolvant, explique-t-elle. Mais ici, tous les produits sont adaptés et les socio-esthéticiennes en connaissent plus de moi ! », sourit Marie-Noëlle. Qui ni une, ni deux, reprend rendez-vous pour une manucure.
Matériel et produits adaptés
Pour n’exclure personne, chaque détail compte. Une personne en surpoids peut s’y faire masser grâce à des tables larges et solides. Un client en fauteuil roulant peut accéder à la cabine de soins PMR et se dévêtir à l’abri des regards grâce à un rideau. Des lumières à la playlist modifiables, tout a été pensé pour adapter les soins à toute exigence. Ici, on ne parle pas de patients, mais de clients.
« On a beaucoup travaillé sur le design du lieu, les couleurs, pour que rien ne rappelle la maladie, insiste Sophie. On a installé des miroirs en triptyque pour pouvoir les refermer si la personne ne supporte pas de se regarder. » Autre gageure : trouver des produits cosmétiques adaptés à toutes sortes de contre-indications : sans acétone, huiles essentielles, paraben ou même parfum…
Des « soins solidaires »
Mais sinon, la carte ressemble étrangement à celle d’un institut classique, même les prix. Une heure de massage pour 80 euros, les initiateurs l’assurent, rester accessible faisait partie du projet, « d’autant plus que la maladie fragilise financièrement », ajoute Sophie. Mais la solidarité s’inscrit dans l’ADN de Dulcenae : des « soins solidaires » devront à terme représenter 15 % de leur activité. Comprenez : une association de patients, l’institut et le client partageront les frais, pour que ce dernier n’ait que quelques euros à payer.
Créer un réseau sur toute la France
S’adapter à toutes les problématiques avec douceur, c’est un certain challenge pour les socio-esthéticiennes qui y travaillent. « Aujourd’hui, elles ne travaillent qu’en hôpital, prison ou centres sociaux, reprend Laurent. Ce matin, Julie s’est occupée d’une femme qui a souffert d’un cancer du sein puis une brûlée ».
L’équipe de choc espère convaincre… et lancer deux autres instituts à Paris en 2019. Avant d’ouvrir tout un réseau également en région. « Il faut créer un maillage sur le territoire car quelqu’un qui a du mal à sortir de chez lui ne fera pas 30 km pour un massage ! »