FEMME«Congeler ses ovocytes, c’est un pari et pas une assurance-bébé!»

«La congélation d'ovocytes, c’est un pari sur l’avenir et pas une assurance-bébé!»

FEMMEAlors que les Etats généraux de la bioéthique se penchent sur la question d’autoriser l’autoconservation d’ovocytes pour toutes les femmes, Myriam Levain publie un livre aussi enlevé que documenté…
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Dans « Et toi, tu t’y mets quand ? » Myriam Levain, journaliste de 35 ans dévoile ses questions et rencontres qui l’ont poussée à faire vitrifier ses ovocytes en Espagne.
  • Alors que la France doit réviser sa loi de bioéthique et notamment l’interdiction de l’autoconservation d’ovocytes hors raisons médicales, elle pose les enjeux de cette question sociétale.
  • Avec des spécialistes comme Martin Winckler ou Odile Buisson, elle aborde également les questions de fécondité, de féminité, de maternité et injonctions qui pèsent sur les femmes.

Les premiers mots du livre de Myriam Levain, Et toi, tu t’y mets quand ?* sonnent comme une provocation : « 35 ans, la date de péremption ? » Myriam Levain, journaliste et cofondatrice de Cheek Magazine y détaille son aventure personnelle : la vitrification de ses ovocytes. Treize en tout, conservés dans le frigo d’une clinique à Barcelone. Parce qu’aujourd’hui, les Françaises pour qui le tic-tac de l’horloge biologique devient un problème vont en Belgique ou el’Espagne pour autoconserver leurs ovocytes en vue d’une éventuelle FIV. Histoire de multiplier leurs chances d’être mère plus tard.

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Une conservation qui n’est autorisée (et remboursée) que dans des cas de maladies graves (cancer, endométriose sévère) en France. Pour le moment. Car les débats actuels sur les états généraux de la bioéthique l’ont (un peu) évoqué. Et les députés pourraient décider d’autoriser cette avancée médicale de taille à l’automne.

« Un pari sur l’avenir »

L’intérêt ? Elle permet de gagner un peu de temps et beaucoup de bien-être pour beaucoup de trentenaires qui ont d’autres priorités que de tomber enceinte… ou qui attendent de trouver le bon partenaire. C’est le cas de Myriam : « là tout de suite je n’ai pas le père de mes enfants et à 35 ans ma fertilité commence à décliner, justifie-t-elle. Je ne voulais pas regretter plus tard. J’avais l’information et le budget alors je ne voulais pas passer à côté d’une innovation médicale majeure. Mais c’est un pari sur l’avenir et pas une assurance-bébé ! »

Un employé de la clinique Eugin manipule des embryons, des ovocytes et du sperme dans un tank à nitrogène le 25 mai 2016
Un employé de la clinique Eugin manipule des embryons, des ovocytes et du sperme dans un tank à nitrogène le 25 mai 2016 - LLUIS GENE AFP

« Une vraie solidarité dans ce monde parallèle de la PMA »

Et concrètement, ça se passe comment ? Le livre, avec un journal de bord, dévoile en détail le parcours du cabinet d’un gynécologue parisien encourageant à la ponction réalisée à Barcelone. Deux semaines de stimulation hormonale, des échographies, un vol express pour Barcelone, une anesthésie générale pour réaliser la ponction… Myriam ne tait pas les doutes, les angoisses et hématomes. Mais insiste aussi sur les bonnes surprises : finalement, ce n’est pas si compliqué d’aborder les questions de PMA avec les « recalés du missionnaire ».

« La plupart des gens sont contents d’en parler. De donner des conseils. Il existe une vraie solidarité dans ce monde parallèle de la PMA. » Et au-delà d’informations documentées, la journaliste se penche sur la révolution sociétale avec des interviews de médecins, gynécologues, historiennes…

« Ils ne vont pas nous laisser cette option ! »

Ecrire un livre sur une décision on ne peut plus personnelle, illégale en France, surtout quand on a l’habitude de tendre le micro plutôt que d’écrire à la première personne, n’a pas été simple. Quand une éditrice lui propose d’écrire un livre sur son parcours, Myriam en rigole.

« Mais je ressentais de plus en plus fortement les inégalités qui pèsent sur les femmes. La goutte d’eau, ça a été le rapport du Comité Consultatif National d’Ethique qui s’opposait en juin dernier à l’autoconservation des ovocytes. Ils ne vont pas nous laisser cette option ! Mon parcours personnel croise ma profession, je dois faire cette enquête pour toutes les femmes qui font cette démarche dans l’ombre. Ou qui se posent la question. »

Une interrogation qui reste l’exception. L’année passée environ 500 femmes ont fait la démarche d’autoconserver leurs ovocytes à l’étranger, selon des données forcément partielles. « Cette technique est encore balbutiante, les femmes ne savent même pas que ça existe ! regrette l’auteure. Quand on en parle, c’est en murmurant. J’espère donner envie à d’autres femmes de faire la démarche et à prendre la parole sur le sujet. Surtout, ce qui me frappe c’est que les femmes ne connaissent pas leurs corps. A partir de 35 ans, la production d’ovocytes baisse en quantité et en qualité. Il y a des femmes pour qui c’est à 32 ans, d’autres à 40 ans. Mais beaucoup se posent ces questions vers 39 ou 40 ans, c’est déjà trop tard. »

Pourquoi autoriser ce procédé médical ? « Pour que celles qui le souhaitent puissent gagner quelques années afin d’aligner nos planètes sentimentales, professionnelles, personnelles. Avec le traitement, tout est minuté donc prendre l’avion en urgence, la barrière de la langue, c’est du stress en plus. Ne pas être parasité par la logistique ça serait énorme. »

« L’autoconservation reste un plan B »

Pourtant, les critiques affluent rapidement quand le sujet est évoqué. « Surtout par des hommes cinquantenaires loin de ces réalités ! », remarque la journaliste. Qui rassure : non, toutes les femmes ne vont pas se précipiter : « l’autoconservation reste un plan B. Les femmes choisiront toujours de faire des enfants de manière naturelle, c’est moins physique et moins éprouvant. »

Car certains craignent que si cette technique était légalisée, les entreprises encouragent leurs salariées à retarder leurs envies de maternité. Au risque d’avoir des grossesses plus risquées. « Deux entreprises américaines remboursent la vitrification d’ovocytes, mais elles n’obligent personne à le faire ! », rétorque la journaliste.

Qui reconnaît tout de même que la question financière se pose : qui doit payer et dans quelles conditions ? « Je pense que la spécificité française, c’est notre système de sécurité sociale, analyse la journaliste. A l’étranger, des cliniques privées proposent cette opération (pour environ 2.500 euros en Espagne). Mais la chirurgie esthétique par exemple n’est pas prise en charge pas la Sécu et personne n’a eu l’idée de l’interdire ! »

« Comment la société doit s’adapter au rythme biologique des femmes »

Mais au-delà de cette problématique « de niche », son ouvrage aborde bien des sujets d’actualité : PMA pour toutes, injonction à la maternité, difficulté de concilier vie professionnelle et familiale pour nombre de mères au bout du rouleau… Et la journaliste espère faire passer un message : il faut arrêter de faire peser l’horloge biologique et la parentalité uniquement sur les femmes. « La vraie réflexion collective à mener, c’est comment la société doit s’adapter au rythme biologique des femmes. Le New York Times évoquait le " baby window ", en gros entre 30 et 40 ans tout se joue, carrière et maternité. » Et elle rappelle l’interview du médecin Martin Winckler : « Tout ça laisse entendre d’une part qu’une femme ne peut se réaliser que par la grossesse, d’autre part que les problèmes de fertilité ne concernent pas les hommes, alors que 30 % des infertilités leur sont imputables et 20 à 30 % sont imputables aux couples pour incompatibilité génétique. »

Car pour Myriam Levain, obtenir ce droit relève d’un combat féministe. « Quel que soit le choix, maternité ou pas, c’est enfermant pour les femmes confrontées à des dilemmes auxquels ne se frottent pas les hommes. J’aimerais encourager les femmes à assumer et arrêter de s’excuser de ne pas être dans les cases. Et redonner un peu de légèreté à tout ça. On peut vivre sans enfant ! »

* Et toi, tu t'y mets quand?, Flammarion, mai 2018, 19 euros.