LA BIOETHIQUE ET VOUS (1/5)Débats sur la fin de vie, Mickaël dévoile les derniers instants de sa femme

Vos états généraux de la bioéthique: «Les derniers instants sont primordiaux, pour celle qui s’en va, mais aussi pour son entourage»

LA BIOETHIQUE ET VOUS (1/5)A l’occasion des Etats généraux de la bioéthique, « 20 Minutes » donne la parole à des hommes et des femmes dont les parcours incarnent les enjeux au coeur de ces débats. Aujourd’hui, Mickaël qui a perdu sa femme il y a trois mois, évoque l'accompagnement de la fin de vie…
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • A l'occasion des Etats généraux de bioéthique, 20 Minutes propose une série de portraits sur les thématiques abordées: PMA, GPA, fin de vie...
  • Selon notre sondage #MoiJeune, la fin de vie (citée par 36%) fait partie des trois thèmes les plus importants pour les 18-30 ans après la procréation (38%).
  • Mickaël, 37 ans, vient de perdre son épouse, il raconte sans détour et avec retenue les dernières semaines, les soins palliatifs, la sédation profonde, l'écoute du personnel médical.

«On était quatre, on avait tout, maintenant on est trois puissance 1.000 », résume Mickaël, 37 ans, reprenant les mots prononcés il y a quelques semaines pour dire un dernier adieu à sa femme. Cet attaché commercial a accepté de raconter son épreuve : accompagner jusqu’aux derniers instants son épouse, décédée le 17 janvier.

Loin des avis tranchés, de la colère courante, des généralisations périlleuses, il raconte les précieuses parenthèses de bonheur, l’empathie des médecins, les explications nécessaires, le courage sans faille de sa femme qui a combattu bien des maladies dans son court parcours.

La fin de vie, ultime tabou, fait l’objet de débats intenses depuis des années. Mais avec les états généraux de la bioéthique en cours et les consultations du président Macron visiblement décidé à prendre son temps avant d’aborder un sujet de société explosif, la question de l’euthanasie revient sur le tapis. Car en France, si l’euthanasie et le suicide assisté restent illégaux, en revanche, la loi Leonetti de 2016 a autorisé la sédation profonde et continue, qui permet dans certaines conditions un arrêt des traitements et une diminution de la douleur. Une sédation qui a permis à Elodie de partir sans trop souffrir.

« C’était un cancer du sein triple négatif, le mauvais en gros… »

« Ma femme est un parcours de santé à elle seule, synthétise Mickaël. Vers 22 ans, elle a déclaré la maladie de Stargardt, une déficience visuelle. Son combat face à son corps a commencé avec cette étape. Elle a souffert d’endométriose sévère, qui aurait dû nous priver d’avoir naturellement des enfants. La chance, le hasard et l’acharnement ont fait qu’à la veille d’une fécondation in vitro, on a fait un ultime test de grossesse… positif. » Deux ans plus tard, Elodie accouche d’une deuxième fille.

A partir de février 2015, le destin de la petite famille prend un tournant. « Je revois ma femme, assise dans le canapé, qui touche son sein gauche et me dit "je sens une petite boule, viens voir". Après analyse, c’était un cancer du sein triple négatif, le mauvais en gros… » Après un an de traitement, un an de « rémission », une radiographie apporte la mauvaise nouvelle : le cancer est revenu, et cette fois il y a des métastases.

« On a compris qu’une autre phase de la bataille plus difficile encore se jouait, se remémore le trentenaire. On n’a jamais été dans le déni et nos médecins ont compris que nous dire la vérité, c’était nous donner une arme. Ce parcours, on l’a affronté avec des larmes, des sourires, mais toujours dans l’explication. »

« Les derniers instants sont primordiaux »

Ni chimiothérapie, ni immunothérapie n’auront raison de ce cancer agressif. En décembre, Elodie, soignée à l’hôpital de Villejuif (Val-de-Marne), ne supporte plus les douleurs atroces. Début janvier, elle entre dans le service de soins palliatifs du CHRU de Besançon (Doubs). « Du jour au lendemain, avec une équipe médicale adaptée et un vrai partenariat, sa douleur a chuté de façon impressionnante grâce à des soins ciblés », assure Mickaël.

Les dernières semaines, « on a réussi à créer des moments de bonheur quotidiens sans faire fi de la maladie et des douleurs. Mais en différenciant les secteurs : échanges avec nos enfants, devoirs, douleurs à respecter et à prendre en charge, la tristesse… »

Jouer avec sa famille le dernier soir

Deux semaines plus tard, Elodie décède à 35 ans. « Son extrême fin de vie a été très condensée. » Et pourtant apaisée. « Le dernier soir, on a fait des jeux de société avec nos filles jusqu’à 20h. J’ai laissé ma femme en train de se brosser les dents, elle nous a dit au revoir. »

Cette nuit-là, Mickaël est rentré avec ses filles à la maison, c’est sa belle-mère qui veille Elodie. Vers 1 heure du matin, son état de santé se dégrade. Les infirmières expliquent à Mickaël, arrivé à la hâte, que sa femme ne se réveillera plus. Mais cette patiente, une « guerrière » selon les dires de l’équipe médicale, revient à la conscience à trois reprises. « On a pu se dire les choses une ultime fois, dévoile Mickaël avec retenue. Les derniers instants sont primordiaux, pour celle qui s’en va, pour son entourage. Pour la reconstruction aussi. Ces moments n’auraient pas existé si on avait fait les choses de façon plus précoce et maîtrisée. »

Euthanasie ou pas ?

Pourtant, le couple avait envisagé dans un premier temps de partir à l’étranger pour avoir accès à l’euthanasie. Elodie avait même écrit une lettre à Emmanuel Macron « pour que les choses soient plus claires et plus accessibles pour la fin de vie », reprend Mickaël. Mais au fur et à mesure du parcours, après bien des discussions, l’avis du couple a évolué.

« Notre entourage médical nous a invités à peser le pour et le contre. Je pense que c’est une décision très dure. Dans notre cas, c’était une connerie de choisir l’euthanasie. En revanche, on était clair sur le fait qu’on voulait abréger ses souffrances et éviter tout maintien en vie artificiel. La sédation profonde, c’est pour moi une forme d’euthanasie… »

« Les soins palliatifs, ça reste un lieu de vie ! »

Une question extrêmement complexe. Qu’il refuse de trancher à la va-vite. Car « la notion de dignité est floue et subjective, analyse le trentenaire. Je fais le distinguo entre ce qu’on a vécu et les choses plus générales. Je connais une personne qui a mis fin à ses jours car elle souffrait d’une maladie incurable et ne voulait pas que ses enfants voient sa santé se dégrader. Je respecte ça. C’est très difficile de statuer pour toutes les situations. L’euthanasie, quand ça renvoie à un choix conscient, ça s’entend complètement. Mais c’est très compliqué quand il s’agit de personnes qui ne sont pas conscientes, qui ne peuvent pas exprimer leur douleur. Le vrai drame, c’est que tout le monde ne peut pas finir sa vie aux soins palliatifs ! Au CHRU de Besançon, il y a quinze chambres… »

Mais lui regrette surtout que le sujet reste aussi méconnu : « il y a un manque d’information sur ce qu’est la fin de vie, sur les moyens pour soulager la douleur. Beaucoup pensent que les soins palliatifs, c’est juste là où on va mourir. Mais c’est rempli de force, d’affection, de solutions, de vie. Pour moi, c’est le service le moins glauque de l’hôpital. »