IVG, fausse-couche, déclenchement… Quelles peuvent être les conséquences du retrait du Cytotec?
GYNECOLOGIE•Ce médicament était utilisé dans 94% des cas en gynécologie, pour des IVG, fausses-couches et déclenchement de l'accouchement...Oihana Gabriel
L'essentiel
- En octobre 2017, le laboratoire Pfizer a annoncé la fin de la commercialisation du Cytotec, un anti-ulcéreux très utilisé pour des avortements notamment.
- Il est également utilisé en cas de fausse couche ou pour déclencher un accouchement.
- A partir du 1er mars, quelles seront les alternatives pour toutes les femmes qui subissent un IVG, IMG ou fausse couche?
Une bonne nouvelle ou un drame pour les femmes ? A partir du 1er mars, le Cytotec ne sera plus disponible. Ce médicament censé traiter des troubles gastriques est en réalité utilisé dans 94 % des cas en gynécologie pour des interruptions médicales de grossesse (IMG), des fausses couches ou des déclenchements d’accouchements. Mais surtout pour des avortements... Après une polémique sur les dangers de cette molécule, le misoprostol, le laboratoire Pfizer a annoncé à l’automne dernier la fin de sa production de Cytotec. Un danger pour la santé des femmes ?
Médicament ou curetage ?
« Cet arrêt va changer radicalement beaucoup de questions gynécologiques », tranche Dominique Martin, directeur de l’ANSM, qui organisait une conférence de presse ce mardi sur le sujet. Jusqu’ici, les femmes pouvaient choisir entre une IVG médicamenteuse, avec du Cytotec, ou un curetage. « Aujourd’hui, en 2018, ne pas pouvoir proposer le misoprostol pour les fausses couches, les IVG ou les IMG, c’est une perte de chance pour les femmes : on a réduit de trois quarts les curetages avec ce médicament », s’inquiète Philippe Deruelle, gynécologue et secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).
Pourquoi faudrait-il éviter le curetage ? « Le curetage est une méthode un peu plus agressive qui augmente le risque de provoquer une infertilité, mais dans des cas très rares, assure le gynécologue. Ce n’est pas plus dangereux, mais plus lourd physiquement et psychologiquement : cela nécessite une intervention chirurgicale, souvent avec anesthésie générale, une courte hospitalisation… Il faut que les femmes puissent avoir le choix. »
Mais est-ce que suppression du Cytotec signifie la fin des IVG médicamenteuses ? Non, assure l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). « Le Cytotec va cesser d’être produit le 1er mars, mais les lots ne seront pas rappelés, précise Jean-Michel Race, de l’ANSM. Il était néanmoins important d’éviter tout risque de rupture pour ce sujet sociétal très important. »
Deux alternatives pour IVG, IMG et fausse couche
Mais l’ANSM se veut rassurante. Pour les IVG, IMG et fausse couche, deux médicaments contenant du misoprostol sont déjà sur le marché : Gymiso (200 microgrammes) et MisoOne (400), mais beaucoup moins utilisés que le Cytotec (200).
Depuis l’automne, l’ANSM a donc demandé aux laboratoires qui les commercialisent d’augmenter leur production pour qu’ils puissent remplacer le Cytotec. A voir dans les prochains mois s’ils seront en capacité de répondre à la demande. Autre problème : ces deux médicaments n’avaient une autorisation de mise sur le marché (AMM) que pour les IVG. Mais l’agence a mis en place en urgence des Recommandations Temporaires d’utilisation (RTU), pour une commercialisation temporaire donc, pour les autres situations. Des recommandations en cours de finalisation… Même si l’agence assure qu’elles seront bien mises en œuvre le 1er mars.
« Il y a la peur qui bloque »
Mais les professionnels restent vigilants. « Nous espérons que les femmes n’auront pas comme seule possibilité un curetage pour une fausse couche ou une IVG à l’avenir, alerte Philippe Deruelle. Quand on a mis au ban des accusés une molécule, ce n’est pas en quinze jours qu’on va renouer la confiance, il va falloir faire preuve de pédagogie et de communication auprès des professionnels de santé comme des patients. »
« La fin du Cytotec, c’est idéologique, car des groupes américains pro-life ont fait pression contre ce médicament utile, regrette Odile Bagot, gynécologue-obstétricienne et auteure du Dico des nanas. C’est encore les femmes qui vont en pâtir ! Même si des alternatives sont sur le marché, il y a la peur qui bloque. »
Et pour le déclenchement ?
Beaucoup de voix s’étaient exprimés lors de l’annonce de la fin du Cytotec pour dénoncer son utilisation, parfois dramatique, pour déclencher des accouchements. « Quand la femme est à terme et qu’il faut pour des raisons médicales déclencher l’accouchement, les doses ne sont pas du tout les mêmes, car l’enfant doit pouvoir supporter les contractions», insiste le directeur de l’ANSM. Plusieurs gynécologues insistent : ce n’est pas la molécule qui pose problème, mais le dosage. Depuis 2017, le Danemark utilise Angusta, un médicament contenant 25 microgrammes de misoprostol, une posologie adaptée au déclenchement. Une demande d’AMM a été déposée en octobre 2017 en France et vient d’obtenir le feu vert. Mais le dossier est toujours à la Haute autorité de Santé et Angusta ne sera donc pas disponible au 1er mars.
« Mais il y a des alternatives, des prostaglandines », rassure Jean-Michel Race. Fallait-il vraiment trouver un autre médicament à base de misoprostol ? « On pourrait se passer du misoprostol dans le déclenchement, mais on a des praticiens qui l’utilisent depuis des années, justifie Dominique Martin, directeur de l’ANSM C’est pour éviter qu’ils ne coupent en huit un cachet de MisoOne… »
« Un accouchement, cela peut être risqué, un déclenchement aussi a fortiori, insiste Philippe Deruelle. Le vrai problème, ce n’est pas le médicament, mais le manque d’information donné à la patiente. Au collège, on travaille sur la manière d’informer avec notamment des vidéos ludiques et pédagogiques sur les risques. »