Anorexie, boulimie: Comment mieux soigner les troubles alimentaires?
MALADIE•L’Opération Pièces Jaunes finance notamment des maisons des adolescents où les patients souffrant de troubles alimentaires sont pris en charge de façon pluridisciplinaire…Oihana Gabriel
L'essentiel
- Jusqu’au 17 février, la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France invite les Français à participer à l’Opération Pièces Jaunes, une collecte de fonds pour améliorer les soins des enfants et adolescents.
- Parmi les réalisations, des maisons des adolescents ont fleuri dans toute la France sur le modèle de la maison de Solenn, qui prend en charge les troubles du comportement alimentaire.
- Les spécialistes de ce lieu avant-gardiste y proposaient leur éclairage ce jeudi sur les progrès dans l’accompagnement des jeunes qui souffrent d’anorexie et boulimie.
«J’ai rencontré des filles de 9 ans qui suivaient un régime tomate-soupe », déplore une diététicienne qui intervient dans les écoles pour faire de la prévention sur les troubles de l’alimentation.
Ce jeudi matin, une table ronde se penchait sur les progrès et besoins pour mieux soigner l’anorexie à la maison de Solenn (AP-HP), l’une des réalisations de l’Opération Pièces Jaunes*. Un lieu d’accueil et de soins pluridisciplinaire pour tous les jeunes qui souffrent de troubles du comportement alimentaire (TCA). Des maladies qui touchent environ 600.000 Français entre 12 et 35 ans, dont 90 % de femmes. Et qui peut se guérir dans environ 80 % des cas. Comment les y aider ?
Mieux connaître
Les professionnelles de la maison de Solenn, qui a ouvert en 2004, ont affiné leurs diagnostics et informations sur ces maladies. « L’anorexie est la vedette médiatique qui empêche les autres troubles de l’alimentation de se faire connaître, regrette Nathalie Godart, pédopsychiatre et professeure à l’université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Car la boulimie et l’hyperphagie boulimique sont des troubles encore plus cachés et pourtant plus courants. »
Si autour de 1 % des adolescentes souffrent d’anorexie, il y aurait plus de 3 % des jeunes qui seraient touchés par l’hyperphagie boulimique, « qui se caractérise par des crises de boulimie mais les patients ne vont pas éliminer cette nourriture, reprend la spécialiste. Ils vivent cette incapacité à se limiter comme une honte et risquent de tomber dans la dépression et l’obésité. »
Avec une caractéristique des TCA qui brouille les pistes : certaines patientes cumulent ces troubles ou passent de l’anorexie à la boulimie par exemple. « Ces troubles peuvent se succéder, d’autant que les âges de ces maladies s’échelonnent : l’anorexie se déclare en général entre 14 et 18 ans, la boulimie connaît un pic entre 16 et 20 ans et l’hyperphagie boulimique commence vers 21 ans », précise la pédopsychiatre. Une étude a ainsi dévoilé 20 % d’anciennes patientes suivies pour anorexie étaient en surpoids ou obèses 22 ans après…
Mieux détecter
« Plus on intervient de façon précoce, plus on a de chance que l’adolescent évite le cercle vicieux du "je ne vais pas bien, donc je mange du chocolat" », assure la spécialiste. D’où l’urgence d’améliorer le dépistage. C’est pourquoi ces expertes préparent un kit d’information pour les professionnels de santé en première ligne : infirmières scolaires, généralistes, pédiatres. Un livret d’information qui devrait voir le jour en septembre 2018 fort utile étant donné que « les TCA ne sont pas suffisamment enseignés dans le cursus universitaire », regrette Corinne Blanchet, endocrinologue-nutritionniste à la Maison de Solenn. Dans un deuxième temps, l’équipe veut sensibiliser le grand public et les associations.
Car il n’est pas évident de repérer qu’un adolescent souffre véritablement d’un trouble du comportement alimentaire. « Il n’y a pas que le poids qui doit alerter, reprend cette spécialiste. Car ce n’est qu’un symptôme du mal-être psychique sous-jacent. On doit être attentif à la souffrance qui peut se traduire par la perte de sommeil, un surinvestissement scolaire, tout changement dans l’attitude de l’adolescent. D’ailleurs, les infirmières scolaires savent que les maux de ventre et de tête sont des signaux à surveiller. »
Mais pour arriver à en parler, encore faut-il dépasser les préjugés et autres tabous. Or, il n’est pas toujours évident d’accepter l’idée que son enfant est malheureux au point de se noyer dans la nourriture ou d’arrêter de manger. « Les plus grandes réticences ne viennent pas des adolescentes, assure Marie-Rose Moro, chef de service de la maison de Solenn et psychanalyste. Certaines jeunes filles nous demandent de ne pas alerter leurs parents car cela les blesserait de savoir qu’elles souffrent ».
Mieux accompagner
Enfin, quand on a surmonté les obstacles, les familles ne savent pas toujours à qui s’adresser. Aujourd’hui, chaque département dispose d’une maison des adolescents, sur le modèle de la maison de Solenn, où trouver informations et consultations. Ces lieux proposent, et c’est une spécificité française qui intéresse à l’étranger, une prise en charge pluridisciplinaire. « Les TCA sont de véritables mille-feuilles, illustre Nathalie Godart. Car ils mêlent des problèmes de nutrition, de psychiatrie, de neurosciences, des problèmes familiaux. Un seul praticien ne peut pas tout faire. » C’est pourquoi, les adolescents peuvent rencontrer quantité de praticiens, assistantes sociales, mais aussi suivre des activités culturelles. Et pour obtenir des conseils, les familles peuvent s’adresser à «anorexie, boulimie info écoute» au 08 10 03 70 37.
« La fréquence du suivi dépend de l’intensité des troubles et de leur évolution, reprend Corinne Blanchet. Mais surtout le projet de soins est co-construit avec le patient et son entourage sans jugement. » Et l’accompagnement s’adapte aux besoins de chacun grâce à un médecin coordonnateur. Qui facilite la communication entre tous les praticiens qui suivent le patient, mais aussi avec l’école ou l’université. « Les patients se plaignaient de l’absence d’un pilote dans l’avion », sourit la directrice de la maison de Solenn. D’autant qu’un suivi pour boulimie peut durer autour de huit ans…