Accident à Millas: «Il faut être très présent pour les ados en deuil traumatique»
FAITS DIVERS•Pour les adolescents qui se trouvaient à bord du car entré en collision avec un TER, surmonter le drame va requérir un accompagnement psychologique...Propos recueillis par Anissa Boumediene
L'essentiel
- Jeudi, la collision entre un train et un car scolaire survenue près d’un passage à niveau à Millas, dans les Pyrénées-Orientales, a coûté la vie à cinq enfants et fait 20 blessés.
- Pour les adolescents qui ont survécu à l’accident, surmonter le drame risque de prendre du temps et requiert un accompagnement psychologique adapté.
- Pour Hélène Romano, psychologue spécialisée dans le psychotraumatisme et auteure de Quand la vie fait mal aux enfants (éd. Odile Jacob), les parents des jeunes victimes doivent également être inclus dans le suivi psychologique des enfants.
«Une véritable scène de guerre ». C’est ce qu’a décrit le préfet des Pyrénées-Orientales, Philippe Vignes, après s’être rendu sur les lieux de la collision entre un train et un car scolaire survenue près d’un passage à niveau à Millas, dans les Pyrénées-Orientales, jeudi après-midi. Le bilan est lourd, avec cinq enfants tués et 20 blessés, dont dix dans un état d’urgence absolue. Pour les jeunes adolescents qui se trouvaient à bord du véhicule accidenté, le traumatisme psychologique risque d’être lourd. Pour Hélène Romano, psychologue spécialisée dans le psychotraumatisme et auteure de Quand la vie fait mal aux enfants* (éd. Odile Jacob), il faut organiser pour les jeunes victimes qui en ont besoin « une prise en charge psychologique globale et à long terme ».
Dans quel état psychologique se trouvent les adolescents présents à bord du car accidenté ?
Il y a plusieurs cas de figure différents, pour plusieurs situations différentes : certains ont été blessés et ont aussi assisté à des scènes terribles, ils ont vu leurs camarades perdre la vie sous leurs yeux. Parmi eux, il y en a qui ont été désincarcérés et sortis très tard du car, avec des visions de guerre autour d’eux, alors que d’autres en sont sortis très rapidement. Selon le niveau d’exposition à ce drame, l’état psychologique des adolescents, ainsi que leurs réactions, varie.
Quelles séquelles risquent-ils de développer ?
Pour les élèves du collège, qui n’étaient pas présents lors de l’accident mais qui ont perdu des copains, eux auront à gérer un deuil classique. Une cellule psychologique a été ouverte. Tous n’auront pas nécessairement besoin d’un suivi psychologique. En revanche, les adolescents qui ont failli mourir et qui ont vu certains de leurs camarades succomber à leurs blessures vont être dans un contexte de deuil traumatique.
La manifestation de ces troubles est variable, mais dans un premier temps, il est classique d’observer chez les victimes un état de choc, de sidération, on parle alors d'« agonie psychique » : la victime est incapable de mettre des mots sur ce qu’elle vient de vivre. D’autres, pas tous, risquent de développer des troubles traumatiques qui, chez certains, apparaîtront immédiatement, mais pour d’autres, sont susceptibles de se manifester à long terme, parfois deux, trois, cinq ans plus tard.
Parmi les troubles que l’on recense, il y a les réminiscences post-traumatiques, où les victimes vont revivre le drame ou avoir des accès de panique, que ce soit en remontant dans un car ou en entendant des bruits similaires à ceux entendus durant l’accident. Il y a en chez qui la survenue de drames similaires à celui qu’ils ont vécu va réactiver leur mémoire traumatique.
Certains risquent aussi de souffrir d’une perte d’intérêt et de confiance dans la vie, et de développer « la culpabilité du survivant ». Ce qui induit un risque de passage à l’acte suicidaire ou des conduites addictives. Il est malheureusement fréquent de voir des adolescents passant par de tels drames boire ou fumer du cannabis pour noyer leur douleur.
Quel accompagnement psychologique mettre en place pour les aider à gérer le traumatisme ?
Il est important de ne pas ajouter à leur sentiment de culpabilité, de ne pas les brusquer, ne pas les obliger à parler. Mais il faut être très présent : parents, proches et professionnels doivent être prêts à accueillir la parole, mais sans injonction de parler. Une prise en charge individualisée doit être proposée aux adolescents ainsi qu’à leurs proches. Sans même s’en apercevoir, certains parents disent parfois à leurs enfants qui peinent à sortir la tête de l’eau : « mais pourquoi tu te sens mal, tu es vivant ». Pour ces ados, qui sont en souffrance, c’est très violent. L’adolescence est à elle seule une période de troubles et de fragilité quand on la traverse : on perd ses repères, son corps change, on prend conscience de la mort.
Dans ce contexte, gérer un tel drame est extrêmement compliqué pour un ado. C’est pour cela qu’il faut proposer aux jeunes des espaces de parole qui leur permettent de s’exprimer entre eux sur ce qu’ils ont vécu. Dans l’idéal, il faudrait leur proposer une prise en charge psychologique systémique, globale, qui inclut des temps de parole individuels, des temps en groupe, entre jeunes et un autre qui s’adresse aux parents. Il est très important d’aider les parents à savoir décrypter les troubles de leur enfant, à communiquer avec lui. Or ils ne sont pas préparés à gérer de telles situations, ils sont pressés de tourner la page du drame alors que cela peut prendre beaucoup plus de temps pour leurs enfants. Cela impacte toute la famille.
Cette prise en charge est-elle facilement accessible aujourd’hui ?
Oui et non. Aussitôt après la survenue de tels accidents, ou d’attaques terroristes, les victimes bénéficient de beaucoup d’attentions et d’un accompagnement psychologique pris en charge. Mais un suivi à long terme, notamment si les troubles traumatiques se manifestent sur le tard, peut être difficile à mettre en place. Si l’enfant a besoin de ses parents autour de lui, aujourd’hui, ils doivent se mettre eux en arrêt maladie et après un certain temps, le suivi psychologique est à leurs frais. Les politiques doivent mettre en place un congé exceptionnel individuel pour enfant traumatisé et réfléchir à donner les moyens d’un accompagnement à long terme des victimes.
Et les professionnels au contact des enfants – personnels éducatifs ou soignants — doivent être formés à la psychotraumatologie, or aujourd’hui, ce n’est globalement pas le cas.
* Quand la vie fait mal aux enfants, éditions Odile Jacob, à paraître le 4 janvier 2018.