SOCIALLe combat d'une journaliste trans pour toucher sa retraite complète

Le combat d'une journaliste trans contre la Sécu pour toucher sa retraite complète

SOCIALLa journaliste trans Hélène Hazera se voit privée d'une partie de sa retraite car elle a changé de genre...
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • La journaliste trans Hélène Hazera est partie à la retraite en septembre après 45 ans de bons et loyaux services notamment à «Libération» puis Radio France.
  • Mais la Sécu ne compte que la partie de sa carrière où elle cotisait avec le numéro 1, dévolu aux hommes, pour calculer sa pension.
  • Un imbroglio qui n'est pas rare pour les personnes trans.

«Bienvenue dans l’appartement du désordre », prévient Hélène Hazera sur le pas de sa porte. Cette journaliste trans qui a travaillé pour Libération, puis Radio France, a raccroché le micro de son émission Chanson Boum en septembre dernier après 45 ans de boulot. Et en calculant ses droits à la retraite, elle a eu une très mauvaise surprise. Elle devait toucher 1.800 euros par mois… mais la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) qui dépend de la Sécurité sociale lui assure qu’elle ne pourra recevoir qu’un chèque mensuel de 800 euros.

Changer de numéro quand on change de genre

Pourquoi un tel écart ? C’est qu’elle a cotisé sous deux numéros de Sécu : de 1962 à 2000 avec un numéro commençant par 1, dévolu aux hommes. « Quand je rentre à Radio France, j’ai transformé de moi-même le 1 en 2 [numéro pour les femmes] et j’ai envoyé une lettre à la Sécu pour expliquer que pour des raisons de discrétion, je souhaitais changer mon numéro, explique Hélène Hazera. Aujourd’hui, on me dit qu’ils ne peuvent pas tenir compte des années où j’ai cotisé avec un numéro 2 », c’est-à-dire de 2000 à 2017.

Dans son appartement débordant de livres, Hélène Hazera a retrouvé les papiers qui attestent qu'elle a bien travaillé à Radio France entre 2000 et 2017, alors que la Sécu n'accepte de lui verser une pension amputée de ces années de cotisations.
Dans son appartement débordant de livres, Hélène Hazera a retrouvé les papiers qui attestent qu'elle a bien travaillé à Radio France entre 2000 et 2017, alors que la Sécu n'accepte de lui verser une pension amputée de ces années de cotisations. - O. Gabriel / 20 minutes

Son interlocutrice de la Sécu lui propose au téléphone de venir signer un document qui ampute sa pension de retraite de 1.000 euros. Elle refuse. Et ne touche pas un centime depuis… « J’ai fait ma transition à 19 ans et là, je me retrouve à 65 ans en difficulté à cause de ce truc ridicule de 1 et 2, s’insurge l’énergique retraitée. Depuis tout ce temps, ils recevaient mes fiches de paie et je n’ai reçu ni alerte, ni courrier ! »

Fusionner les deux numéros de Sécu

A la Cnav, on nie toute discrimination : « Il y a peut-être eu un manque d’information du côté de cette personne ou un loupé du nôtre, mais à partir du moment où il y a des bulletins de salaire, la retraite peut être recalculée. Sans parler seulement des trans, il arrive qu’une même personne ait deux, même trois numéros de Sécu et on peut fusionner les dossiers ». Et selon la Cnav, le problème devrait se régler rapidement, car « le problème de déclaration avec un numéro 2 ne concerne que l’année 2006 ».

« Ce que je ne comprends pas, c’est que vous avez deux fiches de paie avec le même nom, la même adresse, il n’y a qu’un numéro qui diffère et tout est compliqué », s’agace Hélène Hazera. Un numéro lourd de conséquence, car il démasque. Vous pouvez avoir changé de prénom, ce numéro dit à votre employeur, à vos voisins que vous avez changé de genre.

Des blocages semblables

Mais le cas d’Hélène Hazera n’est pas une exception. Si elle a décidé d’alerter la presse, Têtu en tête, c’est pour que son exemple serve à d’autres trans. Elle envisage même de faire une petite manifestation. « J’ai milité à Act Up Paris, donc les actions je connais un peu, s’amuse Hélène. Je sais que des amis sont passés par ce genre de désagréments ». Elle a d’ailleurs sollicité un syndicat, qui lui a confié qu’elle n’était pas la première à rencontrer ce genre de blocage kafkaïen.

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Pauline, une amie d’Hélène, a vécu une expérience semblable. Au moment de partir à la retraite, « oh horreur, ils avaient occulté toute ma partie professionnelle avec un 1. Je n’aurais alors cotisé qu’entre 2001 et 2013. J’ai appelé partout pour expliquer mon problème ». Cette enseignante trans a obtenu gain de cause : « Je suis partie à la retraite le 31 déc 2014, en février 2015 j’ai touché ma retraite intégrale, ils avaient rassemblé mon 1 et mon 2. Mais la grosse différence entre mon cas et celui d’Hélène, c’est que j’ai fait mon changement d’état civil. La Sécu avait donc une assise officielle. »

Hélène envisage-t-elle un changement d’état civil ? Oui, mais la démarche,qui passe toujours par la case tribunal, prend du temps. « J’ai besoin d’une solution rapide, argue Hélène. Et je ne suis pas l’abri de tomber sur un procureur réactionnaire ! »

« Faire du bruit pour dénoncer la situation des trans »

Les discriminations sont encore monnaie courante quand on change de genre aujourd’hui en France. « Les personnes trans font souvent face aux barrages, quand ce n’est pas à la Sécu, c’est à la banque ou au centre de santé », témoigne Pauline.

« J’espère qu’on fera du bruit pour dénoncer la situation des trans globalement, renchérit Hélène. Il n’y a qu’une personne qui vit la discrimination qui peut vous dire combien un regard ou un sourire moqueur peut vous blesser. On sent qu’ils se disent "on t’a reconnu" ».