Clichés et santé: «Parce qu’on pense qu’elles sont plus douillettes, on va minorer la douleur que les femmes expriment»
INTERVIEW•L’historienne Muriel Salle, qui co-signe avec Catherine Vidal un essai sur la manière dont les stéréotypes de genre nuisent à la santé, a répondu à nos questions…Propos recueillis par Oihana Gabriel
L'essentiel
- La recherche s’intéresse depuis une dizaine d’années aux conséquences sur la santé des stéréotypes de genre.
- Un essai qui vient de sortir se penche sur les conséquences dramatiques de ces clichés.
- L’historienne Muriel Salle, co-auteure de l’ouvrage et spécialiste du féminisme revient pour 20 Minutes sur ces évolutions.
Pourquoi les femmes ont-elles longtemps été exclues de la recherche médicale jusqu’à récemment ? Comment expliquer que l’on pense toujours à un homme quand on parle infarctus alors que 56 % des femmes meurent de maladies cardiovasculaires contre 46 % des hommes ? Muriel Salle, chercheuse et maîtresse de conférence à l’université Claude Bernard Lyon 1 signe avec la neurobiologiste Catherine Vidal un essai aussi synthétique qu’éclairant Femmes et santé, encore une affaire d’hommes (Belin). En quelques chiffres et anecdotes, les deux expertes analysent les liens entre stéréotypes de genre et santé et comment le féminisme a joué un rôle important dans l’amélioration de la santé des femmes.
Pourquoi faut-il tordre le cou aux préjugés sur les femmes qui seraient un « sexe faible » pour mieux les soigner ?
C’est à partir du XIXe siècle que se construisent à la fois une médecine moderne et tout un discours sur le sexe faible, une vulnérabilité féminine qui en fait d’impossibles patientes : le corps féminin par définition dysfonctionne. Michelet parle de la « femme éternelle malade ». Ces stéréotypes sur les femmes plus enclines à se plaindre, plus fragiles psychologiquement font que les médecins ne sont pas objectifs. Parce qu’on pense qu’elles sont plus douillettes, on va minorer la douleur que les femmes expriment. Quand elles ont des palpitations, c’est un problème psychologique et pas de tuyauterie ! Les stéréotypes font écran à la prise en charge du patient dans sa singularité. Or, les hommes et les femmes ne sont pas des catégories homogènes, certaines personnes sont plus sensibles à la douleur que d’autres tout simplement.
Comment le féminisme a joué un rôle dans l’amélioration de la santé des femmes aux Etats-Unis autour des années 1990 ?
Les mouvements féministes ont tout d’abord mis en avant les « biais de genre » dans la recherche scientifique et médicale. Les savoirs médicaux étaient construits par des hommes blancs qui développent du coup un point de vue biaisé. Elles ont tenté d’évaluer l’ampleur du biais. Elles ont révélé au grand jour que par exemple une enquête médicale sur la question de l’obésité et du cancer du sein n’incluait aucune femme dans l’étude pilote… Et depuis une trentaine d’années, la question de la représentation des femmes dans la recherche a été portée dans la sphère politique.
Justement, pour la recherche, environ 33 % de femmes sont incluses dans les essais cliniques en France, est-ce qu’il faut arriver à 50/50 ?
Je suis pragmatique et non idéologue. La parité dans la recherche médicale, c’est stupide. Dans les maladies de foie ou du rein, il n’y a pas de différence entre hommes et femmes. Il faut inclure des femmes dans les essais cliniques en proportion du nombre de femmes susceptibles d’être malades. Ce qui n’est pas encore fait systématiquement.
Longtemps, on a entendu que c’était compliqué d’inclure les femmes, à cause du cycle menstruel. Mais on connaît assez le cycle aujourd’hui pour mettre en œuvre des dispositifs pour éliminer ce biais-là. La deuxième difficulté est d’ordre bioéthique : on a très peur d’expérimenter des traitements sur des femmes enceintes. Mais on peut postuler que les femmes sont capables d’êtres très vigilantes sur leur contraception quand elles participent à un essai thérapeutique.
Comment lutter contre ces clichés ?
Lutter contre ces stéréotypes de genre, c’est un enjeu de santé, mais aussi citoyen. On sait maintenant que ces stéréotypes sont mauvais pour la santé. Maintenant, il faut faire un gros effort sur la formation des soignants. Leur dire que cette problématique est légitime, documentée, il faut qu’un psychologue vienne expliquer la construction des stéréotypes. Et comment on passe d’un cliché à une discrimination.
Le premier professionnel qu’une victime de viol rencontre, c’est le médecin. Et il ne suffit pas de proposer un prélèvement vaginal ! J’interviens en faculté de médecine et j’anime une matinée sur la prise en charge des violences sexuelles. A chaque fois, j’ai un défilé d’étudiants, surtout d’étudiantes d’ailleurs, qui viennent me poser des questions pendant une heure et demie. Il y a d’ailleurs une étude citée dans notre livre qui montre qu’il y a une réelle demande : 95 % des étudiants en médecine sont intéressés par une formation sur les violences, mais moins de 20 % en reçoivent une… On est dans un pays où il y a un déni impressionnant sur l’ampleur des violences sexuelles.