MATERNITESage femme devant le Conseil de l'Ordre: L'accouchement à domicile menacé

Sage femme devant le Conseil de l'Ordre: Pourquoi l'accouchement à domicile est-il dans le viseur?

MATERNITESi l’accouchement à domicile est légal, cette pratique est difficile à mettre en œuvre pour les futures mères et les sages-femmes…
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

La radiation, purement et simplement. Voilà ce que risque une sage-femme pour avoir pratiqué des accouchements à domicile. L’accoucheuse est convoquée ce vendredi devant le Conseil de l’Ordre des sages-femmes, qui lui reproche d’avoir « mis en danger » des mères. L’une d’elles prend pourtant sa défense en revendiquant la liberté d’accoucher chez soi. Une liberté aujourd’hui difficile à exercer.

« Si elle n’avait pas accepté de me suivre, j’aurais accouché seule »

Sage-femme libérale depuis trois ans près de Tours, après 32 ans d’exercice à l’hôpital, Isabelle Koenig devra s’expliquer devant ses pairs, qui lui reprochent notamment d’avoir « tardé à transférer des patientes à la maternité » à la suite de complications et de les avoir « mises en danger ». Il lui est aussi reproché un défaut d’assurance. Elle risque pour cela la radiation.

Mélina, l’une des mères suivies par Isabelle Koenig, a fait le choix de mettre au monde sa troisième fille à domicile. Victime d’une hémorragie après son accouchement à 23H25 le 14 juillet 2016, elle soutient que la sage-femme a appelé l’ambulance à minuit quinze, mais que le véhicule n’est arrivé « que deux heures plus tard ». « Je ne lui en veux pas du tout, ajoute-t-elle. Au contraire elle m’a sauvé la vie, si elle n’avait pas accepté de me suivre, j’aurais accouché seule », raconte cette mère qui a ressenti l’annonce des poursuites comme « un coup de massue ». « Isabelle ne devrait pas être poursuivie, c’est nous qui avons demandé à accoucher à domicile », poursuit Mélina, qui défend un « accompagnement personnalisé où l’humain prend toute sa dimension ».

« Une chasse aux sorcières »

Si l’accouchement à domicile est tout à fait légal, il est très difficile à organiser pour les futures mères. « Il fait l’objet d’une chasse aux sorcières et d’une interdiction de fait, dans la mesure où trouver une sage-femme qui accompagne la future mère dans sa grossesse et son désir d’accoucher à domicile est extrêmement difficile, voire impossible, déplore Céline, sage-femme. Il n’existe aucun interlocuteur, aucun organe d’information pour répondre aux questions des femmes qui souhaitent donner naissance à leur bébé chez elles. Les noms des rares sages-femmes qui acceptent se donnent sous le manteau, raconte la jeune femme. On dirait un sombre parallèle avec les faiseuses d’anges qui pratiquaient des IVG du temps où c’était un crime, alors qu’on parle ici d’une pratique légale qui consiste pour une professionnelle de la naissance à accompagner une femme dans son accouchement ».

En cause notamment, le coût prohibitif des contrats d’assurance dont les sages-femmes pratiquant des accouchements à domicile doivent s’acquitter. Un montant qui frôle les 25.000 euros par an, contre environ 1.000 euros en Belgique. « Cette somme dépasse le revenu annuel moyen d’une sage-femme, s’indigne Céline. C’est pour cela qu’une soixantaine seulement de sages-femmes en France pratiquent les accouchements à domicile et qu’elles ne sont pas assurées. Et c’est ce défaut d’assurance qui sert de base aux radiations de consœurs. Pour elles, c’est une épée de Damoclès au-dessus de la tête. C’est la raison pour laquelle l’une de mes amies a arrêté de faire des accouchements à domicile : elle a peur d’être radiée et de perdre son emploi ».

Une « pression politique et institutionnelle très forte est exercée sur les futures mères et les sages-femmes pour les dissuader de choisir ce mode de naissance, renchérit Marie-Hélène Lahaye, féministe et auteure du blog Marie accouche là. Tout est mis en œuvre pour empêcher d’y recourir, notamment en s’attaquant aux personnels médicaux les plus fragiles : les sages-femmes ».

Des risques pour la mère et l’enfant ?

Pour les détracteurs de l’accouchement à domicile, il s’agit là d’une pratique risquée pour la mère et l’enfant. « L’accouchement est un acte physiologique, et quand il ne se passe pas bien, on ne le sait qu’après coup, estime le Dr Jacques Lansac, gynécologue obstétricien et auteur de l’ouvrage Le grand livre de ma grossesse (éd. Eyrolles). Aujourd’hui, on veut une sécurité absolue pour la mère et l’enfant à naître, et cela passe par une relative médicalisation. Or, à la maison, on est quand même très seul, on n’a pas beaucoup d’aide et pas beaucoup de moyens. Si l’enfant ne descend pas bien ou, comme cela s’est produit dans le cas concernant Isabelle Koenig, si une hémorragie survient, les risques sont trop importants », poursuit le praticien, qui rappelle que « l’hémorragie reste aujourd’hui encore la première cause de mortalité en couches ».

« L’Etat a délégué l’accouchement aux médecins qui, de façon dogmatique, sont opposés à l’accouchement à domicile, analyse Marie-Hélène Lahaye. Il fait pourtant l’objet d’un choix réfléchi par de futures mères en bonne santé et dont la grossesse se déroule sans encombre ». Pour Céline, « le risque, c’est que des femmes se retrouvent à accoucher seules chez elles, sans aucun accompagnement médical, ce qui est potentiellement très risqué pour la mère et l’enfant. La sage-femme est là pour accompagner les parents, les rassurer et, en cas de besoin, organiser rapidement le transfert de la mère et l’enfant vers l’hôpital ».

Une hostilité « très franco-française »

Ce positionnement hostile vis-à-vis de l’accouchement à domicile est « très franco-français, considère la féministe Marie-Hélène Lahaye. Il s’inscrit dans le courant de l’opposition au mariage pour tous, à la PMA pour toutes. C’est une vision très patriarcale qui a vocation à contrôler les femmes et leur accouchement, poursuit-elle. Or dans un contexte où les violences obstétricales sont une réalité, des femmes veulent se réapproprier leur corps en donnant la vie chez elles. Accompagnées par la sage-femme qui les a suivies tout au long de leur grossesse, elles donnent naissance à leur enfant de manière bien plus épanouie et sereine ». Pour l’auteure, l’accouchement à domicile relève ainsi d’une question de fond : « comment veut-on que la société dans laquelle on vit traite les femmes et accueille les enfants qui naissent ? »

« Si nous faisons de la pub contre l’accouchement à domicile, c’est parce que nous pensons qu’au 21e siècle il n’est pas raisonnable d’y recourir, c’est imprudent et s’il arrive quoi que ce soit à la mère ou son enfant alors que la sage-femme n’est pas assurée, cela peut être dramatique », rétorque le Dr Lansac, qui déjà s’est « battu pour que pour les maisons de naissances soient accolées aux hôpitaux, où se trouvent les équipes médicales et l’équipement nécessaires ».

La liberté de choix

Mais pour Marie-Hélène Lahaye, « l’aberration en France en 2017, c’est de ne pas respecter le désir de femmes qui souhaitent accoucher chez elles ». Car ce qui est « problématique, c’est qu’on va au-devant de risques et de situations graves si des mères, faute de trouver une sage-femme qui les accompagne, décident d’accoucher seules chez elles, sans aide professionnelle : on va finir par perdre des vies », redoute Céline. Dans les pays nordiques, « la question n’est pas du tout polémique, les femmes qui souhaitent accoucher à domicile bénéficient d’une information et d’un accompagnement de qualité : leur projet de naissance est respecté », souligne la sage-femme, qui veut croire que la France rattrapera son retard sur ses voisins. « Il y aura toujours des femmes et des sages-femmes résistantes, des militantes qui se battront pour la liberté de choix ».

Un optimisme partagé par Marie-Hélène Lahaye, qui voit que « l’opinion publique évolue déjà. Et si le Conseil de l’ordre des sages-femmes ne semble pour l’heure pas disposé à défendre la profession et accompagner les femmes dans leur sexualité et leur maternité, il est à souhaiter que l’évolution des mentalités les pousse à réviser leur jugement à l’avenir ».

Mais pour l’heure, le Conseil a prononcé ces derniers mois plusieurs radiations de sages-femmes qui pratiquaient des accouchements à domicile. A ce jour, on estime en France à moins de 1 % les accouchements qui ont lieu hors maternité. Une évaluation qui comprend les accouchements inopinés comme dans les camions de pompiers ainsi que ceux programmés à domicile.

* Pratique de l’accouchement, éditions Elsevier Masson, ouvrage universitaire des Dr Jacques Lansac, Philippe Descamps, François Goffinet.