Insulin City de Sanofi à Francfort: Comment est fabriqué le traitement phare du diabète
REPORTAGE•A Francfort (Allemagne), Sanofi a érigé l’un des plus gros parcs industriels de fabrication d’insuline au monde…Anissa Boumediene
Pour entrer ici*, il faut montrer patte blanche. Ou plutôt une pièce d’identité, et être sûr d’avoir son nom inscrit sur la liste des personnes autorisées à pénétrer l’enceinte de la ville. Si elle ne figure sur aucune carte, Insulin City compte pourtant environ 8.800 personnes sur son territoire. Situé à Francfort en Allemagne et sorti de terre en 2006, le centre mondial de recherche et développement et de production de médicaments contre le diabète de Sanofi est l’un des plus importants sites de production d’insuline au monde, et le plus grand du géant français du médicament.
D’ici, plus d’une centaine de pays sont fournis, et plus d’un million de stylos injecteurs d’insuline, traitement phare du diabète, y sont fabriqués chaque jour. Tout a été pensé pour optimiser la chaîne de production : du département recherche et développement à la fabrication de l’insuline, en passant par son conditionnement en stylos injectables, la totalité des opérations se déroulent à Insulin City. Mais savez-vous comment l’insuline qui soigne des millions de patients diabétiques est fabriquée ? Suivez le guide.
« Un kilo de poudre d’insuline pour un million de stylos injectables »
Aujourd’hui, plus de 500 millions de personnes à travers le monde vivent avec le diabète, et nombre d’entre elles maîtrisent leur glycémie grâce à des injections d’insuline. Naturellement produite par notre corps, plus précisément par le pancréas, cette hormone aide à réguler le taux de sucre dans le sang et empêche la glycémie de faire des bonds après chaque repas. Mais comment est produite l’insuline que les diabétiques reçoivent par injection ? Au départ, « elle était obtenue à partir de l’extraction de l’insuline contenue dans le pancréas d’animaux, bovins et ovins », indique l’un des responsables du site de production. Mais depuis la découverte des vertus thérapeutiques de l’insuline au début des années 1920, le processus de production a (heureusement) beaucoup changé. Désormais, et depuis les années 1980, l’insuline est produite par biosynthèse. A Insulin City, Sanofi fabrique notamment deux stylos injecteurs d’insuline : le Lantus, le médicament le plus vendu de Sanofi (mais qui devrait vite être concurrencé par des génériques maintenant que son brevet est tombé dans le domaine public), et le Toujeo, une forme d’insuline trois fois plus concentrée lancée début 2015. Mais avant de pénétrer dans le site de production, il faut s’équiper : blouse, casque de chantier et lunettes de protection sont de rigueur.
« A chaque étape correspond sa propre "recette", indique le superviseur. Et tout est entièrement automatisé », sur ce site qui fonctionne 24 heures sur 24, 365 jours par an. Au début de la chaîne de production d’insuline, qui compte pas moins de 14 étapes, on retrouve l’E.Coli, la peu ragoûtante bactérie intestinale, « que l’on fait croître en la nourrissant de glucose », explique-t-il.
Après les premières étapes de multiplication puis de séparation des cellules, on obtient un liquide un peu boueux. « Le produit est alors débarrassé de ses débris par centrifugation, puis la structure même de la cellule est pliée et découpée et à la fin du processus, après une purification par chromatographie, on obtient une insuline pure à plus de 99,8 %, claire comme de l’eau de roche ». Enfin, après cristallisation et séchage à froid du produit, l’insuline se présente sous la forme d’une poudre blanche qui sera transportée un peu plus loin sur le site industriel, dans l’usine dédiée à l’assemblage des stylos injecteurs. « Avec un kilo de cette poudre, on peut préparer un million de stylos, révèle le responsable du site. Et l’année dernière, nous avons pu fournir le traitement de plus de 10 millions de patients à travers le monde avec la production de ce seul site ».
Une vingtaine de contrôles par jour
Direction l’usine d’assemblage. Là aussi, tout est automatisé. Et là aussi, une tenue spéciale est de rigueur : blouse, deux paires de chaussons en papier sur les chaussures, charlotte sur la tête et, pour les hommes qui en portent, une petite charlotte est aussi de rigueur sur la barbe. Sur une première ligne de production à grande vitesse, 400 stylos sont produits par minute.
Sur la suivante, c’est le capuchon dans lequel est insérée la cartouche d’insuline, fabriquée à 500 mètres de là, qui est assemblé. « Notre modèle économique est d’autant plus efficace que tout est produit au même endroit », indique un employé du site. Sur une autre machine, dans laquelle les stylos sont mis en boîte, un opérateur place une pile de notices, qui seront conditionnées avec les stylos. « Chaque pays dispose de son propre packaging, précise-t-il. Si la notice allemande se retrouvait dans les boîtes algériennes par exemple, la ligne de production s’arrêterait ». Durant la phase d’assemblage, « un stylo subit une vingtaine de contrôles ».
Dans cette usine d’assemblage, un marquage au sol indique le passage autorisé aux « humains ». Au loin, une petite musique retentit. Elle provient d’un robot, qui annonce son passage avec quelques notes. « Nous produisons un tel volume de stylos qu’une douzaine de robots transporteurs de palettes circulent en permanence pour réapprovisionner les machines, poursuit l’employé du site. Quand on entend la musique, on sait qu’un robot arrive et on fait attention à ne pas être sur son passage ». A cet instant, passe un robot transportant une palette de 10.000 stylos, qui rejoindront dans les prochains jours le marché américain.
Les traitements de demain à l’étude
Mais outre ses usines de production titanesques, le site abrite également le département de recherche et développement, où Sanofi pense les traitements de demain. « Aujourd’hui, nous travaillons à élaborer des traitements du diabète qui empêcheraient la glycémie de trop baisser, explique Philip Larsen, directeur Recherche et développement (R & D) en matière de diabète chez Sanofi. L’un de nos challenges est de mettre au point une insuline qui n’agirait que quand la glycémie est trop élevée et qui serait inactive lorsque le taux de sucre dans le sang est normal. Ce serait une insuline intelligente, qui agit à la demande. C’est l’une des innovations majeures qui permettrait d’améliorer l’insulinothérapie, et qui pourrait se présenter sous forme de pompe ou d’une molécule ».
Le département R & D travaille également à influer sur les pathologies associées au diabète. « Un patient ne meurt pas du diabète, mais des comorbidités qui lui sont associées, notamment sur les plans cardio-vasculaires, hépatique et rénal, ajoute Philip Larsen. Nous devons améliorer la personnalisation des traitements ». Dans les cinq prochaines années, la firme compte ainsi lancer deux médicaments qui permettront d’agir sur les comorbidités cardiovasculaires du diabète. « Et à plus long terme, nous espérons lancer des médicaments qui permettront d’agir sur le contrôle du poids, ajoute Philip Larsen. Car le surpoids a un rôle fondamental sur le terrain des complications liées au diabète ».