Décès inexpliqués aux urgences: Les soins sont-ils en train de se dégrader?
URGENCES•Des décès suspects, des urgentistes qui appellent à l’aide… Faut-il s’inquiéter ?….L'essentiel
- Plusieurs décès suspects ont eu lieu ces derniers mois: un enfant de 11 ans décédé après son passage aux urgences de Privas début mai, un patient mort sur un brancard à Perpignan en février.
- Les urgentistes tirent la sonnette d'alarme depuis des mois, notamment au moment de l'épidémie de grippe particulièrement meurtrière cet hiver.
- Beaucoup de raisons expliquent la surchauffe aux urgences qui pourraient à l'avenir dégrader les soins des patients
«La mort fait partie de notre métier », reconnaît Patrick Pelloux, célèbre urgentiste à Paris. Mais certaines disparitions posent problème. Le matin du 6 mai, un garçon de 11 ans est décédé peu après avoir quitté les urgences de l’hôpital de Privas (Ardèche). Le petit Mathias avait été conduit aux urgences du centre hospitalier des Vals d’Ardèche pour des nausées et des vomissements. Le médecin qui l’avait ausculté avait alors diagnostiqué une gastro-entérite, avant de le rendre à sa famille. Selon France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, Mathias serait mort d’une grave infection digestive qui pourrait être une péritonite. Une enquête pour homicide involontaire a été ouverte
Ce cas n’est pas isolé. Le 23 février, un patient est mort sur un brancard aux urgences de Perpignan (Pyrénées-Orientales), alors qu’il attendait des soins pour une artérite. Une enquête interne et une enquête judiciaire devront déterminer les circonstances. Des exemples qui viennent nourrir l’inquiétude de voir la qualité des soins se dégrader aux urgences. A raison ?
Différencier les types de décès
Selon la dernière enquête de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) de 2014, menée sur l’ensemble des structures d’urgence : seulement 0,1 % des patients vus aux urgences y décèdent. Aucune étude nationale plus récente ne donne une idée de l’évolution du nombre de décès ou d’enquêtes menées après une mort suspecte aux urgences.
Mais il faut différencier les décès inévitables des décès inexpliqués. « Trois sortes de patients décèdent aux urgences, analyse Pierre-Yves Gueugniaud, président de laSociété française de médecine d’urgence (SFMU). D’abord, les pathologies très graves, qui devraient être traitées en réanimation. Deuxième catégorie, les personnes en fin de vie, envoyées par leur famille ou la maison de retraite. Pour ceux-là non plus, ce n’est pas le bon endroit. Enfin, troisième catégorie, le patient qui arrive pour un problème qui ne semble pas grave et qui décède en attendant. »
Des décès évitables rares et surveillés
« Il y a des morts évitables dues à la désorganisation de services d’urgence, et c’est scandaleux », tempête Christophe Prudhomme, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Mais le Pr Gueugniaud nuance : « Objectivement, ces décès évitables sont très minoritaires et rien ne permet de dire qu’ils augmentent ».
Comment ce genre d’accident peut-il arriver ? « Une infirmière d’accueil fait un examen pour donner la priorité aux cas les plus graves, reprend l’urgentiste. Mais parfois un malade avec un problème bénin, qui attend trois heures, a une pathologie sous-jacente difficile à déceler, comme une malformation cardiaque. S’il décède, soit la pathologie était indétectable, soit il y a erreur de diagnostic. »
Et les choses ne sont pas simples. En février 2014, une enquête avait été diligentée après le décès d’une patiente aux urgences de Cochin, à Paris. Cette femme de 61 ans, blessée au pied et décédée d’un arrêt cardiaque, avait été découverte morte six heures après son arrivée aux urgences et l’enquête avait alors pointé des « dysfonctionnements » dans l’organisation du service selon l’AP-HP. « Mais cette patiente était en réalité très malade, d’ailleurs la famille n’a pas porté plainte », dévoile Patrick Pelloux.
Et pour ce fin connaisseur des urgences, l’Etat remplit son rôle de contrôle : « Pour tout décès inexpliqué, il y a toujours un signalement, puis une enquête de l’ARS. Ces cas sont très surveillés. » Et en effet, l’ARS Occitanie précise qu’après le décès suspect aux urgences de Perpignan, « le rapport d’inspection de l’ARS en cours sera mis à la disposition de la justice, dans le respect du secret de l’instruction ».
Pourquoi ces urgences sous tension ?
S’il est ardu d’obtenir des chiffres sur les décès aux urgences, une chose est sûre : les consultations ont explosé passant de 7 millions en 1990 à plus de 20 millions de passages en 2015, selon la Statistique annuelle des établissements de santé.
Comment l’expliquer ? « C’est le reflet de la modernité avec une société H24, où les patients prennent des informations erronées sur Internet, s’inquiètent et veulent consulter tout de suite, donc vont aux urgences », réplique le Dr Pelloux.
Or, de très nombreux patients ne devraient pas s’adresser aux urgences. « Il risque d’y avoir de plus en plus de décès évitables aux urgences, s’inquiète Joseph Ingrassia, urgentiste et auteur de Ce que vous devez absolument savoir sur les urgences. Et de soins dégradés également. Car les urgences, c’est devenu open-bar : on voit des rages de dents, des bobos. Une perte de temps pour les soignants qui peuvent passer à côté d’un patient grave. » Un rapport de la Cour des comptes sur les urgences de 2014 corrobore ce constat : « Un passage sur cinq n’a pas nécessité d’autre acte qu’une consultation. »
Et ce même rapport pointe également une crise de vocations : « La médecine d’urgence est (…) une des spécialités les plus concernées par les difficultés de recrutement et les vacances de postes. Ces difficultés de recrutement sont constatées notamment dans des hôpitaux de petite et moyenne taille, qui sont contraints de recourir à l’intérim médical, solution à la fois coûteuse et peu satisfaisante sur le plan de la qualité des soins. »
Un vrai problème pour le Dr Ingrassia : « Le tri des patients à l’accueil est fondamental, c’est pourquoi nous avons besoin de professionnels expérimentés, qui ne vont pas hésiter à solliciter un médecin s’ils ont un doute. »
Professionnalisme des soignants
Mais ces urgences en tension continuent de remplir leur mission, selon Patrick Pelloux : « Aujourd’hui, les soins ne se dégradent pas. On a des professionnels aux urgences très vaillants et consciencieux malgré le manque de moyens. Certes, les gens attendent un peu plus, mais les patients graves sont vite soignés. » Selon l’étude de la Drees, qui s’est déroulée le 11 juin 2013, 7 patients sur 10 sont pris en charge dans l’heure qui suit leur arrivée aux urgences.
Jusqu’à quand ? Ces urgences ont besoin d’une réorganisation et de plus de moyens, plaident ces urgentistes. Car l’affluence aux urgences n’est pas près de se tarir. « Aujourd’hui, la population vieillit et a de plus en plus de mal à trouver un médecin disponible, proche et prêt à se déplacer à domicile, explique Pierre-Yves Gueugniaud. On n’a pas fait évoluer les services d’urgences pour répondre à cette hausse. »
« Un jour de départ en vacances, vous ajoutez des trains, renchérit Patrick Pelloux. Mais, en France, on n'ajoute ni personnel ni lit, en cas d’épidémie. »
Christophe Prudhomme se montre encore plus alarmiste. « Une étude d’Oxford vient de montrer qu’en Grande-Bretagne, l’austérité provoque une surmortalité : 30 000 décès en 2015. En France aussi, on subit depuis plus de vingt ans une politique d’austérité à l’hôpital et notre système de santé est en train de se dégrader. Et les patients les plus précaires, les plus âgés risquent de payer un lourd tribut. »