INTERVIEWVirus Zika: «Le problème, c’est qu’on désinsectise en urgence et mal»

Virus Zika: «Le problème, c’est qu’on désinsectise en urgence et mal»

INTERVIEWAnna-Bella Failloux, entomologiste de l’Institut Pasteur justifie la politique de démoustication pour lutter contre Zika, à condition qu’elle soit correctement menée…
Romain Scotto

Propos recueillis par Romain Scotto

D’ordinaire, elle travaille sur la dengue, le chikungunya ou la fièvre jaune. Mais depuis quelques mois, tous ses tubes à essais sont étiquetés « Zika ». En tant qu’entomologiste à l’Institut Pasteur, Anna-Bella Failloux travaille d’arrache pied pour mieux comprendre la diffusion de ce virus, qui a atteint le seuil d’épidémie en Amérique du Sud. Ses derniers travaux, publiés vendredi dans la revue PloS Neglected Tropical Diseases, révèlent que le virus reste 14 jours dans l’organisme de l’insecte avant que celui-ci soit contagieux. Une découverte qui, selon elle, justifie les campagnes massives de démoustication. A condition qu’elles soient menées correctement.

Comment le moustique devient-il vecteur de contamination du virus Zika ?

On observe comment le virus progresse à l’intérieur du moustique. Le moustique mange (du sang en l’occurrence) et le virus arrive dans l’estomac, il est digéré. Mais il tente aussi d’échapper à la digestion en traversant la paroi de l’estomac. A l’intérieur du corps du moustique, ce virus se multiplie dans les organes jusqu’aux glandes salivaires. Quand il atteint ces glandes chez la femelle, celle-ci va piquer et libérer de la salive. En libérant le virus avec la salive, le moustique infecte quelqu’un. Sauf qu’entre le moment ou la femelle prend du sang avec le virus et le moment où le virus est détecté dans sa salive, le laps de temps est de 14 jours.

C’est donc relativement long ?

Oui par rapport au chikungunya (2-3 jours). La bonne nouvelle avec le virus Zika, c’est qu’entre le moment où on va détecter les premiers cas humains infectés, nous avons à du temps devant nous pour éliminer les moustiques autour de ce cas. On peut mettre de l’insecticide avec l’objectif de circonscrire ce virus.

Quelle conclusion en tirez-vous ?

La lutte anti vectorielle (contre le moustique) est un point majeur pour limiter l’épidémie de Zika. Parce que le moustique n’est pas très compétent à l’infection.

Pourquoi le virus se propage-t-il si vite alors ?

Parce que d’une part il y a une forte population humaine qui est naïve (au sens médical du terme, peu habitués, vulnérables par rapport à l’immunité) vis-à-vis de ce virus. C’est un virus nouveau, les gens ne sont pas protégés. Et en même temps beaucoup de moustiques vivent à proximité de ces gens. Ensuite, la bonne nouvelle, c’est que quand on a attrapé Zika, on est protégé à vie contre ce virus.

On doutait encore de la démoustication massive ?

Certains disent que cela ne marche pas. Mais tout dépend de la manière dont on désinsectise. C’est un métier. Il faut connaître la dose utilisée et savoir où on le fait. Si on fait ça correctement, ça devrait marcher. Mais le problème, c’est qu’on le fait en urgence et mal. Les gîtes larvaires de ces moustiques Aedes Aegypti, ce sont les petits contenants d’eau, des vases, des pots qu’on ne voit pas. Si vous passez dans les quartiers avec un camion qui pulvérise du produit, ça n’atteint jamais les gîtes larvaires. Ça va juste sélectionner une population de moustiques qui va devenir résistante à ces insecticides. Les effets peuvent être catastrophiques. Aujourd’hui on augmente les doses d’insecticide avec un effet néfaste pour l’environnement et la santé humaine.

Quelle autre piste de lutte contre le moustique existe-t-il ?

Il y a aussi une technique de type génétique. Des lâchers de mâles stériles par exemple. Ces mâles sont irradiés donc stériles. Quand on les lâche dans la nature, ils s’accouplent avec les femelles. Mais les œufs qu’elles vont pondre ne sont pas viables. Après plusieurs lâchers de mâles stériles, il y a moins de moustiques.