Greffe d'utérus: «La femme greffée pourra porter un bébé qui sera le sien»
INTERVIEW•Le professeur de gynécologie obstétrique Jacques Lansac décrypte les enjeux des expérimentations lancées par le CHU de Limoges…Propos recueillis par Coline Clavaud-Mégevand
Le CHU de Limoges a annoncé lundi 9 novembre qu’une équipe de gynécologie obstétrique allait mener des essais sur des greffes d’utérus. Dans un communiqué, l’hôpital a expliqué que le projet devait « permettre à des femmes nées sans utérus ou ayant subi une hystérectomie (ablation de l’utérus) pour une pathologie bénigne, de pouvoir donner naissance, grâce une greffe d’utérus, à partir de donneuses en état de mort encéphalique ». La Suède est à ce jour le seul pays où une telle transplantation a conduit à des naissances (la première en octobre 2014, suivie de trois autres). 20 Minutes a demandé à Jacques Lansac, gynécologue obstétricien émérite au CHU de Tours, les enjeux de la procédure.
La greffe d’utérus, comment ça marche ?
Comme pour toute autre greffe d’organe : on trouve un donneur, qui doit être compatible sur le plan tissulaire, puis l’acte chirurgical a lieu. La greffe d’utérus est difficile car il faut suturer les deux artères utérines, qui sont petites, ainsi qu’un système veineux complexe. Ensuite, la patiente prend un traitement immunosuppressif pour éviter tout rejet. Enfin, elle pourra porter un bébé qui sera le sien : l’utérus n’est que la « couveuse », et si les femmes greffées en sont privées, elles produisent bien des ovules.
La greffe qui a eu lieu en Suède a été faite à partir de l’utérus d’une donneuse vivante. En France, les organes seront prélevés sur des donneuses en mort encéphalique. Quel est l’intérêt des deux approches ?
En prélevant l’organe sur une personne en mort encéphalique, on supprime le risque opératoire qui existe pour une donneuse vivante. L’intérêt est aussi que l’utérus n’est pas un organe très délicat, il ne nécessite pas un prélèvement aussi rapide qu’un cœur ou qu’un foie, très sensibles à l’anoxie [privation d’oxygène]. Mais sinon, il n’y a aucune différence entre l’utérus d’une femme vivante et celui d’une femme en mort encéphalique. Par contre, ce type de prélèvement prend un côté « vautour » qui gène souvent les familles des donneurs.
Le don d’utérus de la part d’une personne vivante est plus simple dans la mesure où c’est un choix et que la donneuse se dit que cet organe est devenu inutile – si elle a déjà eu les enfants qu’elle voulait ou si elle a dépassé les 45 ans, l’âge à partir duquel l’utérus n’est plus censé servir. Ce n’est pas la même chose que pour un rein, qui est organe vital.
« #Swedish parents speak of their joy as world’s first womb transplant baby turns one year old http://t.co/pSP0GSBFxE pic.twitter.com/fuc2e3Rx8O — The Local Sweden (@TheLocalSweden) 18 Septembre 2015 »
Pourquoi la greffe d’utérus arrive-t-elle seulement maintenant en France ? Est-ce à cause de problèmes éthiques ?
La France n’est pas en retard : les premiers essais datent d’il y a un an seulement, et c’est une bonne chose qu’on puisse s’appuyer sur le cas de la Suède. Concernant l’éthique, le problème est surtout lié au fait que, contrairement à une greffe du cœur ou du foie, la greffe d’utérus n’est pas indispensable à la survie de la patiente. La question qui se pose est donc celle de l’utilité d’une intervention qui n’est pas neutre : le traitement immunosuppressif surprime les défenses immunitaires, l’acte chirurgical est lourd… Et puis il existe d’autres options, comme l’adoption ou la GPA. Mais celle-ci reste interdite en France et pose d’autres questions : qui porte le bébé ? Qui prend les décisions si la grossesse se passe mal, etc. ?