Don d'organes: «Il ne faut pas prendre par surprise les gens dans le deuil»
INTERVIEW•Le député PS Jean-Louis Touraine a déposé un amendement destié à renforcer le consentement présumé au don d'organes...Propos recueillis par Anissa Boumediene
Quelque 19.000 personnes sont à ce jour en attente d'une greffe en France. Une liste qui s'allonge chaque jour alors que la pénurie d'organes s'aggrave. Pour y faire face, le député PS et médecin de formation Jean-Louis Touraine a déposé, avec sa consœur Michèle Delaunay, un amendement au projet de loi santé pour renforcer le consentement présumé au don d'organes. Il répond répond aux questions de 20 Minutes.
Pourquoi la législation actuelle en matière de dons d’organes doit-elle être revue ?
En France, chacun décide pour soi-même s’il veut ou non que ses organes soient prélevés après sa mort à des fins de transplantation. Mais si aucune opinion n’est exprimée, le principe du consentement présumé prévaut, conformément à la loi Cavaillet de 1976, qui fait de chacun un donneur potentiel. Depuis 1994, un nouveau dispositif a été introduit pour recueillir auprès des proches l’opinion du défunt sur le don d’organes.
En pratique, on voit souvent les familles endeuillées se diviser parce qu’elles ignorent ce que pensait le défunt ou parfois parce que chacun projette ses propres peurs et opinions. Submergés par l’émotion, certains refusent les prélèvements, par réflexe, et reviennent deux ou trois jours après nous dire qu'ils regrettent leur choix, lorsque c’est trop tard. D'autres nous disent que ce serait plus simple si cette décision ne reposait pas sur eux. Il ne faut pas prendre par surprise les gens dans le deuil et leur demander, «alors c’est oui ou non?» Le dispositif actuel ne fonctionne pas.
Que va changer cet amendement?
Ce texte insiste sur la responsabilité individuelle d'exprimer de son vivant ses volontés en matière de don d'organes, qu'on y soit favorable ou non. Il va permettre d'assurer à chacun ce droit au respect de ce qu'il veut qu'il advienne de son corps. 80% des Français sont pour le don d'organes. Pourtant, le taux de refus de prélèvement est passé de 9,6% en 1990 à près de 40% en 2012, parce que les familles sont sollicitées au pire moment et dans l'urgence. Si le texte est adopté, tous les non-inscrits au registre national des refus de dons d'organes seront réputés donneurs potentiels.
L'amendement permettra d'éviter de perturber les familles endeuillées, mais, bien sûr, le dialogue avec les proches sera maintenu. Il favorisera aussi une meilleure information, avec de grandes campagnes de sensibilisation au don d'organes, ce qui passe aussi par une explication de la marche à suivre pour signaler son refus. Et surtout, il pourrait permettre de sauver chaque année entre 500 et 700 personnes, qui meurent faute d’avoir reçu un greffon à temps.
Que répondez-vous aux détracteurs de ce texte qui estiment que cela revient à forcer la main aux familles?
En aucun cas, les familles ne sont privées de leur droit de donner ou non leur accord pour le prélèvement des organes de leur proche puisque la loi actuelle ne leur accorde pas le droit de décider à la place des personnes elles-mêmes. Le dispositif de consultation des familles a, à tort, été assimilé à un droit de regard, or il sert à déterminer la volonté du défunt, pas celle des proches.
Cet amendement instaure un triple droit: un droit à la sérénité pour les familles confrontées au deuil, un droit pour le défunt de voir ses volontés respectées et un droit à la vie pour les milliers de patients en attente d'un greffon.