INTERVIEWMSF au Liberia: «En tant que soignant, on ne peut plus gérer cette épidémie d'Ebola»

MSF au Liberia: «En tant que soignant, on ne peut plus gérer cette épidémie d'Ebola»

INTERVIEWCette infirmière pour MSF revient de Monrovia, au Liberia où elle était au contact des malades...
Romain Scotto

Romain Scotto

Pendant quatre semaines, Charlotte Pailliard-Turenne a vécu dans un centre de soin de MSF de Monrovia (Liberia), au contact des malades d'Ebola. Cette infirmière de 28 ans raconte à 20 Minutes son quotidien chaotique et extrêmement frustrant dans ce pays qui manque «de tout» pour endiguer l'épidémie. Après quelques jours de repos chez elle en Normandie, elle y retournera pour poursuivre le travail qui l'attend là-bas.

Dans quel état rentre-t-on d’un séjour au Liberia au contact des malades?

Pour le personnel, il y a un turnover d’un mois. A partir d'un moment, la fatigue prend le dessus. C’est là qu’on commence à faire des erreurs. Lorsqu’on rentre, la première chose qu’on ressent, c’est une fatigue physique et psychologique énorme. Toute l’adrénaline redescend. Le corps et l’esprit se relâchent. On dort toute la journée et toute la nuit. Beaucoup de choses se sont accumulées en un mois. J’ai pu parler à un psychologue, mis à notre disposition. Ça fait du bien.

Certaines images doivent vous hanter…

Beaucoup d’images et de paroles restent. Un enfant de six ans qui arrive au plus mal, qui se bat et qui finit par partir. Je pense aussi à un enfant qui se bat, survit, mais sa maman part. Il se retrouve seul à l’intérieur de ce centre. Christina, 76 ans, la plus âgée. Angel, 2 ans, la plus jeune, sortie sans sa maman, mais avec sa tante. Il y a aussi des gens qu’on a vu mourir et qui une semaine après sortaient: ils avaient des symptômes tellement puissants qu’on ne leur donnait que quelques heures à vivre. Et finalement ils reprenaient le dessus. Mais il y a aussi beaucoup de bonheur avec les gens qui survivent. Moi j’ai bien vécu cette mission. Mais certains arrivent sur place et le vivent très mal. Ils ne se sentent pas à l’aise à l’intérieur du centre et préfèrent dire «je rentre».

Comment décririez-vous vos conditions de travail?

Ce n’est pas du 24h/24h parce qu’en théorie, la nuit, on ne travaille pas. Mais il y a toujours quelque chose à faire. Il y a une tension permanente qui fait qu’on ne dort pas très bien. C’est très intense. Le repos, c’est quelques heures, un après-midi par semaine. Et on en profite pour dormir. En soi, la combinaison de protection n’est pas très lourde. Mais elle est entièrement hermétique. Au Liberia, c’est la fin de la saison des pluies, le soleil brille. A l’intérieur de la combinaison, on atteint facilement 35, 40 degrés. Le masque qu’on a devant la bouche finit aussi par s’humidifier. C’est compliqué au bout d’une heure. On a aussi de la buée sur les verres des lunettes.

Quand on ne voit que les yeux de l’infirmière, comment se noue une relation avec un patient?

En fait, les patients nous reconnaissent très vite par nos yeux. Ils retiennent vite nos noms. Et on peut les toucher, les aider à s’asseoir. Le tout est de se laver les mains. Ils sont curieux de voir à quoi on ressemble. Dans les zones à faibles risques, les gens nous voient depuis l’intérieur du centre et connaissent notre visage. On finit par créer des liens.

Après la contamination d'une de vos consœurs française, avez-vous changé votre façon de travailler?

On a revu nos protocoles. MSF a essayé de trouver quelle avait été l’erreur commise pour repartir sur des bases plus strictes. On ne sait pas comment cela s’est passé. Forcément, on se remet en question pour savoir si les choses sont faites comme il le faut. Une fois qu’on a pris du recul, qu’on revoit chaque acte et la manière dont on travaille, les choses s’apaisent. La psychose n’arrange rien. Nous avons eu du personnel infecté. Mais très souvent, ces gens l’ont été non pas dans le centre, mais dans Monrovia, chez eux, car ils vivent au sein de leurs familles. Quand c’est votre enfant qui a les symptômes, c’est humain, on prend des risques alors qu’on les connaît.

Cette crise sanitaire est-elle devenue une crise humanitaire selon vous?

Cette épidémie a pris des proportions qu’on ne peut plus gérer en tant que médecins sur le terrain. Avec le peu de centres de santé qu’il y a, on ne peut pas la contenir. C’est clairement une crise humanitaire. On manque de moyens, de personnel, de places, de lits. De tout. Il nous faudrait plus d’aide, que les pays voisins, les organisations de santé, se lient à nous et viennent sur le terrain.

Est-ce la mission la plus difficile que vous ayez vécue?

Oui. Par rapport à la frustration qu’on peut connaître. On est complètement impuissants, on n’a pas de médicament qui traite directement le virus. On n’a pas la possibilité à Monrovia de traiter les patients par voie intraveineuse. Du coup, médicalement, c’est extrêmement frustrant.