Soleil: Êtes-vous tanorexique, accro au bronzage?
SANTE•Certains comportements excessifs vis-à-vis du soleil ou des cabines UV relèvent de la pathologie selon les médecins…Romain Scotto
«J’ai attrapé un coup d’soleil, un coup d’amour, un coup d’je t’aime», chante en boucle le buriné Richard Cocciante depuis le début des années 80. En soi, écouter cette berceuse désuète n’est pas si inquiétant. Mais si votre cœur ne frétille qu’au premier vers, mieux vaut envisager une consultation médicale rapidement.
«Soleil dans la peau»
A l’instar du tabac, de l’alcool ou du jeu, le soleil représente un risque d’addiction dont les malades n’ont pas toujours conscience. Cette dépendance, appelée tanorexie par les spécialistes, toucherait de plus en plus de patients selon Aymeric Petit, psychiatre à l'hôpital Bichât et coauteur du livre «Le Soleil dans la peau» (Robert Laffont, mars 2012). Des «addicts» aux rayons UV qui, pour la plupart, passent leurs journées à faire la crêpe à la plage ou en cabine de bronzage, sans réaliser à quel point ils se mettent en danger.
Pour le psychiatre, l’addiction intervient quand le patient «a perdu le contrôle». «Quand il n’honore plus ses rendez-vous, que sa vie s’interrompt pour ne pas rater les meilleurs créneaux d’exposition au soleil. Il a perdu la liberté de s’abstenir.»
Il évoque aussi un «excès de plaisir, une trop belle rencontre», qui entraîne un comportement répétitif, avec l’apparition de conséquences négatives. «La peau c’est comme une calculette, poursuit Patrick Moureaux, dermatologue à Vannes, également coauteur du livre. Au-delà d’une quantité de soleil accumulée, elle exprime les méfaits.» L’addition se paye par un vieillissement prématuré, des cancers carcinomes (90.000 par an en France) et des mélanomes (10.000).
Une image de soi défaillante
Mais pour les patients concernés, il s’agit avant tout d’être hâlé pour plaire aux autres. Montrer qu’on est jeune, pétillant, rayonnant, afin de restaurer une image de soi légèrement défaillante. Face aux médecins, leur refrain est souvent le même: «Non, mais je prépare ma peau pour cet été» ou «mon corps a besoin de vitamine D».
En plein déni, ils exploitent ici une réalité scientifique. Lorsque le soleil nous atteint, les UV synthétisent dans l’épiderme cette vitamine D indispensable au renforcement osseux et à notre système immunitaire. Le bronzage agit alors comme une protection contre les effets délétères des UV.
Parallèlement, cette exposition au soleil entraîne la libération de bêta-endorphine, source de plaisir, d’antalgie et de dépendance. Le circuit de la récompense activé serait similaire à celui des marathoniens, avec tous les excès que cela induit.
Le docteur Petit se souvient d’une patiente cuivrée de 40 ans à qui il en donnait 25 de plus, souffrant d’un trouble dysmorphophobique. «Elle était bronzée mais avait l’impression d’être blanche comme un navet, de ressembler à un Anglais.» Un peu comme un anorexique qui voit un sumo dans son miroir. Il évoque aussi le cas de sujets s’exposant à outrance malgré un mélanome, ou fréquentant les cabines à UV… par beau temps.
Se reconnecter avec notre matrice naturelle
«On ne peut pas laisser les gens se laisser rôtir dans des cabines de bronzage», poursuit Patrick Moureaux qui invite ces consommateurs «à se reconnecter avec leur matrice naturelle qui est le soleil, sans abus.»
Il serait donc important de redéfinir le lien sociologique entre l’homme et le soleil, un élément vital devenu un banal produit de consommation. «C’est un problème d’équilibre comportemental sanitaire», qu’on ne pourrait résoudre qu’en renforçant la prévention sur le sujet. Histoire d’éviter l’escalade infernale du bronzage, rougir-flétrir-périr. Et d’aller jusqu’au bout de la chanson de Richard Cocciante.