Point du mari: «On ne peut pas remettre la parole des femmes en question», selon une sage-femme
OBSTETRIQUE•Céline V., sage-femme en région parisienne depuis huit ans, réagit à la publication de notre article sur le «point du mari»…Romain Scotto
En tant que sage-femme hospitalière, Céline V. n’a pas compris le déni de certains gynécologues obstétricien interrogés par 20 Minutes dans un article sur le «point du mari». Cette pratique consiste en la pose d’un point supplémentaire pour resserrer le vagin d’une femme après une épisiotomie, dans le but d’augmenter le plaisir sexuel de son/ses futur(s) partenaire(s).
La semaine dernière, Agnès Ledig, sage-femme et écrivain, avait publié un texte dénonçant cet acte médical méconnu et sur lequel planent encore quelques zones d’ombre. Céline V., administratrice de l’un des principaux forums de discussion de la profession, la rejoint sur plusieurs points. Elle s’en explique.
Cette pratique est-elle connue des sages-femmes? «Ce n’est pas courant et quotidien. Quand l’une des sages-femmes de notre forum en a parlé récemment, il y avait des femmes qui, comme moi, en avaient entendu parler. Et d’autres qui sont tombées des nues. Les témoignages ont commencé à arriver. La parole s’est libérée. Une collègue m’a expliqué qu’elle avait prévenu le conseil de l’Ordre car un médecin de son établissement fait cela systématiquement aux patientes. Mais elle est perdue parce qu’elle a l’impression que tout le monde s’en fiche. Les femmes ne racontent pas n’importe quoi. On ne peut pas remettre leur parole en question.»
Les médecins peuvent-ils ne pas savoir? «Je comprends que des médecins ne puissent pas être au courant. Dans l’un des endroits où je travaille, les médecins ont beaucoup de respect pour les patients. Ils ne connaissaient pas ou alors ils en avaient entendu parler comme une légende urbaine. Comme d’un truc qui se faisait dans les années 50. Par contre, quand je leur ai expliqué, ils m’ont crue. Ils ont été outrés. Cela dépend beaucoup des lieux où les gens travaillent. Moi en huit ans, je n’ai jamais entendu un médecin proposer cela à une patiente.»
Le consentement des patientes est-il vérifié? «J’ai travaillé dans une dizaine de structures en huit ans. La notion de consentement sur l’épisiotomie est quasiment nulle. C’est une interrogation qu’on doit avoir en tant que professionnels. On a toujours deux minutes pour expliquer quelles seront les conséquences de ce geste médical (l’épisiotomie). Maintenant, les femmes peuvent choisir. Même si c’est en plein accouchement. Si elles refusent, elles en assumeront peut-être les conséquences. Pour autant, je n’ai jamais entendu un gynécologue ou une sage-femme demander: "Est-ce que vous êtes d’accord?"»
Envisagent-elles une action? «Alerter le public, c’est déjà bien. Il faut faire attention de ne pas faire peur. L’hôpital, ce n’est pas l’enfer. C’est important que les couples, les maris soient au courant. Si on leur propose, il faut qu’ils sachent que ça peut avoir des conséquences délétères pour la femme et donc pour leur couple. Il va falloir qu’on en reparle avec les gynécologues pour qu’ils ne démentent pas ce que nous dénonçons. On doit jouer ensemble. On va voir avec des collèges de gynécologues et de sages-femmes. Et pourquoi pas le Conseil de l’Ordre des sages-femmes et des médecins. On doit recueillir un maximum de témoignages pour produire un document à visée scientifique. Les internes en gynéco et les étudiants sages-femme doivent apprendre ça au cours de leur formation.»
Qu’en est-il de la relation sages-femmes-médecins? «Avec le mouvement de grève des sages-femmes, énormément de tensions ont été exacerbées. Des articles ont été extrêmement injurieux. Il y a eu des dépôts de plainte. Le corporatisme est très prégnant. On en a un peu gros sur la patate. Dès qu’on dit quelque chose, c’est perçu comme étant contre les médecins. Les gynécologues ne sont pas les seuls spécialistes du périnée de la femme. Nous suturons aussi des périnées. Ce qui choque les gynécologues, c’est quand même la pratique en soi. Ce n’est pas le fait qu’on la dénonce. Mais sur ce type de pratiques comme sur d’autres, il y a un corporatisme qui fait que les médecins ont du mal à entendre un message qui ne vient pas d’eux-mêmes.»