Rennes : « C’est joli mais ça sert à quoi ? »… De drôles de panneaux débarquent au bord de la route
Sécurité routière•A La Courrouze, écoquartier de Rennes, des panneaux de signalisation d’un nouveau genre ont fait leur apparition dans une zone piétonne de la place Jeanne-LaurentCamille Allain
L'essentiel
- A Rennes, la place Jeanne-Laurent accueille depuis quelques jours des panneaux de signalisation créés par un artiste.
- L’objectif est d’interpeller les usagers et de faire ralentir les automobilistes traversant cette place piétonne du quartier de la Courrouze.
- La ligne droite créée au milieu de cette ancienne friche a sans doute été mal conçue, générant des conflits entre usagers.
Depuis quelques jours, elle est sans doute devenue la rue de Rennes avec la plus forte concentration de panneaux de signalisation. Le paradoxe, c’est que sur cette artère pavée traversant le quartier de la Courrouze, les automobilistes ne savent pas vraiment à quelle allure rouler. « Quand je suis arrivée, je me demandais à quoi ça servait. Je me demandais si celui-ci n’était pas un sens interdit », explique une femme venue travailler dans ce quartier nouvellement aménagé. Elle pointe du doigt un disque rouge sur lequel deux yeux ont été dessinés. « Je me suis dit que j’arrivais dans une zone avec des enfants », poursuit-elle. Installés le 23 septembre, ces étranges panneaux colorés ont été réalisés par un artiste du quartier. Leur objectif ? « Alerter les usagers du quartier et faire baisser la vitesse en alertant de manière décalée. » 20 Minutes s’est rendu sur place pour vérifier si cela fonctionnait.
Il est midi passé et la place Jeanne-Laurent s’anime au rythme des allées et venues des salariés en pause déjeuner dans ce quartier champignon bâti sur une friche militaire. Coupée en deux par une route, la place qui n’en est pas vraiment une n’arbore qu’un maigre passage piétons, vers lequel convergent la plupart des gens cherchant à traverser. « Ils l’ont rajouté car avant, il n’y en avait pas. Personne ne savait trop où aller et on ne nous laissait pas passer », témoigne une piétonne, que l’on appellera Delphine.
Sandwich à la main, elle nous explique qu’au fil des années et des constructions d’immeubles dans ce quartier toujours en développement, le trafic routier n’a cessé d’augmenter. Logique. Le problème, c’est la vitesse, parfois nettement excessive. « Il y en a qui roulent vraiment très vite, surtout en descendant. C’est dangereux », explique-t-elle. On peut en témoigner. A plusieurs reprises, on a pu voir des automobilistes passer là à bien plus de 50 km/h, dans une zone limitée à 30 km/h.
Ce constat a poussé l’aménageur public du quartier à faire appel à un studio graphique qui a choisi de détourner des panneaux de signalisation pour alerter les automobilistes. « Le but, c’est d’abord d’interpeller en adoptant un ton positif, sans tomber dans la répression. C’est très coloré, ça se veut joyeux », justifie Cyril Guillory. Le fondateur du studio Ilta a confié la conception des logos à l’artiste Wood Campers et a pu compter sur l’aide de la ville de Rennes pour récupérer une soixantaine d’anciens panneaux de signalisation trop usés pour continuer à officier. Recouverts de leur sticker, ces anciens Stop ou Sens interdit ne sont pas passés inaperçus. « Je trouve ça vraiment joli, ça donne le sourire, témoigne une maman, avant de s’interroger. Par contre, ça sert à quoi ? »
Un problème « pas simple à régler »
C’est un peu la question que se posent toutes les personnes que nous avons croisées ce jour-là. « On a un problème de cohabitation sur la place et il n’est pas simple à régler. On sait qu’il va falloir trouver une solution. Mais en attendant, on a voulu faire un pas de côté, et sensibiliser de manière décalée, ludique », explique Marine Kunstmann, nouvelle chargée de médiation du quartier Courrouze pour Territoires. Faute d’avoir réellement communiqué sur le sujet, l’aménageur public laisse bon nombre de passants sans réponse et ouvert la boîte à critiques. « Tous les clients qui m’en parlent me disent que c’est sympa, mais ils ne comprennent pas. C’est bien joli, mais est-ce que ça a un intérêt ? », interroge Adrien, le caviste installé sur la place.
Son voisin fromager est encore plus remonté. Contre les élus qui ne répondent jamais, contre la presse qui ne parle pas de sa boutique, mais aussi contre ces panneaux qu’il juge inutiles. « C’est vrai que ça roule vite. Normalement, c’est limité à 20 km/h (en réalité 30 km/h), mais il n’y a jamais personne pour vérifier. On n’a jamais vu un policier. Et ces gens-là, je ne pense pas que ce sont des panneaux dessinés qui vont les faire ralentir. » « On sait qu’on ne va pas régler le problème de la vitesse avec nos panneaux mais c’est avant tout un outil de communication, d’interpellation. Les habitants étaient contents qu’on fasse quelque chose dans leur quartier même si on est conscient que ça ne remplacera pas un aménagement routier », défend Cyril Guillory.
L’épineuse question du stationnement
Au-delà du danger de la vitesse de certains automobilistes, le fromager du quartier s’agace surtout du manque de places de stationnement devant les commerces, débouchant sur des conflits d’usages réguliers. « Les livreurs doivent se mettre en double file, ils n’ont pas le choix. » Le commerçant dit vrai. Pendant le temps passé sur place, on a vu bon nombre de voitures s’arrêter sur la route, créant de fait une situation de danger, rendant au passage les panneaux colorés beaucoup moins visibles et moins efficaces. « On ne peut pas mettre de stationnement le long de la voie, parce que nous avons des accès pompiers à respecter. On est d’accord pour dire que l’aménagement n’est pas satisfaisant. Ça peut arriver. On est en dialogue avec Rennes Métropole pour trouver les bonnes solutions », assure Marine Kunstmann, de Territoires, qui demande « un peu de temps ».
En attendant de nouveaux aménagements, les commerçants et les passants plaident pour un maintien des jolis panneaux, à condition d’avoir des explications. Elles viendront très prochainement avec des stickers installés sur place et de la médiation.