Rennes : « On a entendu la rafale »… Après le double meurtre, les habitants apeurés mais pas surpris
Homicide•Deux hommes âgés de 28 et 34 ans ont été tués par arme automatique sur la dalle du Gros Chêne dans un probable règlement de compte sur fond de trafic de stupéfiantsCamille Allain
L'essentiel
- Deux hommes âgés de 28 et 34 ans ont été tués par arme automatique le mardi 28 mars sur la dalle du Gros Chêne, à Rennes, dans un probable règlement de compte.
- Au lendemain du drame, les habitants du quartier populaire partagent leur colère et leur crainte d’une balle perdue mais personne n’est surpris.
- Un groupe de jeunes dealers est présent au quotidien sur la dalle, ouvrant la voie à un important trafic de drogue.
«Regarde, c’est là, c’est rouge ». Du haut de ses 4 ou 5 ans, cet enfant a su reconnaître les quelques taches de sang qui n’avaient pas été recouvertes par le sable orange de la police. « Ne va pas là, sors d’ici », lui intime une adulte. Au lendemain du double meurtre de deux hommes âgés de 28 et 34 ans, la dalle du Gros Chêne s’est réveillée avec une anormale présence policière. Certains passants évitent de marcher sur la mare de sable disposée sous les arcades de ce centre commercial vieillissant du quartier de Maurepas, à Rennes. D’autres n’y prêtent pas attention et passent dessus, certains sans même savoir que c’est là que deux hommes originaires de Guyane et de Martinique se sont éteints mardi soir.
Tous les deux ont été tués par une arme automatique dans un probable règlement de compte sur fond de trafic de drogue. Un autre a pris la fuite. Gravement blessé, il s’est présenté au CHU dans la soirée. « Il y avait du sang partout. Ils appuyaient dessus, ils ont tenté de les réanimer mais ils n’y sont pas arrivés. Ça me rend tellement triste », raconte une femme dans l’une des épiceries de la dalle. D’autres évoquent le bruit qui a résonné peu avant 22h30. « J’étais en train de lire et là on a entendu la rafale. Ça a fait ratatatatata, comme ça, d’un coup. Quelques minutes après, j’ai entendu toutes les sirènes et la police est arrivée », explique un habitant de la tour numéro 1. Son amie arrive. « J’ai entendu aussi, ça m’a fait hyper peur. Je savais que ce n’était pas des pétards, c’était plus fort, plus rapide ».
Ce mercredi matin, le probable règlement de compte qui a fait deux morts et un blessé grave est sur toutes les lèvres. Sur la dalle commerciale, les habitants en parlent. Un peu choqués mais pas surpris. « Ce sont des Antillais, c’est ça ? Moi, ça ne me surprend pas », glisse une femme âgée d’une quarantaine d’années qui habite le quartier depuis huit ans. « Quand je suis arrivée ici, c’était plus calme. On me disait que Maurepas c’était chaud, mais moi, je venais de Paris, je trouvais ça tranquille. Mais là, ce n’est plus possible ». Mère d’un garçon de 11 ans et demi, elle se dit « paniquée » à chaque fois que son fils est dehors. « Je le laisse aller jouer au ballon avec ses copains mais je ne suis pas tranquille. On a tous peur d’une balle perdue ».
Gros pétards et rasade de rhum matinale
Cette crainte de la balle perdue est dans tous les esprits ici. Pourtant, au Gros Chêne, ce double meurtre ne surprend personne. « Ça devait arriver. C’était inévitable. Les dealers sont là tous les jours, ce n’est pas étonnant », lance Gary (le prénom a été modifié). Ici, les habitants sont malheureusement habitués à cohabiter avec un groupe de jeunes dealers, qui traînent sous les arcades nuit et jour. « Ils sont cagoulés ou masqués, on ne voit que leurs yeux. Ils sont posés là devant l’ascenseur. Personne ne leur parle », explique un homme habitant la dalle depuis dix ans. Une femme explique être passée sur les lieux du drame une heure avant les tirs. « C’était normal, comme d’habitude, il y avait plein de jeunes à traîner ». Un groupe d’une vingtaine de jeunes, dont beaucoup de mineurs, passe ses journées ici. « Ils ont même installé une table et des chaises pour jouer. Les flics sont là mais ils leur rient au nez », témoigne un habitant. Certains disent qu’ils viennent du Blosne, d’autres que ce sont des minots du quartier.
Ce mercredi matin, la police est bien présente sur la dalle pour la sécuriser. Des agents patrouillent pendant que certains passants se fument de gros joints à quelques mètres d’eux. Il est à peine 11 heures quand un homme âgé d’une vingtaine d’années s’envoie une rasade de rhum pur à la bouteille. « Ce qu’il faut, c’est un commissariat de quartier ici, sur la dalle ». Et celui implanté aux Gayeulles ? « Mais il est trop loin, et il est fermé la nuit ! ».
« Je ne suis pas là pour dire que tout va bien »
Présentes sur la dalle depuis 8 heures ce mercredi matin, la maire Nathalie Appéré et son adjointe à la sécurité Lénaïc Briéro échangent avec les habitants. Les deux élues socialistes font parfois face à des riverains qui ne sont pas au courant des rafales qui ont réveillé une bonne partie du quartier. « On se sent tous très en colère et je ne suis pas là pour dire que tout va bien. Je suis venue pour dire que nous ne lâcherons rien. Ce quartier a besoin d’une forte présence policière et nous y travaillons. Mais j’ai la sensation que personne n’exprime de sentiment d’abandon. Il y a ici un tissu de travailleurs sociaux, de personnes engagées. Il nous faut continuer à transformer ce quartier », assure Nathalie Appéré.
Classé parmi les quartiers de reconquête républicaine, le secteur de Maurepas fait l’objet d’intenses travaux de requalification. L’arrivée de la ligne B du métro avait pour but de désenclaver la dalle du Gros Chêne. Mais il faudra sans doute attendre la transformation complète du secteur pour espérer voir la situation s’améliorer durablement. L’an dernier, le quartier avait déjà été le théâtre de plusieurs règlements de compte. Un homme avait été poignardé à mort en pleine journée et la police avait été la cible de tirs en rafale. Sept personnes avaient été mises en examen pour tentative de meurtre.
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