PASCAL ORY: “La nation n’appartient pas au passé”
Actu Bretagne•L’historien Pascal Ory vient de faire paraître Qu’est-ce qu’une nation ? aux Éditions Gallimard, inscrivant sa réflexion dans celle du Trégorrois Ernest Renan...Magazine Bretons - Maiwenn Raynaudon-Kerzerho
Bretons : L’idée de ce livre vous est venue en 1968, écrivez-vous, notamment de discussions avec des militants nationalistes bretons…
Pascal Ory : Oui. J’ai le souvenir d’une discussion qui m’avait marqué, sur l’identité. Je me trouvais devant cette génération qui était la mienne, qui avait 20 ans en 1968. En ce qui concerne la dimension identitaire, en France, on était face à une résurgence de ce qu’on appelle le régionalisme ou le nationalisme, mais ancrés à gauche. Ce qui était quand même, notamment pour le mouvement breton, une nouveauté. J’avais des camarades de mon âge, qui avaient le coeur à gauche voire à l’extrême gauche, et qui étaient nationalistes, avec des nuances : régionalistes, autonomistes, indépendantistes…
Moi, j’étais né à Fougères. Je pensais à la phrase de Gide, qui répondait à Barrès : “Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine ?” J’ai constaté que certains nationalistes à travers le monde, y compris en Bretagne, avaient des problèmes d’identité à régler. Le plus grand nationaliste radical irlandais, au 20e siècle, Éamon de Valera, avait un père espagnol ! Il a réglé son problème d’identité en faisant le choix de la mère.
Moi, je m’interrogeais. À titre personnel, je n’étais Breton que par mon lieu de naissance et par mes études secondaires, effectuées à Rennes. J’ai d’ailleurs inauguré le campus de Villejean où j’ai eu des discussions vives avec le leader gauchiste de l’époque, Jean-Yves Le Drian… Et puis, ma mère était Bretonne, mais Bretonne gallèse, de la région de Vitré.
Cela avait donc déclenché chez moi une réflexion sur l’identité, qui avait abouti à un séminaire à Sciences Po, dès 1988, et à ce livre, bien des années plus tard.
Vous y donnez cette définition de la nation : “Quand un peuple devient le Peuple”. Qu’est-ce que cela signifie ?
Effectivement, j’ai essayé de donner une réponse à la question que pose le titre du livre. Il y a donc un peuple : une aventure historique, qui fait que se constitue une identité culturelle. Par les siècles passés, cette identité a pu être religieuse, mais pas seulement. L’histoire fait que certains de ces peuples disparaissent de la surface de la Terre. L’histoire n’est pas humaniste. Des milliers de peuples ont disparu, la plupart sans laisser de nom. Cela m’a toujours fasciné. Pourquoi, par exemple, y a-t-il des Estoniens, mais aussi des Lituaniens et des Lettons ? Pourquoi pas simplement des Baltes ? Pourquoi pas simplement des Russes ? Ça, c’est l’aventure d’un peuple. Mais cela ne suffit pas. Les peuples peuvent remonter à la plus haute Antiquité ou être récents – le terme même d’Estonien ne remonte qu’au 19e siècle – mais il faut qu’ils rencontrent une invention extraordinaire sous laquelle nous vivons encore, la souveraineté populaire. C’est une vraie révolution de l’époque moderne : le pouvoir n’est plus dans le Ciel ou je ne sais où, il est dans le peuple. On invente donc le Peuple. Cela pourra donner le populisme, où le Peuple a raison, contre les élites, par exemple.
Quand un peuple devient le Peuple, cela donne une nation. Ensuite, pour parvenir à un État-nation, il faut un minimum de mobilisation, voire de combats ou même de franche guerre, une conjoncture favorable. C’est pour cela qu’on peut actuellement s’interroger sur le Kurdistan ou les Ouïgours. Ce n’est pas la vaillance du dominé qui compte, il faut que le pouvoir central s’affaiblisse.
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Retrouvez la suite de cet entretien dans le magazine Bretons n°172 de février 2021.