La Révolution s’est faite sur le modèle breton
Histoire de Bretagne•Professeur à l’École pratique des hautes études, Emmanuel de Waresquiel est l’un des grands spécialistes français de la Révolution. Il vient de publier Sept jours. Les sept jours qui, du 17 au 23 juin 1789, ont fait entrer la France dans la Révolution. L’occasion de mieux cerner le rôle des Bretons dans cet évènement qui changea la face du monde…Magazine Bretons - Didier Le Corre
En janvier 1789, la noblesse fait défiler à Rennes tout ce qu’elle compte d’employés, de la cuisinière au palefrenier, pour montrer qu’elle a l’appui du peuple. Cela est vécu comme une provocation par la bourgeoisie. S’ensuit notamment une bagarre entre les étudiants en droit et le personnel de la noblesse. Il y aura trois morts…
Cela s’inscrit dans un contexte particulier qui est celui de la réunion des états provinciaux et des assemblées provinciales préalable aux élections des députés aux états généraux. À cette occasion, on voit la mise en place de deux modèles. Le premier est construit sur la notion de contrat, de compromis, d’accord entre les ordres et avec le roi. C’est celui du Dauphiné. Et il y a un deuxième modèle, qui est le modèle breton, où on assiste à une confrontation extrêmement violente entre les ordres dits privilégiés et le tiers état. Le tiers état est représenté quand même par une petite partie de la bourgeoisie urbaine, qui est la partie la plus éclairée, celle des sociétés de pensée, des académies, des cabinets de lecture ou des loges maçonniques. Mais la structure même des états provinciaux en Bretagne repose sur une profonde inégalité entre une sur-représentation de la noblesse et une sous-représentation du tiers. La demande des électeurs du tiers état sur une augmentation de leur représentation, refusée par la noblesse, provoque cette quasi-guerre civile et sociale à Rennes qui fait en réalité plusieurs morts. C’est cependant ce modèle de revendication sociale, portée par les états généraux, qui va l’emporter. C’est le modèle breton qui l’emporte. La Révolution se fait sur le modèle breton. C’est un modèle d’affrontement où le compromis n’existe pas, où l’on se déclare Assemblée nationale, le 17 juin 1789, contre les ordres privilégiés et contre le roi. C’est un modèle très violent, intransigeant, mais qui en fait n’est porté que par une petite partie de la Bretagne.
Ces morts de Rennes sont-ils les premiers de la Révolution ?
Non, car il y en eut un peu partout en France pendant cette période… Il y a un personnage qui émerge pendant cette période en Bretagne, qui marche en tête de la contestation étudiante rennaise qui se dirige vers le Parlement, bannières en tête avec ce message : “Vivre libres ou mourir !” Et qui porte le drapeau ? Victor Moreau, le futur maréchal d’Empire, le seul que Napoléon ait jamais craint, et qui sera compromis dans la conjuration bretonne de Cadoudal en 1804.
Pourquoi la noblesse bretonne refuse-t-elle d’aller aux états généraux ? C’est la seule dans ce cas en France…
C’est une noblesse pauvre, elle est donc encore plus attachée à ses privilèges personnels et à ses droits féodaux. Par rapport aux autres provinces du royaume, elle est aussi beaucoup plus nombreuse. Mais il faut bien comprendre que les privilèges touchent tout le monde à cette époque. L’organisation de la société d’Ancien Régime est une organisation inégalitaire en droit pour l’ensemble de la population et pas seulement pour la noblesse et le clergé. Beaucoup de députés du tiers état breton sont possesseurs de seigneuries. C’est beaucoup plus complexe qu’on veut bien le croire. En Bretagne, cette noblesse n’accepte pas une représentation égalitaire entre le clergé, le tiers et elle. Pourtant, c’est une noblesse rurale, à quelques exceptions près. Parfois, on ne distingue en Bretagne les nobles que par le port de l’épée.
de décembre ez la suite de cet entretien dans le magazine Bretons n°170 de décembre 2020