Le breton fait battre son cœur !
Bretagne•Dans Chanson bretonne, son dernier ouvrage sorti juste avant le confinement, Jean- Marie Gustave Le Clézio fait voyager le lecteur dans la Bretagne de son enfance. Le Prix Nobel de littérature en profite également pour livrer un avis audacieux sur l’avenir de cette région qui lui est chère, n’hésitant pas à plaider pour son autonomie...Magazine Bretons - Régis Delanoë
Insatiable voyageur, c’est en Bretagne que Jean-Marie Le Clézio invite le lecteur dans son dernier ouvrage paru en mars chez Gallimard. Chanson bretonne est défini en couverture comme un “conte”, raconté avec virtuosité par le Prix Nobel de littérature 2008. Un texte très personnel sur sa région de coeur et celle de ses lointaines origines. Durant les étés d’après-guerre, la famille Le Clézio s’installait à Sainte-Marine, en face de Bénodet, pour “trois mois de vacances idéales, de liberté, d’aventure, de dépaysement”. Le jeune J.M.G. s’émerveillait des plages “couvertes de parasols, débordantes de baigneurs”, de l’Odet “grande comme l’Amazone” et de la langue vernaculaire parlée par ses amis d’enfance, “les derniers de leur lignée, nés dans un autre monde”. Un témoignage précieux et – forcément – brillamment écrit, se prolongeant sur d’intéressantes réflexions concernant l’avenir du territoire.
Bretons : Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire vos souvenirs d’enfance en Bretagne et à livrer vos points de vue sur la région ?
Jean-Marie Le Clézio : Il s’agit moins de souvenirs d’enfance que de rêveries nourries par cet âge, lorsque j’ai accompagné mes parents dans leur quête de la Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient le désir de se reconnecter avec le pays de leurs ancêtres et ce même pays où ils avaient vécu heureux au temps de leurs fiançailles. Nous y passions tous nos étés. C’était pour moi comme un cycle qui revenait chaque année, durant lequel je me dépouillais de ma vêture française pour devenir un petit Breton.
Vous parlez de ces Bretons que vous côtoyiez à l’époque et qui ont “à un certain moment de leur vie décidé d’arrêter de parler leur langue pour devenir Français”. On sent un grand étonnement dans ce processus. De la déception, presque…
En effet, ce fut pour moi le plus grand choc, lorsque je suis revenu en Bretagne à l’âge adulte, après dix ou quinze ans d’absence, de constater cet abandon de la langue bretonne. C’est en parlant à ceux de ma génération – ces petits Bretons d’alors devenus des adultes de mon âge – que j’ai compris la raison profonde de cet abandon : la Bretagne, dans les années soixante, a été soumise à un changement forcé et irréfléchi. On a laissé croire aux Bretons que la différence leur était nuisible, que le bilinguisme était impossible et qu’il fallait abandonner leur langue pour entrer dans la modernité en adoptant les atours de la culture centrale et dominante. Ils n’ont pas eu le choix. Pour autant, lorsque je leur en reparle, je comprends qu’ils le regrettent aujourd’hui.
Êtes-vous néanmoins sensible aux efforts entrepris par des organismes comme le réseau Diwan, que vous évoquez dans Chanson bretonne ? Et pensez-vous que cela soit suffisant pour “sauver” le breton ?
Je le souhaite vivement et j’admire tous ceux qui mènent ce combat. J’étais assez pessimiste il y a trente ans quand je suis revenu en Bretagne avec ma femme. Mais aujourd’hui, il m’arrive de croiser des jeunes qui parlent breton entre eux, et chaque fois cela fait battre mon coeur. Je me dis que tout n’est pas perdu.
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Retrouvez l'intégralité de cet entretien dans le magazine Bretons n°167 d'août/septembre 2020