PHILIPPE ABJEAN: “La Vallée des Saints est en danger”
Bretagne•Ancien professeur de philosophie, Philippe Abjean est le fondateur de la Vallée des Saints. Il vient de faire paraître Un rêve de pierre, aux Éditions Salvator, dans lequel il explique les raisons qui l’ont conduit à mener ce projet fou d’installation de mille statues de saints dans le Centre-Bretagne. Mais celui qui a démissionné récemment de la présidence de l’association s’inquiète aujourd’hui des nouvelles orientations de l’équipe en place et le répète : la Vallée des Saints ne doit pas perdre son âme...Magazine Bretons - Didier Le Corre et Maiwenn Raynaudon-Kerzerho
Bretons : D’où est venue l’idée de ce livre ?
Philippe Abjean : J’avance en âge et, comme on disait à l’école, il est temps de rendre sa copie. Il y a un temps pour tout, et désormais, c’est le temps pour écrire, le moment de donner une boussole pour la Vallée des Saints : rappeler la genèse du projet, comment il est arrivé et quelle est sa raison d’être.
On comprend à la lecture que la genèse de la Vallée des Saints se situe aussi dans votre parcours. Vous racontez ainsi votre admiration pour les missionnaires. Vous percevez-vous comme un missionnaire pour la Bretagne ?
C’est un peu prétentieux... Ce qui m’a surpris, c’est de voir, a posteriori, quand on se retourne un petit peu sur sa vie, la logique qui m’a guidé mais qu’on ne voit pas quand on la vit. En 1990, j’avais lancé les festivités du 1 500e anniversaire de saint Pol-Aurélien, le fondateur de Saint-Pol-de- Léon. Ça a eu un succès fou. Quatre ans après, on s’est retrouvés à relancer le Tro Breizh, le pèlerinage aux sept saints fondateurs de la Bretagne, et de fil en aiguille, d’un à sept, puis à mille, à la Vallée des Saints. Ce n’était pas quelque chose de réfléchi au départ. C’est après coup qu’on se dit qu’il y a une logique, qui nous dépasse, un peu comme si on se laissait guider.
La culture bretonne, selon vous, est très liée à la spiritualité...
Effectivement, mais ce ne sont que des moyens et non des fins en soi. Le Tro Breizh ou la Vallée des Saints, ce sont des moyens, un prétexte, et chacun en fait ce qu’il veut. C’est ce qui a fait le succès du Tro Breizh, à la différence du pèlerinage de Chartres qui est très catho. Ce que Sartre appelait “la mauvaise foi”, c’est se mentir à soi-même et pas seulement aux autres. Concrètement, à une époque où c’était ringard de faire un pèlerinage, ça permettait de dire : “Non, non, je vais au Tro Breizh mais c’est pour le patrimoine, la randonnée, le paysage, mais la dimension religieuse ne m’intéresse pas…” Finalement, ce sont des gens qui ne partagent pas les mêmes sensibilités et convictions, en même temps ils savent que ce n’est pas neutre, qu’il y a des propositions spirituelles, des veillées, des messes… Quelqu’un m’avait dit une fois : “Ce qui nous relie, au Tro Breizh, c’est que nous sommes différents”. C’est ça. Et personne ne se juge.
Mais il ne s’agit pas de perdre cette dimension spirituelle. Vous évoquez une certaine dérive, dans des dépliants touristiques, on ne parle plus de la Vallée des Saints mais de la Vallée des Géants.
C’est une connerie. La Vallée des Saints dérange certains, pour plusieurs raisons. D’un côté, l’aspect identité bretonne trop affirmée, et de l’autre, pour ce côté spirituel. La Vallée des Géants, ça ne tiendra pas, ce n’est pas qu’une question de cailloux…
C’est pour ça que vous avez quitté la présidence de l’association ?
C’est plus simple que ça. Pour bien comprendre le problème, il faut savoir qu’il existe d’un côté l’association La Vallée des Saints, qui a pour but de ramasser de l’argent pour faire des statues, et puis il y a une société commerciale, Terre de Granit, qui est en charge de la boutique et de la partie restauration. Ce qui s’est passé, pour des raisons X ou Y, c’est que ça ne marche pas. La SAS est en déficit chronique, ce qui a obligé l’association à faire des avances d’argent pour la renflouer et payer les salaires de ceux qui y travaillent. Au bout d’un moment, avec le vice-président, Élie Guéguen, on a dit qu’on ne pouvait plus continuer à irriguer un banc de sable. Cela pose un problème juridique et fiscal. Entre-temps, une nouvelle présidente pleine de bonne foi a fait le même constat que nous et a demandé des comptes qu’elle n’a pas pu avoir. Elle a demandé un audit fiscal qu’on n’a toujours pas. Elle a eu le malheur de faire une référence à l’Évangile dans des échanges internes. Finalement, de harcèlement en harcèlement, elle a fini par craquer et démissionner. Alors la suite, telle que je la vois, c’est la mise en faillite de Terre de Granit, pour apurer les dettes, et donner ça à un groupe d’investisseurs… C’est ce qui va se passer. C’est en train de se préparer.
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Retrouvez la suite de cet entretien dans le magazine Bretons n°166 de juillet 2020