MONA OZOUF: “Le breton est une langue infiniment plus concrète, plus sensuelle que le français”
Bretagne•Dans Pour rendre la vie plus légère, restitution de ses interventions dans Répliques, émission orchestrée chaque semaine par son ami Alain Finkielkraut sur France Culture, l'historienne et philosophe Mona Ozouf raconte, entre autres, son amour immodéré pour les livres. De ses premières lectures en breton aux derniers grands romans lus lors du confinement, cette éminente spécialiste de la Révolution revient, pour Bretons, sur son impérieux besoin de littérature...Magazine Bretons - Alexandre Le Drollec
Bretons : Dans Pour rendre la vie plus légère, vous rappelez que la littérature a été, durant votre enfance, un “talisman contre l'ennui”. Pourquoi ?
Mona Ozouf : Mon enfance se déroule de façon très claustrale. J'ai 4 ans quand mon père (Yann Sohier, instituteur, militant de la langue bretonne et fondateur du bulletin Ar Falz, ndlr) meurt. Ma mère est institutrice à Plouha et, à ce titre, nous habitons au sein de l'école. Enfant, je ne sors jamais, ou presque, de ce groupe scolaire. Excepté pour me rendre au catéchisme le jeudi et à la messe le dimanche. Notre logement donne sur la cour d'école, laquelle est désespérément vide dès lors qu'il n'y a pas classe ou durant les vacances. Je grandis auprès de ma mère et de ma grand-mère, deux femmes mélancoliques. La première car elle est engloutie dans le chagrin depuis la mort de son époux, la seconde parce qu'elle considère que les femmes ne sont pas venues au monde pour être heureuses. Bien heureusement, dans cette maison, il y a compulsive tout ce qui me tombe sous la main. À Plouha, le livre est un moyen de franchir ces journées si chagrines.
Quel est votre premier souvenir de lecture ?
Un conte néerlandais traduit en breton : Prinsezig an dour, La Petite Princesse de l'eau. J'ai un souvenir très précis de l'histoire de cette petite fille abandonnée et élevée par une peuplade de grenouilles. Ce livre, avec ses décors de roseaux, de nénuphars sur lesquels saute à cloche-pied Lizig, la petite fille, m'a enchantée. C'est le premier “vrai livre” que j'ai lu, et il était en breton. Je crois avoir quasiment appris à lire avec lui. À quel âge ? Je ne saurais le dire précisément mais j'étais très jeune. J'ai 2 ans quand ma mère, pour être tranquille sur mon compte, m’installe au fond de sa classe, une classe unique de maternelle, avec soixante enfants âgés de 2 ans à 6 ans. Comme tous les autres enfants, je lui donne du “madame”. Et en écoutant les leçons qu’elle donne aux grands, je sais lire sans l’avoir appris.
Êtes-vous toujours capable de lire en breton ?
Oui, même si je bute parfois. Faute de pratique, il me faut désormais un dictionnaire. Ma lecture n'est plus aussi fluide qu'elle ne l'a été. Je n'ai pas cultivé ce cadeau initial de l’existence : être bilingue. J'aurais dû, je ne l'ai pas fait. C'est un regret, un remords aussi.
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Retrouvez l'intégralité de cet entretien dans le magazine Bretons n°165 de juin 2020.